Initiation aux concepts marxiens : fédérer le peuple ? (1/2)

Sortir des discours hétéronomes

Avant d’aborder, dans un second article, les conditions de constitution d’une République sociale, nous reviendrons sur la définition des notions essentielles que sont le prolétariat, les ouvriers, les pauvres, les exploités, les dominés, les employés, etc. Le « gloubi-boulga » de la doxa militante et de ses gourous est le plus souvent influencé par le discours de l’idéologie dominante aujourd’hui néolibérale. Il s’agit là de discours hétéronomes. Si on veut entrer dans un processus révolutionnaire, il convient de sortir de l’hétéronomie et construire un discours autonome de l’idéologie dominante. Il convient donc de redéfinir tous les concepts qui structurent cette théorie puis de les articuler entre eux. Voilà qui demande une formation spécifique des militants, formation qui n’est plus proposée à grande échelle dans aucune grande organisation politique, syndicale ou associative de la gauche (1)Pour avoir des intervenants pour vos formations, vous pouvez contacter soit Respublica sur evariste@gaucherepublicaine.org soit le Réseau Éducation Populaire sur reseaueducationpopulaire@gmail.com. Cela va de pair avec le fait que la composition sociale des responsables de ces organisations a changé. Les couches populaires ouvrières et employés représentant la majorité du peuple objectif (ou du peuple en soi) ont été quasiment totalement exclues des responsabilités et remplacées par des éléments de la petite bourgeoise pouvant atteindre des niveaux bac+5. Et la majorité de ceux-ci, s’ils acceptent facilement l’acquisition de nouvelles compétences techniques, rechignent à remettre en cause leurs discours hétéronomes et confus liée à l’intégration dans leur pensée de nombreux pans de l’idéologie dominante. Par exemple, comprendre pourquoi nous voyons la concomitance de la victoire de l’idéologie néolibérale avec la pénétration chaque jour plus profonde dans la gauche dite radicale du communautarisme produit par le néolibéralisme, de l’abandon de la lutte des classes, ou celle de la disparition des ouvriers et de leur remplacement par les couches moyennes, etc. permet de réagir pour trouver enfin un discours autonome pour sortir de l’hétéronomie de la gauche dite « radicale ».

Définitions

Exploités et exploiteurs renvoient à la place des personnes dans les rapports de production. L’exploité se fait « voler » la plus-value produite par lui et extorquée par le capitaliste.
Pauvres et riches renvoient à une insuffisance de moyens pour vivre pour les premiers et une surabondance de moyens pour vivre pour les seconds.
Dominants et soumis relèvent du positionnement par rapport à l’autorité. On peut parler de domination masculine, de domination néocoloniale, etc.
Le prolétariat est constitué des travailleurs, actifs, en chômage ou en retraite (s’ils ont été prolétaires lorsqu’ils étaient en activité), non propriétaires des moyens de production. Le prolétariat est principalement propriétaire de sa force de travail qu’il échange contre un salaire direct et socialisé (ce salaire assurant la production et la reproduction de la force de travail). Un prolétaire peut être pauvre ou ne pas l’être. Tout pauvre n’est donc pas forcément un prolétaire. Donc un non-prolétaire (entrepreneur individuel, petit paysan, artisan, petit commerçant) peut être plus pauvre qu’un ouvrier. Le prolétaire se voit dépossédé d’une partie du produit de son travail (la plus-value) au profit de l’employeur.
Un petit patron peut être dominé, voire opprimé par le grand capital, il n’est pas exploité par lui et il n’en devient pas un prolétaire.
Pour l’oligarchie capitaliste il faut du chômage pour former « l’armée de réserve » aux fins que cette dernière fasse pression sur les actifs pour diminuer leur ardeur à la revendication.
Les marginaux ou le « lumpenprolétariat » (alternance de petits boulots, d’aide sociale, de mendicité) bien qu’ayant des conditions de vie souvent moins bonnes que le prolétariat n’en font pas partie.
La majorité des employés des services contribuant à la vie productive et sociale, une partie des services de santé, la majeure partie des services à la personne font partie du prolétariat.
Les ouvriers sont des prolétaires qui créent de la valeur ajoutée au sens de la valeur d’usage. Il y a donc des prolétaires non-ouvriers dans les personnels utiles qui gèrent la production mais ne la créent pas. Cela dit, la transformation de la typologie du travail (transport, conditionnement, grande distribution, informatique, commande électronique, etc.) a tendance à rapprocher une partie des employés de la condition ouvrière d’une part et même dans certains cas, les fait entrer dans le même rapport de production que les ouvriers. Voilà pourquoi certains parlent d’un passage progressif à une classe populaire ouvrière et employée. Mais, il faudra dans une analyse plus fine, tenir compte de l’adresse de Guy Debord :

« Suivant la réalité qui s’esquisse actuellement, on pourra considérer comme prolétaires les gens qui n’ont aucune possibilité de modifier l’espace-temps social que la société leur alloue à consommer (aux divers degrés de l’abondance et de la promotion permises). Les dirigeants sont ceux qui organisent cet espace-temps ou ont une marge de choix personnel. Un mouvement révolutionnaire est celui qui change radicalement l’organisation de cet espace-temps et la manière même de décider désormais sa réorganisation permanente (et non un mouvement qui changerait seulement la forme juridique de la propriété, ou l’origine sociale des dirigeants). (Bases politiques de mai 1963 dans Lire Debord (éditions de l’Échappée, 2016).

