Site icon ReSPUBLICA

Le culot de Nicolas Hulot

Le 8 novembre dernier, après la décision de surseoir à la fermeture des centrales nucléaires, le Midi Libre posait la question : Nicolas est-il crédible et à 59% les sondés répondaient « non ». Un mois plus tard, le 11 décembre, à la veille du Sommet de la finance internationale convoqué par Emmanuel Macron pour discourir, notamment avec le groupe dit des « philanthropes » (Richard Branson, Bill Gates) de l’avenir de la planète, Nicolas Hulot se prêtait aux questions des auditeurs de France Inter et se trouva affublé par l’un d’entre eux du qualificatif d’écolo-traître. Pour se soustraire à cette marque infamante, il reprit la célèbre phrase de Kennedy prononcé le 20 janvier 1961 « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez-faire pour votre pays ». Trois semaines plus tard, la même phrase était reprise in extenso par Emmanuel Macron pour prononcer ses vœux de fin d’année. Ainsi fonctionne la communication gouvernementale, choix des mots, choix des phrases à prononcer in repetita dans différents contextes comme celle-ci « notre main ne doit pas trembler » pour ouvrir la chasse aux faux chômeurs (Muriel Pénicaud, ministre du travail) ou pour l’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes (Benjamin Griveaux, porte parole du gouvernement).

Par-delà la stratégie de communication, peut-on considérer Nicolas Hulot comme un écolo-traître ? L’accusation suscite une première interrogation, traître à qui, à quoi ? Pour être traître, il faut avoir quitté ou trahi son camp. Mais de quel camp s’agit-il ? Sans doute pas celui de l’écologie. L’engagement écologique de Nicolas Hulot ne peut être mis en doute en tant que tel. Mais l’écologie présente de multiples facettes : l’écologie fondamentale (« deep ecology ») qui place l’humain comme une espèce parmi les autres espèces du monde vivant, l’écologie libérale qui s’accommode parfaitement d’un capitalisme vert, du marché carbone, du libre échange, une écologie qui appelle à la décroissance, une écologie qui trouve son inspiration dans les textes sacrés de la création, une écologie qui s’inscrit dans la logique de la construction européenne et appelle à une gouvernance mondiale, une écologie républicaine qui lie intimement la question écologique à la question sociale. Laissons à chacun le soin de choisir dans quel camp Nicolas Hulot se range, ceci sans mettre en doute la sincérité de son engagement.

Serait-il alors le traître à une classe sociale dont il se réclamerait ? Nicolas Hulot n’a jamais associé le combat écologique et le combat social, sinon en limitant ses propos à des considérations générales. Il n’est pas surprenant qu’il se range politiquement dans l’écologie de la finance, dans l’écologie mondialisée des riches, dans une écologie qui s’intéresse au climat, à la biodiversité mais si peu à l’organisation de la vie sociale, à la réduction des inégalités, aux dégâts du productivisme, aux effets délétères écologiques et sociaux du libre échange, aux flux migratoires qui met sur les routes du monde 66 millions de migrants équivalent à l’ensemble de la population française. Nicolas Hulot ne serait-il au fond que l’écolo des riches au sein du gouvernement d’Emmanuel Macron, président des riches, sa fortune personnelle et le nombre de ses voitures (dont il se justifie par ailleurs avec une sincérité confondante) semblerait l’attester. L’homme, belle caution ou belle vitrine gouvernementale, peut être toutefois imprévisible et pour parer à tout dérapage, il se retrouve malgré tout flanquer de deux secrétaires d’État au profil bien peu écologique, Brune Poirson, ancienne directrice de Veolia œuvrant à la privatisation de l’eau à Dehli et Sébastien Lecornu, un proche de Bruno Le Maire connu pour beaucoup de choses dans l’Eure, son département, mais sans intérêt connu pour les questions environnementales.

