Le service public de l’eau: l’actualité du débat

L’eau pose les mêmes questions que celles évoquées à l’occasion de la campagne présidentielle française. Il est donc logique d’effectuer un parallèle entre l’analyse faite sur l’eau, bien public, à l’occasion du Forum mondial de Marseille (mars 2012) et la grande confrontation démocratique à laquelle est convié le peuple français, y compris les réactions populaires suscitées par le FAME (1)Cf. Colloque (26/01/12), organisé par l’Assemblée Nationale en préparation de ce Forum, qui a suscité une contre- manifestation publique du Fame (Forum Alternatif Mondial de l’Eau) animé par nombre d’ONG. à l’occasion des événements de Marseille.

Comment l’eau, bien public peut être accessible à tous ?

L’eau, comme l’air, est indispensable à la vie : un enfant meurt toutes les quinze secondes (faute de quantités suffisantes d’eau à absorber ou de maladie pour cause d’eau polluée) ; on estime que le volume moyen d’eau disponible pour chaque individu doit dépasser 2500 M3/an pour qu’il ne soit pas en zone « vulnérable » (2)La France, par exemple, est en moyenne à 3375 M3, mais l’Espagne à 2243 et la Chine à 2080 M3/an (donc sont en situation «vulnérable ») , et surtout dépasser 1750 M3 par an; sinon, il est en «situation  de pénurie» (ou «stress hydrique»). Or la population de certains pays se trouve dans cette situation, en particulier l’Inde, le Pakistan, tous les pays du Maghreb et ceux du Moyen Orient. Ce n’est donc pas dû à un déficit mondial (car il y a plus d’eau disponible que de besoins, l’eau étant une matière renouvelable, facilement stockable et déplaçable), mais c’est surtout à un déséquilibre géographique, auquel s’ajoute un «déséquilibre économique» ; ce qui est particulièrement le cas de nombreuses zones africaines, où la pauvreté empêche de rendre l’eau disponible, faute d’investissements potentiels. En effet il faut amener l’eau à portée des foyers et la purifier pour qu’elle reste potable, ou bien créer des réseaux d’irrigation pour l’agriculture (qui absorbe les 2/3 de l’eau utilisée, contre 20% pour l’industrie et 10% pour les usages domestiques) ; ce qui demande d’importants crédits (3)Tout utilisateur d’eau ne doit pas être, en ville, à plus de 200 mètres d’une canalisation et, à la campagne, à plus de 15 minutes de marche à pied . Toutes ces raisons font que plus d’un milliard d’individus est non alimenté en eau et 2,5 milliards ne disposent pas d’eau potable, faute de système d’assainissement.

L’avenir est angoissant du fait de l’augmentation prévisible de la population (1/3 d’ici 2050) et du fait des activités humaines susceptibles d’accroître les consommations d’eau (développement d’infrastructures hydrauliques, conversion ou surexploitation des terres, polluants chimiques ou animaux, urbanisation) qui font que les besoins en eau augmenteront dans une proportion double de celle de la population. Et pourtant l’engagement du Millénaire a été pris par l’ONU de réduire de moitié en 2015 le nombre des habitants non alimentés en eau et non assainis (4)Objectif déclaré de l’Onu : « Réduire de moitié pour 2015 la population qui n’a pas accès de façon durable à l’approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base » . C’est à trouver les solutions nécessaires pour réussir ce pari qu’en vue de la réunion de l’ONU à Rio en juin, a dû se consacrer  le Forum de Marseille (après ceux de Marrakech, de La Haye, de Kyoto, de Mexico et d’Istanbul) et faire avancer les solutions pratiques, et non plus seulement l’énoncé de principes généraux, plus ou moins appliqués

Comment gérer l’eau avec justice et parcimonie ?

