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La COP23 ou comment le pire risque fort d’être devant soi

Ouverture et bilan de la COP23

L’ouverture de la COP23, sous la présidence de la République des Fidji, mais accueillie en Allemagne à Bonn, s’est déroulée dans la plus grande indifférence, du moins c’est ainsi que les habitants de la ville rhénane l’ont ressentie ignorant pour beaucoup d’entre eux la tenue même de cette conférence mondiale, exercice obligé qui aboutit chaque année à des décisions non suivies d’effets réels et à des recommandations qui seront reprises l’année suivante comme si de rien n’était. Chaque conférence est marquée  par les déclarations lénifiantes de dirigeants politiques dont les propos résonnent aussi creux que ceux proférés par les mêmes pour faire disparaître les paradis fiscaux.  Cette année Emmanuel Macron en fut la vedette incontestée avec son slogan « Make our Planet Great Again » et des envolées lyriques comme « le seuil de l’irréversible a été franchi », le dérèglement climatique « ajoute de l’injustice à l’injustice, de la pauvreté à la pauvreté ». La COP23 est perçue à ce stade comme un théâtre de marionnettes ou comme le résumait un observateur attentif « la planète brûle et les diplomates tournent en rond »

Rappelons pour autant quelques dates clés pour mettre tout ceci en perspective. Les deux grandes conventions internationales sur le climat et la biodiversité remontent au Sommet de Rio en 1992, c’était il y a 25 ans, le temps déjà d’une génération ! Au fil du temps, les conférences internationales sur le réchauffement climatique se sont tenues annuellement, la première (COP1) débuta à Berlin en 1995 puis trois autres marqueront les esprits : la COP3 à Kyoto en 1997 où fut adopté le Protocole contraignant du même nom qui visait à diminuer très modestement les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5,2 %  d’ici 2020, la COP15 à Copenhague en 2009 déclarée comme « sommet de la dernière chance » mais qui fut marquée par un échec retentissant aboutissant à une déclaration a minima refusant tout engagement contraignant, enfin la COP21 à Paris en 2015 qui se voulait une relance forte par l’adoption d’un accord international contraignant (il ne l’est pas) pour maintenir le réchauffement climatique en-deçà de la barre des 2°C, voire de 1,5°C (ce n’est pas atteint). L’année suivante, la COP22 à Marrakech mit en avant l’alibi « Trump » pour masquer l’absence de résultats probants sur les politiques climatiques, le bilan des contributions volontaires des États (et non plus les seuls pays industrialisés au temps du Protocole de Kyoto) mène la planète à un réchauffement de 3°C, sinon plus d’ici la fin du siècle. A cet échec, s’ajoute l’incapacité des pays industrialisés à honorer l’aide promise aux pays vulnérables, à la hauteur de 100 milliards de dollars par an, pour financer leurs politiques climatiques. Cette année, la COP23 ne déroge pas à la règle, c’est un coup pour rien, se limitant à la mise en place d’un dialogue (« Dialogue de Talanoa » qui signifierait en fidjien parler avec son cœur !) pendant un an pour clarifier la comptabilité et la transparence des réductions d’émissions de CO2 des différents pays, afin que les règles d’application de l’Accord de Paris soient adoptées lors de la COP24 qui se tiendra sous la présidence polonaise l’année suivante à Katowice, centre houiller de la Pologne, pays qui produit 84 %  de son électricité à partir du charbon. Certains n’hésitent pas à parler de mascarade et de faillite du processus onusien. Malgré tout, 20 pays dont la Grande-Bretagne, le Canada et le Mexique ont annoncé la création d’une alliance pour sortir du charbon, ce qui embarrasse singulièrement la chancelière allemande, Angela Merkel, dirigeante d’un pays où 47 %  de la production d’électricité dépend du charbon.

Pour mesurer l’opacité de la diplomatie climatique, il suffit de regarder les engagements des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre :

Faillite d’un modèle économique et des appels depuis 45 ans

Depuis la signature de la Convention sur le climat en 1992, les émissions de CO2 n’ont cessé d’augmenter (54 %  en 25 ans). Une petite lueur était apparue lors de la COP22 : les émissions mondiales de CO2  s’étaient stabilisées les trois dernières années 2014, 2015 et 2016 (travaux d’un consortium scientifique Global Carbon Project). Si cette stabilisation constituait un signal positif, elle s’avérait en même temps loin du compte pour permettre d’atteindre les objectifs climatiques définis par l’Accord de Paris. En 2017, tout est reparti à la hausse, estimée de quelque 2 %  par rapport à l’année précédente (1)Les concentrations de CO2 dans l’atmosphère (exprimées en parties par million), principal gaz à effet de serre sont passées de 344 ppm en 1984 à 403 ppm en 2016 (le niveau à l’époque pré-industrielle est estimé à 280 ppm). Le risque de déstockage massif du méthane (gaz à effet de serre 21 fois plus puissant que le CO2), lié à la fonte du permafrost se précise..  L’objectif de la COP21 (+ 1,5°C ou +2°C) n’est pas réalisable sans une révision plus importante à la baisse.

