Cette tribune de responsables de structures féministes et d’élues rend hommage au travail antérieur des associations dans l’émergence de la révolte actuelle, tire le bilan de l’application défaillante des lois, critique les mesures totalement insuffisantes et sans moyens prônées par Macron le 25 novembre. Elle a été publiée dans le journal « Le Monde ».
” Le travail des associations féministes qui reçoivent les femmes victimes de violence, les écoutent, les hébergent, les accompagnent, expriment des revendications, participent à l’élaboration de propositions de loi et en rédigent même, luttent et manifestent, rejointes par des élus, trouve enfin un large écho. Ces missions de service public, faute d’être prises en charge par l’Etat, sont ainsi assumées par des associations, sans moyens suffisants, sans réelle reconnaissance, et dont l’existence est parfois menacée.
La révolte #MeToo révèle l’ampleur du phénomène. La parole des victimes parvient enfin à être entendue. Nous ne voulons plus que les femmes victimes vivent bâillonnées avec la maladie et la mort au bout du silence. Une vague de fond déferle malgré les tentatives des thuriféraires de l’ordre ancien. Les historiens nous disent que l’accusation de puritanisme, d’entrave à la libre sexualité, de victimisation des femmes est un classique de l’antiféminisme depuis le XIXe siècle !
Le potentiel émancipateur est là, cinquante ans après mai-68. Une grande révolte politique, au sens noble du terme, peut permettre une accélération considérable dans la conquête des droits des femmes.
Instaurer une norme symbolique référentielle. Il est urgent d’apporter une réponse adaptée en matière de politiques publiques, au niveau national comme dans les collectivités, par l’application des lois existantes et par la rédaction de nouvelles lois, en y mettant les moyens nécessaires. Comme dans bien d’autres domaines légiférer permet d’instaurer une norme symbolique référentielle qui contribuera à faire changer les mentalités.
Quel bilan tirons-nous aujourd’hui ?
L’application des lois est-elle défaillante ? Oui, puisque nombre de plaintes pour violences conjugales sont encore transformées en main courante. Oui, puisque le crime de viol est encore très souvent jugé comme un délit en correctionnelle et qu’il ne donne lieu qu’à 1 % de condamnations. Oui, puisque les violences psychologiques au sein du couple ne sont jamais sanctionnées en tant que telles. Oui, puisque la formation des professionnel.le.s, rendue obligatoire seulement en 2014, n’est pas mise en œuvre de façon accélérée. Oui, puisque les droits des femmes étrangères victimes de violences sont très peu respectés. Comme ceux des enfants d’ailleurs qui subissent eux-mêmes ces violences. Il ne suffit pas de voter des lois puis « de s’en laver les mains », il faut se donner les moyens de les faire appliquer.
Faut-il rédiger de nouvelles lois ? Oui, il est nécessaire d’aller plus loin, comme l’Espagne l’a fait en 2004 avec une grande loi globale contre les violences faites aux femmes. Car il se trouve qu’en France sur les violences on légifère « radin », on hésite, on ratiocine, on marchande et, au coup par coup, au gré de l’urgence. quatre lois en douze ans : 2006, 2010, 2014 et maintenant 2018. On crée une « ordonnance de protection » mais on en limite la liste des bénéficiaires aux femmes victimes de violences conjugales ou menacées de mariage forcé. On ne fait rien pour protéger au travail les victimes de violences, le gouvernement venant même de les priver d’un outil important en supprimant les CHSCT. On laisse encore fleurir sur les murs de nos cités des images dégradantes des femmes et des hommes et des rapports entre eux. On n’assure aucune prévention obligatoire devant les élèves à l’école, bien plus on supprime l’existant. On ne se demande pas pourquoi les victimes portent si peu plainte. On ne réfléchit nullement à l’évolution de l’application de la procédure pénale, si difficile pour la victime et qui représente un véritable parcours de la combattante.
