Lettre ouverte à Eric Zemmour

J’ai longtemps réfléchi avant de vous écrire. Je ne sais pas si vous lirez cette lettre ou si vos soutiens, très, trop nombreux sur le Net se chargeront de vous faire part des quelques réflexions que je voulais vous exposer publiquement.

Comme vous le savez, nous avons quelques amis en commun, je ne citerai pas leur nom par respect pour eux. Mais aussi parce que cela n’a rien à voir avec mon propos. Si j’évoque ce détail, c’est tout simplement en raison du fait que j’avais, à quelques reprises, cité votre travail en leur présence. Certaines de vos sorties, très inopportunes et impudentes au demeurant, et je ne parle pas des plus récentes sur lesquelles je reviendrai, m’ont incité à me questionner et à questionner sur votre personne. Nos amis communs presque instinctivement me répondaient : « Mais non ! Non ! Il n’est pas raciste ! »

Pour être franc avec vous, je ne pense pas du tout que vous soyez raciste. Idéologiquement, si on devait vous classer ce serait plutôt aux côtés des réactionnaires de droite. Mais être un « réactionnaire de droite » n’est pas un crime dans une société démocratique. Ce n’est d’autant pas un crime que vous êtes, j’en suis convaincu, sincèrement attaché à cette idéologie. Une doctrine nostalgique chevillée au corps d’une France rance et passéiste vous anime et dicte vos écrits et votre propos. Le féminisme, les luttes contre l’homophobie, l’antiracisme, l’intégration, la défense des valeurs universelles et j’en passe, sont des histoires pour les gauchos et les BO-BO qui, pour vous, font tous dans le « politiquement correct ».

D’abord, par principe, je suis toujours sidéré, par exemple, par les personnes qui, tout en se disant antiracistes, passent leur temps à attaquer les organisations qui luttent justement pour endiguer le racisme et les discriminations. Je suis membre de SOS Racisme, et je comprends qu’on puisse ne pas être d’accord avec telle action ou tel communiqué. J’admets aussi que le positionnement progressiste de l’organisation puisse déplaire à des réactionnaires de droite. Tout ceci fait partie du jeu démocratique alimenté de disputes et de controverses. Mais qu’on vienne remettre en cause tout le travail des militants antiracistes qui, contrairement à vous, ne sont pas payés à chaque fois qu’ils ouvrent leur gueule, c’est vraiment affligeant.

Ensuite, je dois vous dire que généralement ceux qui vilipendent les associations antiracistes sont les premiers à déraper. Curieux hasard, ne trouvez-vous pas ? Et encore une fois, je le re-précise si besoin est, je ne suis pas en train de vous accuser de racisme. Vous n’êtes qu’un « réactionnaire de droite ». Et je vous rappelle d’ailleurs que les propos de nature raciste ne sont pas forcément et systématiquement tenus par des racistes. Certains d’entre eux ne dérapent jamais publiquement alors que le racisme peut sortir de la bouche de personnes qui ne sont pas proches d’une telle idéologie. Et c’est à ce titre que je trouve votre dernière sortie de nature raciste et plus encore contre-productive, inutile, méchante et bête.

Alors oui vous avez dit probablement une « vérité ». Cela dit, tenter de justifier les contrôles au faciès par le fait que la « plupart des délinquants sont des Noirs et des Arabes » est tout simplement lamentable quand une telle phrase est prononcée par un éditorialiste « sérieux ». Je mets ce mot entre guillemets parce que vous ne l’êtes pas et quand bien même des millions de signatures et des centaines de millions de pétitions viendraient affirmer le contraire, je maintiendrais que vous n’êtes pas sérieux. Vous ne l’êtes pas parce que vous vous appropriez un poncif, une caricature, un simplisme. Vous ne l’êtes pas parce que vous plagiez une discussion de comptoir entre beaufs, parce que vous faites dans le populisme de caniveau et parce que vous êtes dans le poujadisme policier le plus déplorable. Le rôle d’un éditorialiste ne consiste pas justement à reprendre ces « faits avérés », dit-on, et à les brandir tel un argument tangible dans un débat où l’on parle de sujets graves, très graves. Votre mission d’observateur averti doit vous inciter, non pas à répéter comme un ara un « fait avéré », mais à décrypter cette « réalité » et rappeler par exemple que dans tous les pays du monde la délinquance touche principalement les quartiers les plus défavorisés. Aux États-Unis la « plupart des délinquants » sont des Noirs et des hispaniques ; en Chine les « délinquants » viennent de provinces éloignées et miséreuses. C’est le cas aussi à Dakar, à Alger, à Casablanca, mais également à Londres, à Hambourg et à Bruxelles. Le banditisme sort des endroits les plus délaissés, c’est un autre « fait avéré ».