Et pourtant les mises en garde devant une telle évolution ne datent pas d’aujourd’hui. Le rapport du Club de Rome « The limits of Growth », publié en 1972, traduit incorrectement par « Halte à la croissance » était un premier signal indiquant l’effondrement du système planétaire sous la pression de la croissance démographique et industrielle. Le rapport fut largement critiqué, souvent à juste titre, accusé d’avoir adopté le point de vue des intérêts des pays riches au détriment des pays pauvres. Quarante ans plus tard, la dernière édition du rapport réaffirmait les mêmes conclusions : le franchissement des limites du système (ici l’expansion économique) conduit à un effondrement, défini par un processus qui implique une boucle de « rétroaction positive », c’est à dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. On peut donner deux exemples de ce type de processus : l’endettement avec la crise financière et la fonte du permafrost pour le réchauffement climatique. Malgré les critiques que l’on peut adresser au rapport Meadows (nom de son auteur principal), le constat reste valable et la meilleure réponse au caractère insoutenable de la croissance se trouve dans la thèse développée par Hervé Kempf dans son ouvrage publié en 2007 « Comment les riches détruisent la planète » : la croissance économique productiviste est inséparable des inégalités de richesse. Comme le souligne l’auteur, les inégalités sont un véritable moteur pour la croissance matérielle dans la mesure où elles stimulent un puissant désir d’imitation des plus riches chez les plus pauvres (le comportement ostentatoire).

Une seconde mise en garde, associant pays du Nord et pays du Sud, figure dans la Déclaration de Cocoyoc du 23 octobre 1974, texte radical sur le développement, la mise en cause de l’économie de marché, les rapports nord-sud et la nécessité de protéger l’environnement, au final à l’aspiration à un nouvel ordre économique mondial. Ce texte issu des travaux des Nations Unies suite à la Conférence mondial sur l’environnement de Stockholm de 1972 fut rejeté unilatéralement par les États-Unis. On peut retrouver cette déclaration dans l’ouvrage d’Aurélien Bernier « Comment la mondialisation a tué l’écologie ».

Au moment du Sommet de Rio en 1992, un premier appel cette fois des scientifiques (1 700 chercheurs) dressait un état des lieux inquiétant avec cette mise en garde « les êtres humains et le monde naturel sont sur une trajectoire de collision ».  Vingt cinq ans plus tard, la trajectoire n’a pas changé. Cette fois, ce sont 15 000 scientifiques qui adressent dans la revue Bioscience de novembre 2017 (cf. Le Monde, 14 novembre 2017) une « mise en garde des scientifiques à l’humanité : deuxième avertissement » à l’ouverture de la COP23, au moment où tous les indicateurs montrent une dégradation catastrophique sous la pression des activités humaines, plus exactement sous la pression d’un système économique mondialisé productiviste : les forêts disparaissent (130 millions d’hectares en 25 ans, l’équivalent de l’Afrique du Sud) essentiellement au profit de l’agriculture, les captures de pêches ont atteint leur maximum en 1996 à 130 millions de tonnes, les « zones mortes côtières , privées d’oxygène, se multiplient provoquées par le lessivage des engrais agricoles, la hausse des températures est régulière et les trois dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées, la biodiversité mondiale disparaît à une vitesse alarmante, les populations de poissons, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères ont décliné de près de 60 %  en 40 ans. Près de 80 %  des insectes volants ont disparu au cours des trente dernières années. Pour s’en rendre compte, il suffit de réaliser qu’il n’y a plus besoin de laver son pare brise  en circulant par une nuit d’été, ce qui était impensable  auparavant !