Trois problèmes concernant directement l’eau ont opposé participants officiels et non officiels lors de ce Forum: le mode de financement, le statut juridique des compagnies, la participation
La gratuité de l’eau ? L’argument des partisans de la gratuité est qu’en soi, l’eau est «un don du ciel qui ne coûte rien» et, que, étant un bien nécessaire à la vie, elle doit être distribuée à tous, quels que soient leurs moyens financiers. On répondra que, si l’eau ne coûte rien à produire, elle coûte à distribuer et à purifier : ce sont ces services que l’on rétribue, faute de quoi les investissements nécessaires ne seraient pas réalisés et, de plus, la gratuité, entraînant un certain laisser-aller, exigerait des investissements supplémentaires. Entre ces positions opposées, des solutions médianes proposent la gratuité pour des usages de base, d’ordre «vital», à l’intention des foyers plus ou moins impécunieux (ce qui, en France, est de la compétence du Fonds de Solidarité Logement). Dans le même esprit, certains recommandent l’application de tarifs progressifs (et non plus dégressifs) avec une tranche gratuite pour les consommations de base, nul ne devant payer l’eau plus de 3% de ses revenus

La délégation de service public ? Peut-on déléguer la gestion publique de l’eau à une firme privée, et même à une multinationale, comme on le fait souvent en France (71% au privé, mais 33% en Allemagne)? Celle-ci gérera-t-elle en fonction de l’intérêt général ou du profit espéré à court terme de ses actionnaires ? Certains répondent que la multinationale a plus d’expérience que, par exemple, une régie qui ne connaît que son territoire et ne dispose pas d’experts aussi affutés. Chacun met en avant des exemples confirmant son opinion : Alger a confié sa gestion de l’eau à une société privée qui a réduit les fuites sur le réseau et les fraudes. Paris au contraire a remis en régie sa gestion de l’eau et s’en félicite (5)Initiatives de la régie de Paris : vote des usagers au CA, Observatoire pour informer les usagers, diffusion d’économiseurs d’eau, télérelève, pole de recherche et d’innovation, extension du partenariat public/public . La réponse dépend de la qualité du personnel local et de sa capacité nécessaire à surveiller efficacement la firme privée. Or une municipalité perd d’autant plus son contrôle qu’elle a confié depuis longtemps sa gestion au privé en reconduisant son contrat à la même entreprise, ce qui est d’autant plus fréquent qu’il y a très souvent accord entre les trois principales firmes mondiales pour se répartir les territoires entre elles. Il existe cependant des formules pour associer capitaux publics et privés (Sme ou Partenariat public/privé (6)Le partenariat public/privé est dangereux lorsque toute la gestion est confiée au privé en même temps que tout l’investissement : il y a grand risque de dessaisissement complet de la collectivité publique ), et ainsi profiter de « l’effet de levier »(en attirant les capitaux privés par un léger apport de base de capitaux publics)

Démocratiser la gestion de l’eau ? Doit-on élargir la démocratisation à l’ensemble de cette gestion, c’est-à-dire donner un droit délibératif aux usagers et aux ONG sur la politique des opérateurs de l’eau (qu’ils soient publics ou privés) ? Est-ce qu’on considère que ces opérateurs doivent s’inscrire dans le territoire qu’ils ont à gérer, qu’ils dirigent un service public local, et qu’ils devront choisir si on déplace l’eau vers les usagers ou les usagers vers l’eau ? En réalité c’est une fonction d’aménageurs du territoire qui leur revient et qui dépasse la gestion d’une firme. Tous prétendent être pour la démocratisation. Mais qu’en est-il en fait?