Prenons au mot Nicolas Hulot « que puis-je faire pour mon pays ? » pour lutter contre la crise écologique qui semble tout emporter comme le signalait l’appel de 15 000 scientifiques, à la veille de la COP 23, sur l’état de la planète et sur le fait qu’il sera « bientôt trop tard pour agir ». En premier leu, affirmer en toute occasion que l’écologie et le social ne peuvent être dissociés. Affirmer que nous ne pouvons prélever plus de ressources naturelles que la planète ne peut en fournir et de produire plus de déchets que l’écosystème ne peut en absorber, concept appelé « empreinte écologique » traduit politiquement par celui de « la règle verte » de la France Insoumise. Ces deux affirmations conduisent à changer nos modes de production (productivisme), d’échange (libre échange), de consommation (consumérisme) et à réduire les inégalités du fait que tout appel à la relance de nouvelles politiques de croissance est un leurre fondamental. Face à ce constat, faut-il se taire après les Ordonnances Macron sur le travail qui donnent au patronat les clés pipées du dialogue social ? Faut-il se taire après l’abrogation de l’ISF ? Faut-il se taire sur le projet d’une société hiérarchisée par les « premiers de cordée » et structurée par le « ruissellement » des plus riches, une société qui se définit par le chômage de masse, la précarité de l’emploi, la précarité des revenus, une société où les chômeurs sont qualifiés de fainéants, d’immobiles, de « rien », une société inégalitaire protégeant les riches qui détruisent la planète comme l’analyse finement Hervé Kempf dans son ouvrage paru en 2007 « Comment les riches détruisent la planète » mais qui garde toute son actualité. Un tel constat, Nicolas Hulot peut difficilement l’entendre, faisant partie de cette caste qui refuse de faire descendre le débat écologique au sein de la cité et résoudre des questions de base.
Le travail est l’activité humaine qui permet à l’humanité de perdurer. Il s’agit d’un processus social reliant non seulement les humains entre eux, mais aussi les humains à la nature. Le chômage de masse dans la société est la conséquence d’une désindustrialisation provoquée par les fondamentaux de l’économie néo-libérale (libre circulation des capitaux, délocalisations), mais aussi d’une volonté du politique de séparer le progrès économique du progrès social : les cotisations sociales sont considérées par le patronat comme une « charge » et les salaires comme un « coût », séparation qui remet en cause des différentes formes de solidarité qui structurent le système français de protection sociale. Un emploi industriel génère trois à douze emplois indirects dans les services. Ce constat est fondamental pour répondre au slogan « l’avenir, ce sont les services » qui nie la réalité que c’est l’industrie qui crée les services et non l’inverse. On assiste depuis plus de trente ans à un processus de désindustrialisation de la France qui se traduit par une perte de souveraineté dans les secteurs clés de l’économie et amplifie le chômage de masse dans le pays. Le déclin industriel s’est traduit en France par une perte sèche en dix ans de plus d’un million d’emplois. La part de l’emploi industriel est passé de 24% à 13% entre trente ans (1980 à 2008) et la part du secteur industriel dans le PIB a enregistré une chute de 50% en 40 ans (1970 à 2011) ! L’industrie est un secteur indispensable pour la souveraineté économique et l’autonomie démocratique d’un pays. Cette exigence semble avoir échappé à nos dirigeants politiques de droite et de la social-démocratie et à nos élites des grands corps de l’État. La relocalisation des activités industrielles en France est par conséquent un enjeu politique essentiel pour la souveraineté du pays. Comment intégrer une politique de redressement national au niveau de la désindustrialisation subie en prenant en compte les contraintes imposées par la crise écologique ? L’ouvrage de Boris Bilia et Sandro Poli « Osons le protectionnisme. Une urgence sociale et écologique » peut inspirer un champ de réflexion. Voilà des éléments qui font débat, intégrant la place de l’industrie dans la politique nationale, le lien avec les politiques de protection sociale et les contraintes écologiques.
La crise écologique entraîne une explosion des maladies chroniques. Pour aborder la question de la santé humaine et de sa protection, les institutions de la Sécurité sociale ne peuvent aujourd’hui faire l’impasse sur la réalité de la crise écologique. Deux arguments souvent entendus mettent en opposition crise écologique et protection sociale. Le premier argument postule que la croissance est nécessaire au financement de la Sécurité sociale, croissance au sens de valeur économique ; or cette même croissance se trouve être l’une des causes de la dégradation écologique. D’où cette question : que peut être une Sécurité sociale dans une société sans croissance ? Le second argument postule que la Sécurité sociale est une « charge sociale ». Elle est donc présentée comme une dépense qu’il s’agirait de réduire au nom de la compétition économique. Dans ce contexte et pour résoudre le dilemme environnemental, certaines propositions sont en faveur de mesures fiscales vertes du type « écotaxe » afin de réduire les émissions polluantes et en même temps d’une diminution des cotisations sociales pour favoriser l’emploi et la compétitivité. En d’autres termes, la contrainte écologique sommerait les travailleurs à réduire leur « coût » social. Plutôt que céder à l’idée d’une impasse, avançons l’idée que Sécurité sociale peut rimer avec écologie, en sachant qu’une telle proposition soulève un large débat de société (1)M. Marchand & B. Teper (2016) L’avenir de la Sécurité sociale rime avec l’écologie. Respublica, n° 815, 2 juin 2016.

Que puis-je faire pour mon pays ? Voilà quelques propositions à débattre et certainement pas d’accepter les politiques de communication de Nicolas Hulot et d’Emmanuel Macron sur l’engagement de la finance internationale pour le climat, sur l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures alors que celle-ci ne représente que 1% de la consommation nationale, sur l’ignorance assumée par nos dirigeants politiques que les stratégies climatiques des multinationales françaises du CAC40 (2) G. Menahem (2017) Les stratégies climatiques des multinationales du CAC40. Respublica, n° 860, 23 décembre 2017 conduisent à un réchauffement de 5,5°C et non de 2°C comme s’y est engagé la COP 21.

Quelques références :
Bilia B. & Poli S. (2014) Osons le protectionnisme. Une urgence sociale et écologique. Ed. Bruno Leprince.
Escaffre J.P. & Favier R. (2017) La France se délite : Réagissons. Ed. Hdiffusion.
Kempf H. (2007) Comment les riches détruisent la planète. Ed. Seuil
Mélenchon J.L. (2012) La règle verte. Pour l’éco-socialisme. Ed. Bruno Leprince
Nobile O. & Teper B. (2014) Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIe siècle. Ed. Eric Jamet
Teper B. & Nicolas P. (2014) Penser la République Sociale pour le XXIe siècle. I- De la cité à l’atelier. II- Du salariat aux travailleurs associés. Ed. Eric Jame

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 M. Marchand & B. Teper (2016) L’avenir de la Sécurité sociale rime avec l’écologie. Respublica, n° 815, 2 juin 2016
2 G. Menahem (2017) Les stratégies climatiques des multinationales du CAC40. Respublica, n° 860, 23 décembre 2017
Quitter la version mobile