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Instrumentalisation de la loi sur l’immigration et du mouvement des agriculteurs : vers l’Union de toutes les droites, d’où notre titre : « Que faire ? »

Nous vivons une époque formidable. Tout le monde sait que nous allons vers l’abîme et la grande majorité agit de telle façon que ce devenir soit atteint. Cette grande majorité est celle qui fut déjà apostrophée par Jacques Bénigne Bossuet dans son « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Jacques Bénigne Bossuet est mort, mais cette grande majorité est toujours là, dominée par l’oligarchie capitaliste. Oligarchie ; qui pour défendre ses intérêts personnels, est prête à toute hypocrisie, toute incohérence, sans jamais reconnaître ses erreurs manifestes. Et quand un malheur arrive, tout est fait, avec la plus grande mauvaise foi pour disculper le plus grand nombre possible de cette grande majorité politique acquise à certains pans de l’idéologie dominante capitaliste au nom du « on ne savait pas » ou du « c’était la fatalité » tout en condamnant quelques individus devenus les boucs émissaires de la bien-pensance du grand nombre.

 

Dans la vraie vie de la politique, cela touche tous ceux qui se sont intégrés au système dominant y compris bien sûr « les oppositions de Sa Majesté » que l’on peut retrouver sur l’ensemble de l’arc parlementaire. Bien sûr, cette majorité est produite par l’idéologie dominante qui nous pousse vers la servitude volontaire si bien décrite par La Boétie. Bien sûr, l’absence d’une perspective évolutionnaire pousse le plus grand nombre à la résignation. Bien sûr, la victoire de l’hégémonie culturelle capitaliste a, selon Antonio Gramsci, pour fonction première de faire accepter par une majorité populaire les idées favorables au phénomène d’exploitation, de domination voire d’expropriation du système dominant. Mais c’est notre rôle, à ReSPUBLICA et ailleurs, de lutter à notre tour pour une nouvelle hégémonie culturelle pour convaincre le plus grand nombre à rompre avec les causes des effets qu’ils souhaitent combattre.

Les associés-rivaux (extrême centre, LR, RN)

Bien sûr, dans le contexte actuel de l’information tronquée, l’intelligence collective est en difficulté pour se déployer vers une alternative sociale et écologique au productivisme industriel dans l’agriculture. Ils ont franchi un nouveau seuil. Après les épisodes des Gilets jaunes, du mouvement des retraites, du coronavirus, de la loi sur l’immigration(1)Lire notre précédent article « Après les fêtes de fin d’année, retour au réel économique et social ». de l’effondrement progressif des principes de la République sociale, nous avons eu droit au mouvement des agriculteurs. Et là, ce fut, comme d’habitude, un feu d’artifice. Feu d’artifice plus diversifié qu’auparavant, car là, nous nous trouvions directement dans le cadre de la fédéralisation européenne, c’est-à-dire dans un cadre où de nombreuses décisions, et notamment celles qui agissent sur les causes du problème agricole, ne sont plus prises dans le cadre de la République française, mais à Bruxelles.

Au sein de l’Union européenne, les intérêts d’une majorité de pays sont aujourd’hui contraires aux intérêts objectifs de la majorité des agriculteurs français. Dans ce contexte, l’extrême centre macroniste, a tenté de jouer sur les quelques leviers, peu nombreux, qui sont restés dans l’escarcelle française à savoir supprimer immédiatement les quelques avancées écologiques de la France par rapport au standard européen (le plan Ecophyto par exemple), diminuer les contrôles, tenter de vivifier les trois lois Egalim qui se sont succédé de 2018 à 2023, mais en gardant intact les intérêts de l’agro-industrie et de la grande distribution, etc.

Les causes réelles des difficultés des paysans passées à la trappe

Bien évidemment, rien sur les causes fondamentales du marasme agricole. Par exemple :

On ne dira jamais assez, sauf dans nos conférences, que le capitalisme produit une gigantesque et rapide concentration du capital doublé d’une financiarisation. En 10 ans, 100 000 exploitations ont disparu. Cette financiarisation s’effectue par des sociétés par actions ce qui évite le passage par les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Ce mouvement de concentration s’effectue via trois entités, les coopératives, l’agro-industrie et la grande distribution. Le paysan se trouve réduit à un simple maillon de l’agro-industrie. C’est pour cela que c’est au moins la deuxième fois que la FNSEA est dirigée par un patron de l’agro-industrie.

En fait, il y a un point commun entre la dernière loi sur l’immigration et le mouvement des agriculteurs. Dans les deux cas, ces deux gestions ont permis à la stratégie de l’union de toutes les droites de progresser. Dans le premier cas, le Conseil constitutionnel a permis de valider une manœuvre, pour la première fois de l’histoire, qui permet de promulguer un texte refusé par la majorité des députés. Du cousu main. Le deuxième cas a montré la façon dont le gouvernement a pu obtenir le déblocage du mouvement avec le soutien de l’agro-industrie dont l’un des patrons dirige le principal syndicat d’agriculteurs, sans répondre à aucune des causes principielles du malaise des agriculteurs. Comme tout cela est bon pour les droites qui peuvent se permettre de jouer la pièce de théâtre des associés–rivaux.