Economiser l’eau ? Il y a accord général sur ce point. Les gestionnaires de l’eau doivent peser simultanément sur l’offre et la demande d’eau :-sur la demande, en évitant les gaspillages (par une formation des usagers, en hiérarchisant la demande, en faisant adopter par les usagers des produits alimentaires et industriels utilisant peu d’eau, par l’irrigations rationnelle, en limitant la dessalaison d’eau (qui cause trop de dépenses d’énergie) ,-sur l’offre : utiliser les eaux de pluie et les terres humides, réduire les fuites et entretenir les réseaux, veiller à éviter toutes pollutions (humaines, agricoles ou industrielles, y compris les pollutions médicamenteuses , en progression). Il faut anticiper, favoriser la recherche et l’expertise neutre (7)Pourquoi pas des expert publics, plutôt que des experts envoyés par des opérateurs privés, comme souvent ? . Les agences de bassin françaises sont généralement considérées comme répondant à peu près à ces conditions. On ne peut cependant qu’approuver les remontrances de l’UE à la France pour non respect de ses directives sur l’amélioration des eaux, par excès de présence de nitrates. Dans ce cas, on peut s’interroger sur l’absence d’application de la règle du «pollueur payeur » ?

L’eau, bien public faiseur de paix ou de conflits (8)Cf. rapport Glavany (13/12/11) à l’Assemblée Nationale française: « Géopolitique de l’eau » ?

Les conflits ayant l’eau comme objet sont d’origine diverse: certains résultent simplement d’une volonté de s’attribuer la matière première indispensable, d’autres utilisent l’eau comme moyen de pression, de domination civile ou militaire, pouvant aller jusqu’à des visées terroristes ; pour d’autres, c’est la symbolique religieuse qui domine (Gange, Nil, Jourdain). Souvent c’est l’ensemble de ces motivations qui se cumule: la Chine veut protéger sa conquête du Tibet, par souci de préserver ses ressources en eau, mais aussi comme moyen de puissance vis-à-vis de ses voisins. Israêl, poussé à l’origine par la symbolique religieuse, veut préserver ses ressources en eau dans une région particulièrement déficitaire et où les tensions politiques et démographiques sont fortes; mais il veut aussi prouver sa supériorité technique (ne serait ce que par le dessalement de l’eau de la station d’Ashkelon) par rapport à ses voisins, et également se servir de l’eau pour rendre encore plus dépendants ceux-ci au profit de ses colons (l’eau par habitant étant 6 fois plus disponible pour les uns que pour les autres), …et allant même jusqu’à détruire volontairement des installations d’eau palestiniennes.

Mais l’eau peut être aussi à l’origine d’accords de paix. La Syrie et l’Irak étaient très inquiets des barrages projetés par les Turcs (détenteurs des Monts Taurus d’où venait l’eau de l’Euphrate et du Tigre). Un accord est cependant intervenu, limitant le conflit entre les trois pays. Même conclusion entre l’Egypte et l’Ethiopie au sujet du Nil (mais cet accord tiendra-t-il, étant donné les besoins grandissant de l’Ethiopie ?). Des pactes existent, par la force des choses, entre pays dont un fleuve forme la frontière, comme la convention internationale entre les pays desservis par le Danube. Mais dans tous les cas, ces accords sont fragiles du fait du contexte changeant et surtout dans le cas où un des signataires prend des décisions unilatérales. Néanmoins, aucune guerre n’a été déclarée ayant l’eau comme cause principale.

La solidarité internationale est une garantie de paix. Elle se manifeste par les dons (et surtout) les prêts de la Banque Mondiale (9% de son budget= 4 Milliards de $ par an), mais elle n’a pas encore pris la forme d’une instance mondiale délibérative, qui applique un droit international précis, dépendant de l’Onu (malgré les déclarations encourageantes d’Helsinki en 1992 et de New-York en 1999). Ce sont donc des administrations éclatées par grandes régions(UE) (9)L’UE a élaboré une directive (en 2000) fixant un objectif des 2/3 d’eau saine pour 2015. A cet effet, elle finance, par l’intermédiaire du Feder et du Fonds de cohésion, les régions les plus démunies, ayant étendu son application aux régions ayant un fort besoin d’investir pour leurs réseaux d’eau. Mais la préparation du plan UE sur les fonds structurels pour la période 2014/2021 ne semble pas favorable au maintien du montant de ces fonds (plusieurs pays, dont la France, préférant aider l’agriculture par l’intermédiaire de la Pac) ou nationales (en France : AFD, loi Oudin, fortes exportations de matériels) (10)L’Agence Française de Développement consacre 12% de ses fonds annuels à l’eau (près d’1 milliard d’euros par an) en tant que bailleur de fonds ( prêts ou dons) et soutien technique. La loi Oudin (10/02/05) prévoit que les collectivités locales et agences de l’eau pourront consacrer 1% de leurs recettes à la solidarité internationale. Exportation de canalisations et autres équipements de réseaux, qui sont essentiellement les acteurs chargés de ces taches indispensables

