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Sur la géostratégie américaine

La publication à la une la semaine dernière de l’article de Ho Hai Quang  « De la géostratégie américaine à la guerre en Ukraine » a suscité plusieurs réactions. Nous publions l’une d’elles, accompagnée de la réponse de l’auteur.

Courrier de Laurent Matejko

Merci de votre newsletter qui montre une certaine complexité interne…

Il y a de l’ironie à lire sur votre site un très intéressant article sur la pseudo-histoire, et en même temps un énième article sur la guerre russo-ukrainienne qui ressasse les obsessions anti-américaines de certains contributeurs. Que les USA soient impérialistes est un fait acquis, mais que vos contributeurs écartent avec régularité tous les éléments factuels et historiques qui amènent à cette guerre est profondément gênant :

À quand des contributions sérieuses sur le sujet, qui ne soient pas des resucées des années 60 ? Bonne continuation à vous.

Réponse de Ho Hai Quang

Merci pour vos analyses et critiques sur mon article « De la géostratégie américaine à la guerre en Ukraine ». Vous trouverez ci-dessous mes réponses point par point.

1 – Vous écrivez : « que vos contributeurs écartent avec régularité tous les éléments factuels et historiques qui amènent à cette guerre est profondément gênant ».

Dans mon article, j’ai volontairement écarté « tous les éléments factuels et historiques qui amènent à cette guerre ». C’est un choix et en voici les raisons. Tout d’abord, ces « événements » sont ressassés tous les jours en long, en large et en travers, dans la presse écrite et à la télé. Tout le monde les connaît. À quoi bon les reprendre dans mon article ? Mais surtout, l’accumulation, dans le plus grand désordre, de très nombreux « éléments factuels » est contre-productif parce que l’on ne sait plus quel est le facteur essentiel ni comment il s’articule avec tous les autres pour former une explication d’ensemble cohérente. Il y a une différence entre un tas de briques jonchant le sol et un mur en briques construit selon un plan !

Pour que le lecteur ou l’auditeur s’y retrouve au milieu de « tous les éléments factuels et historiques » déversés pêle-mêle dans la presse, il faut les organiser selon un fil conducteur. Je considère que le plus pertinent est celui proposé par Zbigniew Brzeziński dans Le grand échiquier. Or, vous balayez toute sa vision d’un revers de main sans formuler aucune critique. Vous descendez avec condescendance « le bon vieux Brzeziński » sans nous expliquer pourquoi sa vision géostratégique ne vous semble pas pertinente. Je crois utile de rappeler que Zbigniew Brzeziński, après avoir été le principal conseiller aux affaires étrangères de Jimmy Carter, a ensuite été « l’éminence grise de la politique étrangère américaine » de tous les présidents des États-Unis (sauf Bush fils) jusqu’à Obama. D’ailleurs, ce dernier l’avait même nommé conseiller aux affaires étrangères lors de sa campagne présidentielle(1)Écouter : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-2eme-partie/portrait-de-zbigniew-brzezinski-eminence-grise-de-la-politique-etrangere-americaine-2870010.

2 – Vous écrivez : « L’expansion de l’OTAN s’est faite d’abord et avant tout à la demande des pays proches de la Russie, lesquels ont subi trois siècles d’impérialisme depuis Pierre Ier ».

Vous avez parfaitement raison : c’est bien la crainte de l’impérialisme russe qui a poussé un certain nombre de pays d’Europe centrale vers l’OTAN. Notons cependant au passage que l’impérialisme russe est un impérialisme « continental », exactement le même que celui déployé par les États-Unis (Texas, Californie) au milieu du XIXsiècle.

Certes, il y a eu des demandes d’adhésion à l’OTAN par d’anciennes « démocraties populaires » (Hongrie, Pologne…). Mais c’est bien aux pays de l’OTAN et, surtout aux « USA (qui) y sont largement dominants » qu’il appartient de décider s’il faut donner une suite favorable ou non à ces demandes. Or vous le savez, en 1990, James Baker, secrétaire d’État américain, avait promis à Mikhaïl Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce vers l’Est ». Consultez les documents récemment déclassifiés par la National Security Archives (https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early). En vertu de cette promesse, les États-Unis auraient dû rejeter toutes ces demandes d’adhésion. Mais ils n’ont pas tenu parole. Pourquoi ? Par bonté d’âme ? Il est clair que l’Alliance atlantique a intégré les anciennes « démocraties populaires » parce qu’elle y trouvait aussi son intérêt. Vous le comprenez parfaitement.