L’oligarchie capitaliste comporte les familles propriétaires des holdings financiers privés (ayant un nombre d’actions leur permettant d’exercer une part significative du pouvoir) et des directions des grandes entreprises privés, une partie plus ou moins grande des couches moyennes supérieures, des magistrats, des professions libérales (propriétaires des grands cabinets), de la haute fonction publique, des hauts officiers de l’armée, de certains dirigeants des syndicats complaisants, des dirigeants communautaires religieux ou pas, des patrons de médias, des intellectuels et professeurs d’université qui contribuent à la production idéologique du néolibéralisme, des artistes du système, des grands sportifs instrumentalisés par le système.
La petite bourgeoisie comporte une partie des couches moyennes supérieures, les couches moyennes intermédiaires dont les personnels administratifs, une partie des professions libérales, la majorité des fonctionnaires (qui pour la plupart d’entre eux sont très utiles et indispensables mais ne produisent pas de plus-value et sont donc payés par la plus-value dégagée dans l’économie productive), des paysans propriétaires, la majorité des forces de l’ordre et de la justice, les retraités ayant un patrimoine significatif (au-delà de leur habitation principale) ou des revenus significatifs hors des systèmes de retraite par répartition. Une partie importante de cette petite bourgeoisie est de plus en plus confinée à un rôle de simple exécutant et / ou de consommateur du système capitaliste. C’est ce qui peut amener cette petite bourgeoisie à s’allier avec le prolétariat.
La contradiction principale dans les pays capitalistes développés réside dans l’opposition du prolétariat contre l’oligarchie capitaliste. Cette lutte des classes reste le moteur de l’histoire. La contradiction principale n’est pas entre l’oligarchie capitaliste et la petite bourgeoisie. Mais un processus de transformation sociale et politique ne peut advenir sans qu’une partie majoritaire de la petite bourgeoisie choisisse de s’allier avec le prolétariat dans un bloc historique.
Comme dans les pays capitalistes développés, l’État organise un contrôle social sur la société civile, le processus ne peut pas être enclenché sans qu’un bloc historique soit constitué entre le prolétariat, ses alliés de la petite bourgeoisie et une partie dominante de la société civile notamment sur le plan culturel et idéologique. Voilà pourquoi l’une des conditions indispensables est la victoire préalable d’une nouvelle hégémonie culturelle par un lien dialectique entre les luttes sociales et une éducation populaire refondée en utilisant toutes ses méthodes ascendantes et descendantes. On comprendra donc qu’un bloc historique, c’est plus qu’un simple front de classes.

Constitution objective et construction subjective

La notion de classe comme la notion de peuple a deux aspects, un aspect objectif (en soi) et un aspect subjectif (pour soi). Tout ce que nous venons de dire plus haut renvoie à une conception objective de la notion de classe ou de la notion de peuple. Mais la conception objective, seule, ne permet pas la mise en mouvement ni de la classe ni du peuple. Par exemple, aujourd’hui, nous voyons que les deux tiers du peuple objectif (du peuple en soi) étaient contre les lois travail mais que la majorité d’entre eux ne se sont pas mobilisés pour autant. Pour qu’une classe ou un peuple se mette en mouvement, c’est –dire devienne un peuple pour soi ou une classe pour soi, il faut que le caractère subjectif soit constitué et que donc les éléments constitutifs de la classe ou du peuple d’abord se reconnaissent en elle ou en lui et ensuite décident d’agir avec elle ou avec lui. On parle alors de peuple mobilisé (le peuple pour soi) ou de classe mobilisée (la classe pour soi). Là encore, le lien dialectique entre les luttes sociales d’une part et l’éducation populaire refondée d’autre part est un vecteur de cette constitution subjective d’une classe pour soi ou d’un peuple pour soi).

Fédérer le peuple

Pourquoi faut-il travailler à fédérer le peuple dans une démarche agonistique, surtout dans un pays développé ?
Parce qu’aucune classe seule ne peut engager un processus de transformation sociale et politique. Elle a besoin d’alliances et même plus de constituer un bloc historique capable d’engager la transformation. Constituer ce bloc historique, c’est fédérer le peuple.
Comme en 1792, lorsque la Législative « considérant qu’il est avantageux de resserrer les liens de fraternité qui unissent les Gardes nationales de tous les autres départements avec celle de Paris », décrète que 20 000 gardes nationaux se réuniront à Paris le 14 juillet pour protéger la capitale. Le roi met son veto. L’Assemblée passe outre. Les fédérés demandent la déchéance du roi, popularisent le Chant de l’armée du Rhin, devenu la Marseillaise, et participe à l’insurrection du 10 août 1792, qui permit la création de la 1ère République, républicaine, elle, le 22 septembre 1792
Comme en 1871 avec, d’un côté les versaillais, de l’autre les fédérés de la Commune. C’est pourquoi le mur des fédérés dans le cimetière du Père Lachaise reste un symbole de la fédération des fractions rivales du socialisme français.

À suivre.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Pour avoir des intervenants pour vos formations, vous pouvez contacter soit Respublica sur evariste@gaucherepublicaine.org soit le Réseau Éducation Populaire sur reseaueducationpopulaire@gmail.com