La gauche à la peine

Pendant ce temps, la gauche fut en difficulté dans la période. D’abord la gauche paysanne est toujours divisée entre la Confédération paysanne (20 % aux élections professionnelles) et le Modef (1,89 %). Par ailleurs, la Confédération paysanne a le plus grand mal à avoir la parole dans les médias dominants et elle n’arrive pas à fournir des intervenants lorsqu’on la sollicite. Les médias dominants sont plus enclins à inviter la Coordination rurale (21,5 % des paysans et proche de l’extrême droite), deuxième syndicat, mais de peu devant la Confédération paysanne. La FNSEA, alliée aux Jeunes agriculteurs sont majoritaires avec 55 % des voix. Sur les votes au Parlement européen, l’extrême-centre, la droite installée et l’extrême droite ne votent jamais dans l’intérêt de la majorité des paysans français(3)Voir l’article de Reporterre..

Et ce n’est pas les sondages pour l’élection européenne du 9 juin 2024 qui vont nous redonner le moral ! Dans les discussions, on commence à entendre certaines personnalités, certaines associations, certains pans de la gauche qui se préparent à nous refaire le coup de 2017 et de 2022 à souscrire à un « vote républicain ». Selon un tel appel, « il va falloir voter pour l’extrême-centre contre l’extrême-droite » dans toutes les élections au scrutin uninominal ! Pourtant tout montre aujourd’hui qu’ils sont des associés–rivaux qui ne se cachent plus de montrer leur connivence pour s’opposer à l’émancipation comme sur la « loi immigration » ou sur le déblocage du mouvement des paysans. À aucun moment, la plupart des dirigeants n’analysent le réel pour voir que cette stratégie donne de plus en plus de chances à l’extrême-droite au deuxième tour ! Quant à ceux qui nous disent qu’il faut passer aux élections à la proportionnelle, qu’ils nous disent comment faire sans être majoritaire au Parlement !

Vers une gauche de gauche ?

Il ne reste donc qu’une seule stratégie possible, construire une gauche de gauche majoritaire dans le pays. Mais pour cela, il convient de mener une campagne pour une nouvelle hégémonie culturelle principalement avec ceux qui ont réellement intérêt au changement social, démocratique, écologique, laïque et politique. Les moyens reposent sur toute la typologie des organisations possibles : associative, syndicale, politique et autre. Pour cela, il faut un bloc historique populaire composé principalement par la classe populaire ouvrière et employée (45 % de la population active), les couches moyennes intermédiaires, les agriculteurs favorables à une agriculture paysanne, la jeunesse, la partie des intellectuels qui peut rompre avec la bourgeoisie des villes-centres, les retraités de ces catégories. Le fait qu’au premier tour des élections législatives de 2022, 70 % de la jeunesse, de la classe populaire ouvrière et populaire se sont abstenus est essentiel pour avancer vers la constitution de ce bloc populaire. Pour unifier tout cela, il convient de promouvoir les principes de la République sociale du 21e siècle et de ses 10 principes constitutifs(4)Voir le livre édité par Éric Jamet éditeur, Penser la République sociale au 21e siècle (Tome 1 et tome 2), disponibles dans la librairie militante. à savoir redonner force et vigueur, ici et maintenant,

Certains diront que ce n’est pas pour demain matin 8 h 30. Trois arguments à cette remarque. La première est que la situation ne peut plus se débloquer sans une action et une réflexion holistique(9)Une réflexion holistique est une réflexion qui s’oppose à une réflexion réductionniste. Penser de façon holistique consiste à penser une totalité qui ne peut se résumer à la somme des parties constitutives de cette totalité. La deuxième est que l’avenir a toujours résidé dans la résistance à l’adversaire, mais aussi aux fausses illusions de son propre camp notamment de vouloir tout changer par une seule idée coupée du réel pour que, in fine, rien ne change. La troisième est de dire que c’est l’objectif et que nous devons pour l’atteindre pratiquer la double besogne (défendue en son temps par Jean Jaurès et par la CGT en 1906 dans la Charte d’Amiens), à savoir articuler toutes les revendications immédiates avec l’objectif de moyen terme en vue d’une nouvelle société dépassant le salariat et le capitalisme que l’on s’assigne.

Alea jacta est !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Lire notre précédent article « Après les fêtes de fin d’année, retour au réel économique et social ».
2 Voir l’article « L’afflux d’œufs et de volailles ukrainiens inquiète les producteurs européens ».
3 Voir l’article de Reporterre.
4 Voir le livre édité par Éric Jamet éditeur, Penser la République sociale au 21e siècle (Tome 1 et tome 2), disponibles dans la librairie militante.
5 Rappelons ici que dans l’histoire, les avancées ou les reculs de la laïcité ont toujours été corrélés avec les avancées ou les reculs de la bataille sociale. Croire en la décorrélation des combats laïques et sociaux est un symptôme de détection de la pseudo-laïcité !
6 Le campisme est une tendance simplificatrice grégaire visant à toujours réduire la situation politique à un affrontement entre deux camps.
7 Le néolibéralisme est une des phases récentes du capitalisme puisant ses racines dans les travaux du Colloque Lippmann et de la société du Mont Pèlerin pour devenir dominant à la fin des années 70 promouvant le libre-échange généralisé, le désengagement de l’État, la privatisation des profits et la socialisation des pertes.
8 L’ordolibéralisme est une doctrine libérale née en Allemagne qui puise ses racines dans l’école de Fribourg et dans la revue allemande Ordo. Elle promeut la « concurrence libre et non faussée », qui dans les faits n’est ni libre ni non faussée, d’un ensemble de règles et de normes pour qu’une fin définie comme morale conduise le processus économique. La construction européenne est une construction ordolibérale compatible avec un néolibéralisme mondial.
9 Une réflexion holistique est une réflexion qui s’oppose à une réflexion réductionniste. Penser de façon holistique consiste à penser une totalité qui ne peut se résumer à la somme des parties constitutives de cette totalité.
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