Bon constat mais mauvaises réponses

Si le constat ne peut être nié comme le montre les événements climatiques extrêmes et les pertes de biodiversité alarmante (les insectes forment la base des écosystèmes et sont extrêmement importants), on peut s’interroger sur les solutions proposées, comme la restauration de la biodiversité et les services rendus par la nature au travers des écosystèmes, la réduction du gaspillage alimentaire, la réorientation vers une nourriture moins carnée, la promotion de nouvelles technologies « vertes », l’orientation vers une économie moins porteuse des inégalités de richesse ou l’éducation des femmes pour la réduction du taux de fécondité afin de maîtriser la croissance démographique, voire déterminer à long terme la taille de population humaine « soutenable » ! On reste assez confondu par la pauvreté du diagnostic qui n’évoque à aucun moment les responsabilités du système productiviste actuel, les conséquences de l’accélération des accords de libre échange qui font passer le commerce et les profits avant la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement, en résumé le processus de croissance capitaliste. Comment interpréter un tel appel dans ses conclusions sinon de promouvoir un capitalisme « vert », traduction de la pensée onusienne qui est passée du concept de « développement durable » au Sommet de Rio en 1992 à celui « d’économie verte » vingt plus tard au second Sommet de Rio en 2012.

Et la politique d’Emmanuel Macron dans tout ça ?

Emmanuel Macron ne s’est pas trompé de cible en intervenant à la COP23, en s’emparant immédiatement de l’appel des 15 000 scientifiques, non pour en contester la situation alarmante mais pour mieux l’utiliser en mettant en avant certaines des solutions proposées : le marché du carbone comme politique de réduction des émissions des gaz à effet de serre, les investissements techniques visant au stockage de l’énergie, la sortie de la production des énergies fossiles, la mobilisation des financements régionaux, publics et privés pour la transition environnementale, la transformation de l’aide internationale pour marquer la solidarité collective à la transition climatique.

« Make our planet great again » devient un signe de ralliement du nouveau Président pour promouvoir une croissance « verte » qui s’avère incapable de modifier la trajectoire d’un système dominant responsable des effets dénoncés par des déclarations politiques péremptoires dont les envolées déclamatoires n’ont pour seul objectif surtout de ne rien changer. La réalité est évidemment autre et l’on peut se demander dans quelle galère Nicolas Hulot s’est engagé dans un tel gouvernement si l’on consent à lui accorder un quelconque crédit dans son engagement en faveur de la protection de l’environnement.

L’interdiction d’accorder tout nouveau permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures en France est salué par Emmanuel Macron comme une première pour un pays développé de prendre une telle décision pour son propre territoire. Nous en avons souligné la portée insignifiante puisque la production française d’hydrocarbures ne représente que 1  %  de la consommation nationale. Cette volonté affichée de vouloir sortir des énergies carbonées prend une autre tournure lorsque ce gouvernement accepte de signer le traité de libre échange avec le Canada, le CETA, porte ouverte à l’importation des hydrocarbures extraits des schistes bitumineux canadiens, et ceci à l’encontre de l’avis négatif émis par la commission mise en place par ce même gouvernement et chargée d’évaluer si ce traité de libre échange est climato-compatible. Le second renoncement de Nicolas Hulot a été de reporter l’engagement programmé de la fermeture de centrales nucléaires pour faire passer à l’horizon 2025 de 75 à 50  %  la part du nucléaire dans la production d’électricité.

Mais la véritable diplomatie climatique d’Emmanuel Macron, le cœur de son action politique est l’argent, la finance. Il ne peut s’empêcher de l’évoquer en affichant son soutien au financement du GIEC, malgré le retrait des Etats-Unis « pas un centime ne manquera au GIEC » clame-t-il, reprenant à son compte le type de propos amorcé par Nicolas Sarkozy et répété depuis lors à tout propos. Le second thème de cette diplomatie est la volonté du retour au marché mondial du carbone comme instrument permettant d’engager des politiques internationales de réduction des émissions de GES. Ce choix est celui de l’économie néolibérale, basée sur l’attribution de quotas d’émissions échangeables sur le marché, le prix de la tonne de carbone résultant de la confrontation de l’offre et de la demande. Emmanuel Macron veut instaurer un prix plancher du CO2  en Europe à 30 euros la tonne. Antonin Pottier dans son essai « Comment les économistes réchauffent la planète » montre comment la tentative d’avoir un prix mondial du carbone a été un échec et le marché carbone n’a jamais donné le moindre signal prix aux entreprises pour se lancer dans des investissements pour réduire les émissions de GES. Le marché du carbone a entravé pendant plus de 20 ans les négociations internationales sur les politiques climatiques et voilà que ce gouvernement veut reprendre à nouveau ce qui a été un échec pour les objectifs climatiques mais non évidemment pour le « business as usual ». La France va organiser à Paris, le 12 décembre, une autre rencontre, sous l’égide de la Banque mondiale, ce qui va constituer l’attente du monde de la finance si cher à Emmanuel Macron : comment mobiliser les financements publics et privés, et manipuler les cent milliards de dollars par an prévus par le Fonds vert pour l’aide aux pays les plus vulnérables afin de leur permettre de mettre en œuvre leurs politiques climatiques.