On peut parfaitement généraliser les préconisations, faites à l’occasion du Forum sur l’eau de Marseille, à la situation de la France à la veille de l’élection présidentielle : 1,il ne faut pas chercher à faire payer ceux qui ne peuvent faire face à la dépense et ,au contraire, appliquer des tarifs progressifs aux fortes consommations (surtout quand il s’agit de produits rares)-idem pour les impôts,-2, Imposer un strict contrôle public dès qu’il concerne un bien public, surtout quand c’est une multinationale qui est en jeu,-3, les règles de la démocratie participative devraient progresser partout,-4,la consommation doit être limitée s’il s’agit de préserver l’avenir, sans pour autant généraliser l’austérité,-5,la solidarité (et non la concurrence) entre les peuples doit l’emporter mondialement, ou au moins aux autres niveaux (européen, national, local), afin qu’aucun individu ni aucun peuple ne soit opprimé (comme c’est le cas actuel pour l’eau) et qu’il n’y ait aucune guerre, quelle qu’en soit la raison.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Cf. Colloque (26/01/12), organisé par l’Assemblée Nationale en préparation de ce Forum, qui a suscité une contre- manifestation publique du Fame (Forum Alternatif Mondial de l’Eau) animé par nombre d’ONG.
2 La France, par exemple, est en moyenne à 3375 M3, mais l’Espagne à 2243 et la Chine à 2080 M3/an (donc sont en situation «vulnérable »)
3 Tout utilisateur d’eau ne doit pas être, en ville, à plus de 200 mètres d’une canalisation et, à la campagne, à plus de 15 minutes de marche à pied
4 Objectif déclaré de l’Onu : « Réduire de moitié pour 2015 la population qui n’a pas accès de façon durable à l’approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base »
5 Initiatives de la régie de Paris : vote des usagers au CA, Observatoire pour informer les usagers, diffusion d’économiseurs d’eau, télérelève, pole de recherche et d’innovation, extension du partenariat public/public
6 Le partenariat public/privé est dangereux lorsque toute la gestion est confiée au privé en même temps que tout l’investissement : il y a grand risque de dessaisissement complet de la collectivité publique
7 Pourquoi pas des expert publics, plutôt que des experts envoyés par des opérateurs privés, comme souvent ?
8 Cf. rapport Glavany (13/12/11) à l’Assemblée Nationale française: « Géopolitique de l’eau »
9 L’UE a élaboré une directive (en 2000) fixant un objectif des 2/3 d’eau saine pour 2015. A cet effet, elle finance, par l’intermédiaire du Feder et du Fonds de cohésion, les régions les plus démunies, ayant étendu son application aux régions ayant un fort besoin d’investir pour leurs réseaux d’eau. Mais la préparation du plan UE sur les fonds structurels pour la période 2014/2021 ne semble pas favorable au maintien du montant de ces fonds (plusieurs pays, dont la France, préférant aider l’agriculture par l’intermédiaire de la Pac)
10 L’Agence Française de Développement consacre 12% de ses fonds annuels à l’eau (près d’1 milliard d’euros par an) en tant que bailleur de fonds ( prêts ou dons) et soutien technique. La loi Oudin (10/02/05) prévoit que les collectivités locales et agences de l’eau pourront consacrer 1% de leurs recettes à la solidarité internationale. Exportation de canalisations et autres équipements de réseaux