Le site de l’Assemblée nationale indique un nombre de signataires dépassant les deux millions. C’est intéressant, car cela impose, si un député ou un président de groupe le demandent, l’ouverture d’une discussion, d’un débat sur cette loi(1)Avec un minimum de 500 000 signatures « issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer », la conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut également décider « d’organiser un débat en séance publique ».. Ce débat n’aura pas lieu avant octobre. En revanche, son réexamen ne sera pas à l’ordre du jour. Les députés de gauche ont justifié le dépôt d’un recours le 11 juillet devant le Conseil constitutionnel pour manquement à la démocratie. Si ce dernier constate un vice de procédure, cela pourrait aboutir à une non-promulgation et un retour au vote par le Parlement.
Loi Duplomb : une pétition qui dépasse les deux millions de signatures sur le site de l’Assemblée
Une pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb et sa mesure très contestée de réintroduction d’un pesticide tueur d’abeilles a dépassé les deux millions de signatures sur le site de l’Assemblée nationale ; elle ouvre la voie à une discussion sur le bien-fondé de cette loi, mais pas à son réexamen.
Premiers acquis de la mobilisation citoyenne et promulgation par l’Élysée
Il y a déjà un premier acquis issu de la forte mobilisation : la censure par le Conseil constitutionnel de deux articles (articles 2 et 8), dont la réintroduction du néonicotinoïde. Le Conseil s’appuie sur la Charte de l’environnement qui dispose du droit à vivre dans un environnement sain(2)https://www.elysee.fr/la-presidence/la-charte-de-l-environnement.. Cela oblige à résoudre la crise agricole, à penser la sortie de cette crise sans s’en prendre aux mesures de protection de la biodiversité et en garantissant la souveraineté alimentaire. La décision du Conseil constitutionnel est un rappel que la Charte de l’environnement établit la primauté des intérêts collectifs et du droit afférent sur les intérêts particuliers.
L’Élysée n’a pas pris en compte l’ampleur de la mobilisation populaire en promulguant la loi le 12 août. Il aurait, a minima, pu organiser une consultation sur ce sujet et permettre aux parlementaires de rediscuter et d’amender cette loi. L’opposition à cette loi ne concerne pas que le néonicotinoïde, mais également l’élevage intensif, tout autant problématique. La leçon est que la politique ne doit pas reposer que sur la justice, solution de facilité, mais sur la mobilisation des citoyens.
Ce que prévoit cette loi pour le moins controversée
Cette loi(3)https://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/que-pr%C3%A9voit-la-loi-duplomb-qui-fait-l-objet-d-une-p%C3%A9tition-battant-tous-les-records-sur-le-site-de-l-assembl%C3%A9e/ar-AA1IUEkK. facilite les projets de stockage d’eau, comme les mégabassines considérées d’office, sauf avis contraire…, « d’intérêt général », les élevages intensifs(4)Chiffres de la loi : « Il faudra désormais 85 000 poulets pour qu’un élevage de volailles soit soumis à autorisation environnementale, soit plus du double du seuil actuel. Pour les porcs, la barre passe de 2 000 à 3 000. et limite la participation du public aux enquêtes environnementales. Le Conseil constitutionnel ne censure pas l’article 3 concernant les élevages intensifs (agrandissement ou création de bâtiments d’élevage intensif). Cela justifie de maintenir la pression.
Le point crucial qui a motivé les oppositions est la réintroduction de l’acétamipride(5)Pesticide de la famille des néonicotinoïdes : l’acétamipride est un insecticide organochloré de la famille des néonicotinoïdes, découvert en 1989 et commercialisé en 1995, utilisé contre les insectes ravageurs sur une large gamme de produits de culture végétale. Il agit directement sur le système nerveux des organismes vivants (sans discrimination). https://fr.wikipedia.org/wiki/Ac%C3%A9tamipride. interdit depuis 2018.
Les soutiens à la loi Duplomb : argument d’autorité
Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, premier syndicat agricole, très favorable à la loi Duplomb, joue à faire peur en considérant que l’agriculture française « disparaîtra » si on lui impose « des normes supérieures » à celles de ses voisins européens. Il a en partie raison et il est indispensable d’imposer la « clause miroir » non seulement vis-à-vis des pays extérieurs à l’UE, mais au sein même de cette zone afin de contrer une concurrence déloyale et protéger nos agriculteurs.
Sur le plateau de Arte, le 21 juillet à 28’, une représentante de la Coordination rurale use de l’argument d’autorité en affirmant que les signataires de la pétition n’y connaissent rien et seraient donc des ignorants manipulés. Nous ne pouvons que l’inviter à se renseigner auprès des sommités scientifiques qui alertent sur la nocivité des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » et préoccupants pour la santé des humains. Cela justifierait la mise en place d’études d’ampleurs afin de préciser les choses.
Dangerosité de l’acétamipride avérée
Christian Lannou(6)Directeur de recherche adjoint en agriculture à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)., cité par Libération le 8 juillet, estime que l’acétamipride demeure, malgré une toxicité plus modérée, délétère pour les abeilles, les vers de terre, les oiseaux ou les poissons. Sa nocivité pour les êtres humains semble avérée quant à ses effets potentiels sur le système nerveux, la fertilité, le développement prénatal. Un lien possible peut être établi avec des troubles du métabolisme, comme le diabète de type 2. Des traces ont été découvertes dans des prélèvements effectués chez des enfants atteints d’une leucémie ou d’un cancer du système lymphatique.