Quelle politique alors ? Concevoir une autre pensée politique

Le mérite de l’Accord de Paris est d’avoir acté l’impossibilité de parvenir à une approche globale ; c’est à chaque pays de définir son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette approche n’offre aucune garantie que les États réaliseront bien leurs contributions volontaires (absence de tout processus contraignant), ni que celle-ci permet d’atteindre l’objectif fixé en-dessous de 2°C (ce qui est le cas). Chaque pays est renvoyé à ses propres responsabilités, essentiellement pour les pays les plus développés. Face à l’urgence rappelée par l’Appel des 15 000 scientifiques, il ne faut pas compter sur une pénurie des énergies fossiles disponibles, elles sont pléthoriques. A ce titre le Plan climat de Nicolas Hulot, mettre fin à la production française des hydrocarbures, est dérisoire vu ce que cela représente (1 %  de la consommation), par contre prendre la décision de signer l’Accord de libre échange avec le Canada ne l’est pas. Nous sommes sortis de la séquence électorale de 2017 et il convient d’en rappeler quelques points de repère : Emmanuel Macron n’avait pas de propositions relatives à l’écologie, François Fillon restait sur des options techniques et financières (capture et stockage du CO2, développement du marché carbone), Benoît Hamon présentait un programme dans le respect des institutions de l’Union européenne. Seul Jean-Luc Mélenchon proposant la « règle verte » donnait une orientation qui faisait sens par rapport à la contribution de la France aux enjeux climatiques. En ce sens l’un des points clés est de se réapproprier le principe fondamental de souveraineté nationale et de redéfinir le rôle de l’État pour être le garant de l’intérêt national afin qu’il lui soit permis, hors de tout assujettissement aux marchés financiers, de trouver les investissements à long terme pour s’engager dans une réelle transition énergétique. De manière qui peut sembler paradoxale, deux enjeux sont à prendre en compte, d’une part non seulement l’arrêt du processus de désindustrialisation de la France que nous connaissons actuellement mais la mise en place de la réindustrialisation du pays, d’autre part la réduction des inégalités et un partage des richesses pour stopper le processus de consumérisme mortifère. D’autres points sont tout aussi importants à mettre en avant : des politiques publiques hors du champ permanent de la concurrence érigée en dogme, une réorientation des politiques agricoles pour assurer sécurité et santé alimentaire, l’arrêt des traités de libre-échange et une redéfinition des règles du commerce international sur la base de l’équité, de règles de protectionnisme social et environnemental (cf. les principes de Déclaration de La Havane de 1948) et de « ne pas négocier des accords avec les pays qui ne jouent pas le jeu » (sic E. Macron). De telles remises en cause montrent que l’avenir du pays et celui de la planète ne passent pas par l’Union européenne.

Références

  1. Bernier (2012) Comment la mondialisation a tué l’écologie, ed. Mille et Une Nuits.
  2. Kempf (2007) Comment les riches détruisent la planète, ed. Seuil, Paris.
  3. Marchand (2015) COP21 : les raisons d’un échec programmé ou pourquoi la conférence sur le climat n’aura pas lieu. Respublica, 11 novembre 2015
  4. Marchand (2016) La COP21 : le climat devra s’adapter au marché ou comment on garde le logiciel qui a conduit au réchauffement climatique ? Respublica, 6 janvier 2016
  5. Marchand (2016) La COP22 et l’alibi « Trump » pour masquer l’absence de résultats probants sur le politiques climatiques. Respublica, 12 décembre 2016.
  6. Marchand (2017) Le projet de loi « Plan climat » de Nicolas Hulot. Respublica, 24 septembre 2017.
  7. Pottier (2016) Comment les économistes réchauffent la planète. ed. Seuil.

 

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Notes de bas de page
1 Les concentrations de CO2 dans l’atmosphère (exprimées en parties par million), principal gaz à effet de serre sont passées de 344 ppm en 1984 à 403 ppm en 2016 (le niveau à l’époque pré-industrielle est estimé à 280 ppm). Le risque de déstockage massif du méthane (gaz à effet de serre 21 fois plus puissant que le CO2), lié à la fonte du permafrost se précise.
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