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Un parcours en Cisjordanie (suite)

Arrivée le 1er novembre 2014 dans la nuit à Amman. Autrefois, de Jordanie on pouvait aller au nord en Syrie. C’est exclu. Au nord-est en Irak : c’est exclu aussi. Les Musulmans peuvent toujours aller à l’est en Arabie saoudite. Nous aussi, sauf à Médine et La Mecque. Pas très envie dans ce pays de ségrégation sexuelle dominé par les féodaux. On peut traverser le golfe d’Aquaba au sud et gagner l’Égypte via le Sinaï tout en évitant le nord Sinaï. J’ai rencontré deux voyageurs qui arrivaient du Caire. Reste la Cisjordanie à l’ouest, qui constitue la Palestine occupée avec la bande de Gaza. C’est le trajet que j’avais déjà choisi en 2009.
Au cas où les Israéliens nous refouleraient, nous pouvons séjourner en Jordanie ce qui est tout de même mieux que de se faire refouler dans un avion à l’aéroport de Tel-Aviv ce qui vient encore d’arriver à deux militants de l’Association France Palestine Solidarité .
Ma compagne de voyage, Françoise, est membre d’une association de soutien aux Palestiniens à Limoges. Après deux jours à Amman, bus pour la frontière qu’on traverse avec une navette, on franchit le Jourdain par le célèbre Allenby bridge. On ne voit pas d’eau, seulement des roseaux. Le Jourdain allait se perdre dans la mer Morte qui gardait un niveau stable par le biais de l’évaporation. Aujourd’hui l’eau est détournée en amont par les Israéliens et le niveau de la mer Morte a baissé de… 27 m ! C’est pour l’eau qu’ils veulent garder le plateau du Golan confisqué à la Syrie mais aussi pour des raisons stratégiques.
Les personnes et les bagages passent au détecteur comme à l’aéroport. Après de nombreux contrôles, une femme de la police nous interroge sur notre séjour « en Israël » bien sûr. Le mot Palestine est totalement prohibé. Finalement nous avons le visa avec photo sur papier séparé : ça c’est la bonne nouvelle. Il semble que ce soit systématique maintenant. Je pourrais donc aller en Iran ou retourner au Liban avec ce passeport.
Nous prenons un taxi collectif qu’on appelle ici “service” pour Jérusalem. Porte de Damas de la vieille ville. Je retrouve mes repères et l’hôtel Golden Gate mais les prix ont augmenté en 5 ans et plus de 40 €, c’est trop. Nous en trouvons un à 40 € et nous resterons 2 jours. Françoise a 5 ou 6 kg de livres et thèse à transmettre à un directeur d’école à Jérusalem et ce sera notre première tâche. Ce directeur nous accueillera plus tard dans son village.
Bien des choses ont déjà été dites lors de mes précédents séjours en 2003 et 2009. Mais il y a des évidences qu’il faut marteler et inviter les sceptiques à venir constater de visu l’apartheid que vivent les Palestiniens au quotidien.
La vieille ville de Jérusalem est divisée en 4 quartiers : Arabe, Juif, Chrétien et Arménien.
C’est un dédale de ruelles impressionnant et pas un angle n’échappe aux caméras. Les boutiques des souks vous donnent l’impression d’une immense caverne d’Ali Baba. Nous allons au Mur des lamentations où nous voyons de nombreuses femmes soldats. L’esplanade des mosquées est fermée.
Nous convainquons une Chinoise de Taïwan de nous accompagner à Bethléem ( c’est-à-dire de l’autre côté du mur ). Au Centre d’informations touristiques je vais voir la responsable et je lui raconte (5 ans plus tard ! ) comment la lettre qu’elle avait confiée à une Française pour être postée à Paris avait été volée par les Israéliens à l’aéroport de Tel Aviv.
Nous trouvons un hébergement dans la guest house du camp de réfugiés de Deisheh à 3 km. Il faut savoir que les camps palestiniens – que ce soit en Palestine ou au Liban – sont des quartiers de ville en dur, bien délimités et gérés par l’ONU en ce qui concerne les écoles, l’eau, l’électricité et la distribution de vivres de 1ere nécessité (huile, farine, sucre..)
L’UNRWA, l’agence de l’ONU, dispense ses services dans 59 camps (Gaza, Cisjordanie où nous sommes, Jordanie, Liban et Syrie ). Elle emploie plus de 25 000 personnes dont 99 % de Palestiniens, enseignants, médecins ou travailleurs sociaux. 70 % du personnel travaille dans le secteur éducatif. Israël comme le Hamas critiquent les programmes scolaires de l’UNRWA.
Dans le grand camp de Saïda au sud-Liban j’avais dû demander un laisser-passer aux services de renseignements de l’armée libanaise qui contrôlaient l’entrée du camp et ne laissaient pas entrer du ciment par exemple, pour qu’on ne puisse pas construire. Problème puisque la démographie augmente. On peut être hébergé dans les camps moyennant une somme modique (environ 10 E ) et c’est ce que j’ai toujours pratiqué au Liban, les hôtels étant trop chers.

