Condition de la femme en Tunisie : les enjeux d’une révolution

La vague de contestation que vivent actuellement un certain nombre de pays arabes entraînera-t-elle nécessairement une amélioration de la condition de la femme ?

C’est à cette question, à la fois complexe et cruciale, que le quotidien El Watan a tenté de répondre vendredi à travers l’organisation, à l’hôtel Sofitel d’Alger, d’une conférence-débat à laquelle ont été conviés Belhaj Hmida, avocate auprès de la Cour de cassation de Tunis et cofondatrice de la section tunisienne d’Amnesty international, Nourredine Saâdi, professeur de droit public et de science politique à l’université d’Artois en France, Fadhila Boumendjel-Chitour, ancien chef de service d’endocrinologie du CHU de Bab El Oued et membre du réseau Wacyla d’aide aux femmes et enfants victimes de violences, et Sihem Habchi, présidente de l’Association française Ni putes ni soumises. Evoquant le cas de la Tunisie, Belhaj Hmida a d’emblée regretté le fait qu’au-delà d’avoir dénoncé le régime en place, condamné la corruption et prôné la fin des discriminations et des inégalités, la révolution, qui a actuellement cours dans son pays (la révolution du Jasmin, ndlr), ne porte pas de projet de société.

Cela l’amènera d’ailleurs à parler de «révolution muette». Pour l’intervenante, le constat n’est pas fait pour rassurer dans la mesure où «chacun confère aujourd’hui à cette révolution muette les objectifs qu’il veut». La situation, ajoute-t-elle, est inquiétante d’autant plus que les islamistes tunisiens structurés notamment autour du mouvement Ennahda cherchent, en catimini, à remettre en cause le code de statut personnel adopté en 1956 et les lois promulguées sous Ben Ali qui concèdent à la femme tunisienne un certain nombre de droits. «Les islamistes ont été victimes de toutes les formes de répression pendant des années. Maintenant, ils bénéficient de tous leurs droits et ont une liberté d’action. Cela est valable aussi pour ceux qui étaient en exil ou en prison. Pour le moment, ils tiennent un discours modéré. Ils se sont mêmes engagés à respecter le code de statut personnel.

D’ailleurs, leur direction a promis de ne pas toucher aux droits des femmes. Ça c’est un fait», mentionne Mme Belhaj Hmida. Mais celle-ci a tout de même tenu à préciser tout de suite après que «ce que dit Ennahda publiquement est tout à fait différent du discours qui est tenu dans les réunions restreintes».

A ce propos, l’invitée des Débats d’El Watan – qui est aussi l’une des fondatrices de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) – a fait savoir que «le mouvement Ennahda prend de l’ampleur tous les jours et qu’il contrôle déjà toutes les mosquées du pays». «Le mouvement Ennahda a des moyens financiers dont ne dispose aucun autre parti. Je puis vous assurer que le discours tenu par son porte-parole n’est pas du tout celui que nous lisons tous les jours dans les journaux. Il y a là un double langage. La presse qui lui est proche ne cesse d’ailleurs d’appeler à ouvrir un débat sur cette ‘’vache sacrée’’ qu’est le code portant statut personnel», a-t-elle révélé.

La conférencière s’est ainsi fait un devoir d’énumérer les acquis importants que ces lois ont permis d’engranger et les risques qu’il y aurait à les annuler.

Elle rappellera, entre autres, que le code portant statut personnel, qui a été voté avant même la promulgation de la Constitution tunisienne, a aboli la polygamie, instauré l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de divorce et octroyé au couple avec ou sans enfant le droit à l’adoption. «Ce code a donné aux femmes une certaine citoyenneté et une certaine liberté dont elles ont pu jouir au fil des années. Mais il s’est avéré que cela était insuffisant. C’est pour cela que les Tunisiennes ont continué à batailler pour obtenir plus de droits», a-t-elle mentionné.

Mme Belhaj Hmida a ajouté que «même sous Ben Ali, les Tunisiennes ont obtenu des acquis en matière de divorce et de nationalité». C’est aussi sous Ben Ali, a-t-elle poursuivi, que les violences conjugales sont devenues une infraction passible de sanctions. Mais dans tous les cas, elle a dit ne pas être dupe et ne pas ignorer aussi que les droits des femmes ont été instrumentalisés et utilisés par le pouvoir de Ben Ali comme un rempart contre l’islamisme politique qui risquait de le concurrencer.

Aussi, Belhaj Hmida a invité à considérer le cas tunisien sans euphorie surtout que parmi les acteurs de la révolution du Jasmin, certains se sont montrés allergiques au débat sur les droits de la femme. Dans ce contexte, la conférencière – tout en se refusant à faire dans l’alarmisme – n’a pas manqué d’appeler à la vigilance. «Je ne pense que nous n’ayons pas le droit de ne pas être vigilants et nous n’avons pas le droit de banaliser la réalité tunisienne», a-t-elle soutenu, tout en regrettant le fait que l’opposition démocratique reste sourde aux revendications des femmes. «Pour l’opposition démocratique aujourd’hui, l’enjeu des droits des femmes est considéré comme quelque chose de très secondaire. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de parti politique en Tunisie porteur d’un projet différent de celui d’Ennahda. Certes, il y a bien des groupuscules (progressiste, ndlr). Mais ceux-ci sont plus occupés par la prise de pouvoir que par la construction d’un véritable projet de société», a-t-elle martelé.

Compte tenu de l’évolution de la situation, Belhaj Hmida a prévenu aussi que «la bataille pour l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas facile». «Si nous perdons cette bataille, cela ne sera pas la faute d’Ennahda. Nous n’aurons pas pris en considération toutes ces données. Nous aurons négligé la réalité», a-t-elle insisté, avant d’appeler «les forces progressistes et démocratiques à unir leurs forces et à mettre de côté leurs ambitions personnelles pour que cette Tunisie et cette Algérie se construisent sur la base de la citoyenneté, de l’égalité et de la justice sociale».

Zine Cherfaoui