L’enfer, c’est la vérité perçue trop tard

Combattre les décapitations des conquis sociaux des trente dernières années demande de comprendre comment cela a été possible. Il faut donc remonter aux causes : la crise du capital dès la fin des années 60 bien sûr, mais aussi la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle lancée par une avant-garde de la grande bourgeoisie dès la Libération, sans conteste. Mais encore, le fait que la gauche a mis du temps à comprendre le réel (d’où le titre de cet l’article) car à trop tarder à comprendre la vérité du réel, cela empêche la gauche de saisir les opportunités que lui offre l’actualité politique et sociale. Le nouveau management « moderne » du néolibéralisme nous vient directement du management nazi via l’ordolibéralisme allemand. Vous doutez ? Allez lire l’un des meilleurs historiens contemporains, Johann Chapoutot1 ! Et le travail politico-culturel des économistes ordolibéraux en France aux lendemains de la Libération est peu connu (raison de plus de lire les travaux d’Hugo Canihac).
Le néolibéralisme au niveau de l’État commence en France en 1983, mais la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle capitalistique démarre pour les fractions d’avant-garde de la grande bourgeoisie dès la Libération. Les avancées du Conseil national de la Résistance lui sont insupportables (voir à ce sujet les travaux de Brigitte Gaïti ou de Philip Mirowski) !
Vivre les conséquences sociales des trente dernières années sans lier cela au réel et donc à sa sociohistoire, c’est se tirer une balle dans le pied pour espérer avancer plus vite.
La gauche s’est fracassée d’abord parce qu’une partie d’entre elle s’est soumise aux politiques néolibérales et ses inégalités obligatoirement croissantes jugées modernes face à la lutte des classes promue par le modèle politique de la république sociale et son universel concret jugés archaïques. Puis, une autre partie de la gauche a fétichisé les révolutions du XXe siècle et a voulu appliquer des recettes utilisées dans des pays sous-développés qui sont totalement inefficaces dans les pays développés. Et plus récemment, nous avons vécu une cécité croisée au sein de la gauche, avec d’un côté les partisans de l’universel abstrait sans analyse de classe et de l’autre côté le développement de la gauche identitaire, indigéniste et victimaire privilégiant l’essentialisation des discriminations de « genre » et de « race » jugée moderne face à la lutte des classes et à la République sociale jugée archaïque (lire à ce propos dans Le Monde diplomatique l’article « Impasse des politiques identitaires » de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel).

Bien évidemment, le renouveau de la lutte des classes et de son projet politique de la République sociale liée à un universel concret passe par une globalisation des luttes intégrant les luttes féministes, démocratiques, laïques et antiracistes, mais en refusant de participer à l’invisibilisation de la classe populaire ouvrière et employée, pourtant majoritaire dans le pays, à qui l’on dénie toute visibilité médiatique et politique. Si on peut facilement justifier les processus de promotion des femmes et des représentants des minorités de « couleur » à des postes de responsabilités, il faut avoir une poutre dans l’œil pour ne pas s’apercevoir que dans notre formation sociale capitaliste tout cela se fait avec l’exclusion tacite de la visibilité des ouvrières, des employées, des ouvriers et des employés sans que la gauche identitaire ne s’en émeuve. En fait, une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle trouve très bien de pouvoir être des leaders sociétaux à la seule condition d’en écarter les catégories populaires ! Tout cela est dans le débat depuis longtemps suite au livre du chercheur américain Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité.

Forts de cette réflexion, nous engagerons 2021, « drapeau déployé » :
– Laïcité et République sociale ;
– Combat laïque, combat social, fédérer le peuple.

 

 

1 Libres d’obéir : le management du nazisme à aujourd’hui, Johann Chapoutot, Gallimard, 2020.