Le Président Macron va donc lui aussi légiférer, il l’a répété le 25 novembre 2017. Mais ce qu’il a annoncé ne répond que très partiellement à l’urgence de la situation. En réalité, il ne fait souvent que reprendre des mesures déjà préconisées ou impulsées par les gouvernements précédents, tel l’arrêt des bus à la demande ou le fait de mettre en place, dans les unités médico-judiciaires, un système de recueil de preuves sans dépôt de plainte afin de faciliter les démarches des victimes.
Enfin, on se demande comment il va financer ne serait-ce qu’une mesure réellement nouvelle qu’il promeut telle la création de dix unités pilote de psycho-traumatologie dans les hôpitaux. Par le budget, exsangue, des hôpitaux ?
Les femmes n’acceptent plus les promesses en l’air, l’amateurisme de réformes tronquées, les ambitions médiocres pour lutter contre les violences qui leur sont faites. Il est encore temps de réagir en montrant une véritable détermination politique à éradiquer ces violences, en défendant enfin une loi globale et en délivrant les moyens nécessaires à son application. Nous y veillerons. “
Les signataires de la tribune : Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris chargée de toutes les questions relatives à l’égalité femmes/hommes, la lutte contre les discriminations et des Droits Humains, PCF ; Laurence Cohen, sénatrice (PCF) du Val-de-Marne ; Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Ont également signé : Fatiha Aggoune, conseillère départementale du Val-de-Marne, vice-présidente en charge de la jeunesse, de la vie associative, de l’observatoire de l’égalité, de la lutte contre les discriminations, des droits humains et des droits des migrants ; Irène Ansari, coordinatrice de la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie ; Eliane Assassi, sénatrice (PCF) de Seine-Saint-Denis, présidente du groupe CRCE ; Marinette Bache, conseillère de Paris, République et socialisme ; Francine Bavay, conseillère d’arrondissement Paris XIe, EELV ; Maryvonne Blondin, sénatrice PS du Finistère ; Brigade anti-sexiste ; Fanélie Carrey-Conte, ancienne députée et membres de Génération. s ; Monique Dental, présidente du réseau féministe Ruptures ; Michelle Ernis, conseillère municipale de Saint-Etienne-du-Rouvray, Mouvement Ensemble ! ; Corine Faugeron, adjointe au Maire de Paris IVe ; Jocelyne Fildard, co-présidente de CQFD lesbiennes féministes ; Léa Filoche, conseillère déléguée à la Mairie de Paris, chargée des solidarités auprès de l’adjointe à la Maire en charge des solidarités, de la lutte contre l’exclusion, de l’accueil des réfugiés et de la protection de l’enfance, élue Génération-s ; Francine Goyer, première adjointe à la mairie de Saint-Etienne-du-Rouvray, PCF ; Victoire Jasmin, sénatrice (PS) de Guadeloupe ; Françoise Laborde, sénatrice PRG, Haute-Garonne ; Claudine Lepage, Sénatrice (PS) représentant les Français établis hors de France ; Claudie Lesselier, co-présidente de la Maison des femmes de Paris, militante du Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées ; Céline Malaisé, conseillère régionale Ile-de-France, présidente du groupe PCF FDG ; Emmanuelle Pierre-Marie, élue EELV en charge de l’égalité femme-homme et de la lutte contre les discriminations XIIe arrondissement de Paris ; Myriam Martin, conseillère régionale Occitanie, porte-parole de Ensemble ! ; Nelly Martin, coordinatrice de la Marche mondiale des femmes ; Michelle Meunier, sénatrice (PS) de Loire-Atlantique ; Marie-Pierre Monier, sénatrice (PS) de la Drôme ; Solmaz Ozdemir, porte-parole du SKB, union des femmes socialistes (Turquie) ; Lorraine Questiaux, Mouvement du Nid, Paris ; Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme ; Roselyne Rollier, présidente de la Maison des femmes Thérèse-Clerc, Montreuil ; Barbara Romagnan, ancienne députée, Génération.s ; Amina Shabou, présidente de Femmes migrantes debout ! ; Danielle Simonnet, conseillère de Paris, coordinatrice du Parti de Gauche ; Marie-Pierre Vieu, Députée européenne (PCF).