Santé : premières victimes les agriculteurs
Dans un entretien accordé au journal syndical de la FSU, le professeur Marc-André Selosse(7)Professeur au Museum national d’histoire naturelle, membre de la l’Académie d’agriculture de France., confirme que les agriculteurs figurent parmi les premières victimes dans la cohorte Agrican (agriculture-cancer) selon le type de cancer. Du fait d’un mode de vie plus sain que le reste de la population, ils subissent entre 20 et 40 % de cancer en moins. En revanche, ils subissent plus de risques d’autres pathologies : plus 47 % de lymphomes plasmocytaires, plus 25 % de myélomes.
Dilemme économique
Les producteurs de betteraves et de noisettes sont confrontés à une concurrence de producteurs pouvant utiliser l’acétamipride hors de la France. De plus, les importations de produits contaminés par l’acétamipride sont autorisées, fragilisant les producteurs français. Cela aboutit à des pertes de revenus.
D’un autre côté, outre les effets délétères pour la santé des producteurs, les externalités évoquées par Marc-André Selosse, rarement étudiées par les économistes ultralibéraux, « coûtent 19 milliards d’€ par an entre le traitement de l’eau et les maladies induites. Quand on achète un euro d’aliment agricole, on aura 1,30 € de frais de maladie, d’absence au travail et de purification de l’eau ». Comme pour l’économie en général, les licenciements, les délocalisations d’entreprises impliquent des coûts externes que la société prend en charge. Quand une banque risque la faillite en raison d’opérations douteuses c’est l’État, c’est-à-dire nous, qui vient à son secours.
L’alternative : l’agroécologie
Comme le rappelle Marc-André Selosse, l’alternative, c’est l’agroécologie. Il y a urgence à sortir du modèle de l’agriculture industrielle et intensive qui abîme la fertilité des sols, réduit la biodiversité sur terre et sous terre, pollue les nappes phréatiques. Les données qui remontent des expériences menées pas des paysans soucieux de la qualité de leur production, de leur santé et de celle des consommateurs indiquent que la restauration des haies supprimées lors des remembrements massifs des années 1960 qui ont enfermé les agriculteurs dans une spirale infernale les poussant à s’endetter toujours plus, que la polyculture ou cultures mélangées, que « les assolements et rotations longues avec des retours de la même culture au bout de 5 à 6 ans, ça détruit les populations de pathogènes et ça réduit massivement la quantité de pesticides pulvérisés ».
Trois scénarii sont analysés par plus d’une centaine d’experts. Le premier poursuit la pente mortifère de l’agriculture intensive et industrielle dite « Marché global ». Le deuxième est centré sur l’alimentation saine, sur la rotation des cultures et les auxiliaires biologiques. Le troisième élève la logique du deuxième un cran au-dessus en favorisant l’introduction de paysages diversifiés, dont les haies, la biodiversité et la souveraineté alimentaire. Seuls les deux derniers scénarii assureraient simultanément l’indépendance alimentaire de l’UE et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Urgence démocratique
Ces questions doivent se retrouver au centre du débat. Ce sont des questions fondamentales qui exigent une intelligence collective dépassant les clivages, les groupes d’intérêts particuliers souvent courtermistes du lobby agroindustriel. Cela pourrait aboutir à un référendum, tant la question est d’importance.
Imaginer de nouvelles institutions qui favorisent l’intelligence collective empêchée par des mouvements politiques qui ne cherchent qu’à séduire des groupes d’électeurs sur le marché des bulletins de vote s’avère indispensable pour sauver la démocratie républicaine.
De même, imaginer de nouvelles institutions qui permettent de passer d’une démocratie de délégation dans laquelle les citoyens et citoyennes sont appelés à désigner celles et ceux qui vont réfléchir et décider à leur place à une démocratie représentative non faussée enrichie de procédé de démocratie directe dont l’usage du référendum impératif dans l’application du résultat s’avère fondamental.
Notes de bas de page
↑1 | Avec un minimum de 500 000 signatures « issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer », la conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut également décider « d’organiser un débat en séance publique ». |
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↑2 | https://www.elysee.fr/la-presidence/la-charte-de-l-environnement. |
↑3 | https://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/que-pr%C3%A9voit-la-loi-duplomb-qui-fait-l-objet-d-une-p%C3%A9tition-battant-tous-les-records-sur-le-site-de-l-assembl%C3%A9e/ar-AA1IUEkK. |
↑4 | Chiffres de la loi : « Il faudra désormais 85 000 poulets pour qu’un élevage de volailles soit soumis à autorisation environnementale, soit plus du double du seuil actuel. Pour les porcs, la barre passe de 2 000 à 3 000. |
↑5 | Pesticide de la famille des néonicotinoïdes : l’acétamipride est un insecticide organochloré de la famille des néonicotinoïdes, découvert en 1989 et commercialisé en 1995, utilisé contre les insectes ravageurs sur une large gamme de produits de culture végétale. Il agit directement sur le système nerveux des organismes vivants (sans discrimination). https://fr.wikipedia.org/wiki/Ac%C3%A9tamipride. |
↑6 | Directeur de recherche adjoint en agriculture à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). |
↑7 | Professeur au Museum national d’histoire naturelle, membre de la l’Académie d’agriculture de France. |