La délinquance existe là où surtout il y a une “minorité” de services publics, là où la police de proximité a été supprimée, là où le chômage est le plus élevé. Et ces gens-là, issus de ces quartiers “de
voyous”, “d’étrangers” , de “délinquants” , sont également issus de quartiers où les gens ont le moins de travail et un maximum de problèmes sociaux. Alors oui là, la plupart des Noirs et des Arabes y vivent. Alors oui peut-être que la plupart d’entre eux ont sombré dans la délinquance. Oui c’est une réalité. Et alors ? On en déduit quoi ? Que ces « gens-là » seraient génétiquement prédisposés au crime ? Non ! Cette « réalité » peut-elle justifier un harcèlement policier à priori ? Non ! Parce que si tel était le cas, il faudrait installer des postes avancés de la Brigade financière à Neuilly-sur- Seine et dans tous les beaux quartiers.

Je vous donne une autre information d’une importance tout aussi capitale que celle que vous avez livrée : « la plupart des délinquants financiers sont blancs et riches ». Le fisc devrait régulièrement faire des contrôles au faciès également dans ces lieux huppés. Oui une telle bêtise découle directement de la vôtre. Et je peux vous en soumettre une autre : La Brigade des mineurs devrait déménager et élire domicile principalement devant les églises puisque je vous rappelle qu’aujourd’hui « la plupart des pédophiles sont des serviteurs de Dieu ». Voilà des poncifs similaires aux vôtres. Pour vous, de telles phrases sont-elles dignes d’un éditorialiste, d’un écrivain ou d’un journaliste ?

Je ne peux que m’inquiéter lorsque je vois des gens vous soutenir, de manière acharnée, comme si, dans cette polémique, c’est votre vie qui était en jeu. Je sais que vous êtes un nostalgique de la vieille France, mais je vous rassure : vous n’irez ni au bûcher ni à l’échafaud. Vous êtes soutenu, le plus souvent, par communautarisme ou par corporatisme, mais aussi par des « réactionnaires de droite », totalement décomplexés face au racisme. Être porté par un esprit communautariste ! C’est le pire châtiment qu’on peut infliger à une personne se disant républicaine.

Comme vous, beaucoup de vos soutiens ne se rendent pas compte du degré de vos inepties qui n’ont d’égal que le climat crispant auquel nous sommes tous confrontés dans ce pays, cependant que l’Histoire nous enseigne, je convoque l’Histoire d’autant plus que je crois savoir que vous êtes amoureux de cette discipline, cette histoire, disais-je, nous apprend par exemple qu’Hitler répétait, dès l’âge de 20 ans, que « la plupart des proxénètes agissant à Vienne étaient juifs ». Ce « fait avéré » a donné naissance à Mein Kampf et vous connaissez la suite.

De nos jours, des islamistes voire des terroristes livrent, dans le cadre de leur propagande, d’autres « faits avérés ». Ils claironnent que « la majorité des journalistes de la presse américaine ou européenne est juive ». De nos jours encore, Tariq Ramadan, cet islamiste notoire, devant lequel vous aviez été si minable, incapable d’argumenter outre qu’avec des poncifs, est allé jusqu’à rappeler, il y a de cela quelques années, que « la plupart des intellectuels français qui défendent Israël sont juifs ». Un autre « fait avéré »! Il avait cependant osé accentuer son dérapage en livrant sa « liste d’intellectuels juifs » à tous les chiens antisémites. Chose que vous n’avez pas eu la possibilité de faire sinon je pense que vous auriez donné les noms de tous les Mohamed et les Mamadou qui dorment à la prison de la Santé ou derrière les murs de Fleury-Mérogis. N’empêche, vous avez participé, vous aussi, à alimenter tous les chiens racistes en leur proposant les clichés qu’ils applaudissent. Voilà ce que je vous reproche, entre autres choses.

Certaines associations communautaristes comme les « Indigènes de la République » insultent les Français, en les traitant de « sous-chiens », en faisant référence aux « Français de souche ». Pour justifier leur insulte, ils usent et abusent, eux aussi, d’un autre « fait avéré » qui les incite à dire que « la plupart des racistes et des colonialistes sont des Blancs ». Vais-je pour autant laisser, les uns et les autres, de Ramadan aux « Indigènes », légitimer leurs positions puantes au prétexte que « la plupart sont… » ? Évidemment non ! C’est dans la même veine donc que je condamne clairement et fermement votre dérapage. Parce que je le répète, vous avez utilisé une construction intellectuelle identique à celle d’un Ramadan ou des « Indigènes » voire, oui j’ose la comparaison, le même type de clichés qu’un Hitler dans sa jeunesse. Vous avez franchi un cap supplémentaire dans vos délires en cherchant à justifier ce qui doit être condamné, en l’occurrence l’ostracisme, en raison d’une couleur de peau, le « délit de sale gueule », en raison d’une appartenance ethnique ou la discrimination, en raison d’un patronyme ou d’un prénom. Un intellectuel, se disant démocrate, ne doit pas cautionner une pratique antirépublicaine : le contrôle au faciès au « motif que… » est tout simplement inacceptable. Je ne laisserai personne vous discriminer en raison de vos origines et vous devez faire de même à mon égard. C’est cela aussi le pacte républicain.