A Jérusalem nous avons recherché le Centre d’informations alternatives très près de la vieille ville. En 2003 nous y avions rencontré Michel Warshawski écrivain et militant franco-israélien dont je vous recommande la lecture. Le Centre est fermé et c’est une grande déception. Il abritait plusieurs organisations hostiles à la politique israélienne (B’Tselem, Ta’ayush, Femmes en Noir, Anarchistes contre le mur, Comité israélien contre les démolitions de maisons, Refuzniks qui sont des soldats refusant d’intervenir dans les Territoires occupés…). Le Centre est une initiative palestino-israélienne.
Nous gagnons le camp de Aïda adossé au mur. Les Palestiniens utilisent ce mur géant pour s’exprimer, souvent avec humour à travers dessins et slogans en arabe ou en anglais. Les plus belles fresques sont éditées en cartes postales à Bethléem. L’une d’elles représente le Pape venu ici au mois de mai. On retrouve partout un petit personnage, Handala, qui tourne toujours le dos et commente ce qu’il voit. Son créateur, le caricaturiste palestinien Naji al Ali a été assassiné à Londres en 1987 probablement par les services israéliens. Françoise achètera son livre dans une librairie de Naplouse dont nous reparlerons.

 

 

 

 

 

 

 

Bethléem, camp de Aïda

Dans le camp de Aïda il y a Al Rohwad (les Pionniers), association dynamique qui fait du théâtre avec des jeunes du camp qui sont venus en France à plusieurs reprises. Nous rencontrons le directeur, Abdelfattah : « Dans un camp comme Aïda où il n’y a plus d’espace, où le héros est celui qui porte le fusil et où le grand rêve est de mourir pour la Palestine, il fallait inventer un lieu où rester vivant. En résistant sans aucun compromis, mais en offrant d’autres possibilités aux enfants que celle d’aller se faire sauter dans un bus. »
Nous entendons des sortes de pétards. Abdelfattah nous dit que ce sont les grenades lacrymogènes tirées par les soldats près du mur à l’entrée du camp. Nous le quittons précipitamment. Les jeunes jettent des pierres. Schéma classique et quotidien et baptême de lacrymos pour Françoise. Mais soudain une vingtaine de grenades arrivent en même temps. L’air est saturé. Nous ne pouvons que fuir avec les jeunes par les ruelles.
Nous arrivons près d’un hôtel de luxe en même temps que des touristes qui descendent d’un autocar et nous mélangeons à eux avec nos yeux rouges pour aller nous laver le visage dans les toilettes (de luxe!). Puis nous regagnons la guest house du camp avec ses 4 dortoirs et sa cuisine équipée mais où nous sommes les seuls occupants.
Nous consacrons une journée à Hébron. Un jeune nous suit discrètement dès la sortie du bus. Il a un peu d’artisanat à vendre. A proximité de la vieille ville il nous guide à travers les oliveraies en terrasses. Nous tombons sur une patrouille de 3 jeunes soldats. Je décide de leur parler (En 2003 lorsque j’étais avec un groupe militant il était strictement interdit de leur parler).
« Vous n’en avez pas marre de la guerre ?
– On doit protéger nos compatriotes !
– Mais à Hébron vous êtes 2 000 militaires pour protéger 500 colons religieux fanatiques!
– Mais il y a du terrorisme !
– Vos leaders ont été considérés comme des terroristes quand ils luttaient dans des organisations clandestines… »
Je leur parle aussi des refuzniks et les photographie avec leurs armes sorties d’un film de Rambo.
Puis nous continuons avec le jeune Palestinien à qui Françoise achète de l’artisanat. Plus tard nous visiterons la partie mosquée du Temple d’Abraham, la partie synagogue n’étant pas accessible car c’est sabbat (samedi). Je prendrai une photo de jeunes colons descendant l’avenue, chemise blanche et kippa, l’un d’eux avec son fusil M-16 en bandoulière.

La vieille ville est encore en grande partie désertée. En 2003 elle subissait un couvre-feu de 24h sur 24. Ce qui fait que les étudiants et les travailleurs avaient dû la quitter pour la ville moderne. Les autres communiquaient par les terrasses. Je me souviens avoir vu le graffiti d’un colon sur une boutique palestinienne dont la serrure avait été soudée : Arabs are sand niggers (les Arabes sont les nègres des sables).
Cette fois je vois Gaz the Arabs (Gazons les Arabes ). Quel retournement de l’Histoire ! Israël est un État raciste avec un gouvernement raciste. Les Arabes qui vivent en Israël (environ 1 700 000 ) sont des citoyens de seconde zone malgré le bla-bla officiel, démocratie etc. Mais Netanyaou est en train de clarifier les choses. Il manœuvre avec l’extrême-droite pour créer un État juif. Il n’y aura plus d’ambiguïté. Mandela ne s’y était pas trompé. Fin de l’apartheid en Afrique du Sud mais restait la Palestine.
Pour ma part je considère les Juifs et les Israéliens comme ni pires ni meilleurs que les autres. C’est pourquoi je refuse d’employer le mot “antisémitisme”. Le vrai problème c’est le racisme. Il y a des gens parmi eux qui se considèrent comme “à part” et nous sommes les goys. Je me refuse à les considérer comme “à part”.
De même les Palestiniens ne sont ni pires ni meilleurs que les autres et s’il faut les soutenir c’est parce que leur pays est occupé militairement, administrativement, économiquement et que l’hypocrisie qui permet que l’occupation perdure a trop duré.

A suivre

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