3 – Vous écrivez : « Et le comble de mon point de vue : la surestimation incroyable de l’intérêt porté à l’Ukraine par les USA… Mais que ce soit les administrations Obama, Trump et même Biden, aucune n’a marqué un intérêt particulier à ce pays ».

Je pense que vous vous méprenez totalement ! Pour l’OTAN, et donc pour les États-Unis, l’Ukraine occupe une position stratégique de première importance. Voici ce que l’on peut lire sur le site de l’OTAN concernant l’historique de ses relations avec l’Ukraine :

La stabilité de la zone euro-atlantique passe par une Ukraine forte et indépendante. L’OTAN a entamé des relations avec ce pays au début des années 1990. Ces relations ont ensuite évolué jusqu’à constituer l’un des partenariats de l’Organisation les plus substantiels. À partir de 2014, année où la Russie a annexé, illégalement, la Crimée, la coopération entre l’OTAN et l’Ukraine s’est intensifiée dans plusieurs domaines d’importance critique. En 2022, du fait de l’invasion à grande échelle du pays par la Russie, l’OTAN et les Alliés ont accru l’aide fournie à Kiev, qui a atteint une ampleur sans précédent 

Source : https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_37750.htm

Deux remarques s’imposent.

4 – Vous écrivez : « Et pour conclure : Moscou invoque des raisons de sécurité pour envahir l’Ukraine, alors que ni ce pays, ni ses voisins, ni l’OTAN ne sont en réalité en situation d’être un danger pour une Russie… Comment imaginer que les paisibles pays européens, aux armées dépenaillées, totalement impréparées psychologiquement à un conflit militaire, pourraient se lancer à l’assaut de la Russie… L’hypothèse que la Russie puisse être menacée est du plus haut ridicule ».

Conclusion absolument sidérante ! En effet, le rapport de forces au point de vue militaire penche TRÈS LARGEMENT du côté de l’OTAN (30 pays). C’est ce qu’indique le Global Firepower (https://www.globalfirepower.com/) qui établit chaque année le classement des pays militairement les plus puissants en calculant pour chacun d’eux un indicateur synthétique, le PowerIndex, combinaison de 60 indicateurs partiels (budget militaire, forces terrestres, aériennes, navales…). Pour vous rendre compte de votre erreur, je vous invite à examiner le classement pour 2023 (https://www.globalfirepower.com/countries-listing.php).

De plus, on sait que « certains » dirigeants de l’OTAN voudraient pénétrer militairement en Russie dès aujourd’hui. En effet, le 18 février 2023, de retour du sommet sur la sécurité internationale à Munich, Emmanuel Macron, dévoile aux journalistes : « Je ne pense pas, comme certains, qu’il faut défaire la Russie totalement, l’attaquer sur son sol. Ces observateurs veulent avant tout écraser la Russie ».

Je crois que trois raisons s’opposent actuellement à ce que l’OTAN déclenche une riposte contre la Russie sur son sol :

  1. L’Ukraine n’est pas un membre de l’OTAN ; si cela avait été le cas, la réplique militaire de l’OTAN contre la Russie aurait été immédiate (article 5 du traité de l’Atlantique Nord). On comprend pourquoi Volodymyr Zelensky a signé le 30 septembre 2022 une demande officielle d’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’OTAN : pour l’entraîner automatiquement et immédiatement dans un affrontement militaire direct avec les Russes.
  2. La Russie, pays extrêmement vaste, est la seconde puissance militaire mondiale, juste derrière les États-Unis. Son PowerIndex est très proche de celui des États-Unis et elle possède l’arme nucléaire.
  3. À l’échelle mondiale, les dégâts humains, matériels… d’un tel conflit militaire seraient colossaux. Il n’y aurait que des perdants.
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