Vous n’êtes en réalité qu’un symptôme. Vous êtes le symptôme d’une France qui va mal, d’une France qui se cherche, d’une France malade. Vous êtes le symptôme d’une certaine élite qui au nom d’un « politiquement incorrect » très à la mode permet les dérapages d’un ministre de l’intérieur, d’un député de la majorité, d’une secrétaire d’État, d’un journaliste et j’en passe…Si c’est cela le « politiquement incorrect », je vous l’avoue : je préfère demeurer correct. Je préfère rester dans la correction républicaine qui nous incite, qui nous invite au respect de l’Autre et au respect surtout des principes qui garantissent le « vivre ensemble ».

Et justement ce « vivre ensemble », il n’a de sens qui si nous nous acceptons mutuellement. La République n’a jamais demandé à ses enfants de nier ou de renier ce qu’ils sont. Une identité est multiple et ne se résume guère à un prénom. On assimile et on s’assimile à des valeurs, à des règles et à des lois communes et non pas à une France catholique, monoculturelle, celle d’avant la Révolution, qui nous inciterait à changer nos prénoms et à renoncer à notre culture pour mieux nous « assimiler ». Vous êtes libre d’oublier d’où vous venez et d’oublier qui vous êtes. Vous êtes libre de penser qu’on ne peut être qu’une seule chose à la fois, n’avoir qu’une seule identité, n’avoir qu’une seule strate dans celle-ci et de renoncer à toutes les autres.

Vous êtes libre de vous sentir plus Français que tous les Français. Vous êtes même libre de vous penser plus Français que Napoléon, de refuser de voir que vous êtes un Français, juif, natif d’Algérie, un méditerranéen, probablement berbère. Oui évidemment vous êtes libre.

C’est votre choix et je ne le commenterai même pas. Mais vous ne pouvez pas m’imposer vos choix, qui n’ont rien à voir avec les principes républicains, en laissant croire que ceux qui ne les acceptent pas, seraient moins Français que vous. Pour être Français, il ne faut pas s’appeler Éric, il suffit d’être laïque, démocrate, républicain ; respecter la liberté, l’égalité et la fraternité et demeurer attaché aux valeurs universelles et aux droits de l’Homme.

Parce que vous semblez occulter des pans entiers de l’Histoire, vous l’amoureux de cette discipline. Vous oubliez, s’agissant des prénoms, que lorsque les Philippe (Pétain), Pierre (Laval), Maurice (Papon) ou les Joseph (Darnand) mettaient les familles juives dans les trains pour les camps de la mort et de l’horreur des Ali, Rachid, Mohamed, Mamadou et Boubakar tombaient à Monté Cassino, loin de leurs terres et loin des leurs, pour libérer ce pays qui est le vôtre, qui est le nôtre, qui est le leur. Vous oubliez aussi que Adam Rayski, résistant et cofondateur du CRIF, n’avait pas un nom très français quand il participa à la libération de la France. Tout comme les membres du groupe Manouchian qui ont donné leur vie pour recouvrer l’honneur de la France. Oui c’est ça la France ! La France, c’est Charles, mais aussi Abdelkader, c’est Adam, David, mais aussi Lassana.

Que vous l’acceptiez ou pas « la plupart » des délinquants Noirs ou Arabes ont dans leur famille un ancêtre qui est mort pour la France. Chose que vous, l’éditorialiste chevronné, vous occultez allègrement parce que faire ce rappel historique, c’est, pour vous, faire dans « le politiquement correct ». Et pour vous dire que vous vous trompez également sur cette réclamation, que dis-je, cette injonction stupide qui vous incite à subordonner l’octroi du statut du « bon Français » au changement de prénom, je vous avoue, et je m’excuse d’utiliser la première personne, je me sens plus français qu’un Jean-Marie (Le Pen) ou qu’un Bruno (Mégret) que je combats au nom des valeurs de la République. Je me sens plus proche des valeurs de la République, moi qui me prénomme Mohamed, que les convertis salafistes, les Julien ou Mathieu, que j’aie pu croiser lors de mes enquêtes journalistiques, et qui n’adhèrent pas, plus, aux valeurs universelles incarnées par la France.

Je pourrais encore écrire plusieurs pages, mais je vais m’arrêter là. Je vous rassure et je rassure vos supporters, il ne s’agit pas pour moi de rejoindre une quelconque « meute ». Celle-ci je la subis depuis de longues années pour connaître ses méfaits.

Non, je voulais publiquement condamner vos propos et vous le faire savoir en espérant que toute cette polémique que vous avez lancée permettra de faire un peu de pédagogie et d’inciter la société à réfléchir sur elle-même et de vous inciter – vous – à domestiquer à l’avenir vos démons. Parce qu’en tant que personnages publics – journalistes, politiques, intellectuels, etc. – nous avons une responsabilité , celle de l’exemplarité devant ceux qui nous suivent, nous lisent ou nous écoutent.

Par mohamed sifaoui