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Le GIEC, la guerre et nous

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Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)vient le 1er mars de publier son 6e rapport au moment où les troupes russes envahissaient l’Ukraine. Il porte sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes au changement climatique ; les précédents rapports traitaient essentiellement de la compréhension physique du système climatique et du changement climatique.  Rapidement étouffé par l’actualité ukrainienne, son contenu mérite pourtant une attention de première importance, car il s’agit ni plus ni moins que de l’avenir des conditions de vie de l’humanité sur notre seule planète possible, donc de l’avenir de l’humanité qui dépend en grande partie de décisions et dispositions à prendre dès aujourd’hui.

La dernière phrase du résumé pour les décideurs conclut : « Les preuves scientifiques cumulées sont sans équivoque : Le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire. Tout retard supplémentaire dans l’action mondiale concertée et anticipée en matière d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique manquera une brève occasion, qui se referme rapidement, de garantir un avenir vivable et durable pour tous. », ne laissant aucun doute sur l’aspect politique du changement climatique.

Un constat de plus en plus lourd

Ce rapport est la synthèse d’environ 34 000 papiers scientifiques. Les 269 autrices et auteurs principaux ont répondu à 62 418 commentaires des gouvernements et d’experts. Le résumé à l’intention des décideurs a été validé ligne par ligne par les gouvernements, après deux semaines de délibération sur chaque phrase. Il existe 3 documents :

Que nous dit le résumé pour les décideurs ?

Les températures ont augmenté en moyenne de 1,1 degré Celsius depuis le début de l’ère industrielle (1840)

« Impacts observés du changement climatique »

« Vulnérabilité et exposition des écosystèmes et des personnes »

Risques à court terme (2021-2040)

Risques à moyen et long terme (2041-2100)

Risques complexes, composés et en cascade

Bref, le GIEC nous invite à stopper urgemment l’augmentation de concentration de CO2 dans l’atmosphère et de renoncer aux énergies fossiles : charbon, pétrole, gaz.

Que se passe-t-il dans les faits ?

Mardi 8 mars 2022, huit jours donc après la publication du rapport du GIEC, une autre instance internationale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) annonçait que les émissions de CO2 du secteur de l’énergie fossile (charbon, pétrole et gaz) avaient battu tous les records en 2021. Elles ont augmenté de 2,1 milliards de tonnes (+ 6% par rapport à 2020) pour atteindre 36,3 milliards de tonnes, le plus haut niveau jamais atteint. C’est l’augmentation de la consommation de charbon, bien plus polluant que le gaz ou le pétrole, qui explique cette augmentation ; « La reprise de la demande d’énergie en 2021 accentuée par le mauvais temps et les conditions de marché, notamment la flambée des prix du gaz naturel, a entraîné une consommation accrue de charbon », précise le rapport.

Pour « le climat » aussi la guerre est la pire des catastrophes et entraîne des conséquences en cascade qui aggravent encore le phénomène.

S’agissant de l’année 2021, il s’agit des conditions du marché en période de paix. Or les sanctions prises contre la Russie, du fait de l’invasion de l’Ukraine, vont créer des difficultés d’approvisionnement en gaz russe auxquelles l’Europe (Allemagne, Italie, Autriche, Hongrie …) ne pourra faire face qu’en rouvrant des centrales électriques au charbon augmentant encore les rejets de CO2 au détriment de l’action contre les gaz à effet de serre et à l’urgence climatique. Pour « le climat » aussi la guerre est la pire des catastrophes et entraîne des conséquences en cascade qui aggravent encore le phénomène.

Des adaptations insuffisantes et fragmentées

Le rapport précise :

«C1 : Des progrès dans la planification et la mise en œuvre de l’adaptation ont été observés dans tous les secteurs et toutes les régions, générant des avantages multiples (confiance très élevée). Toutefois, les progrès en matière d’adaptation sont répartis de manière inégale, avec des écarts d’adaptation observés (confiance élevée).

De nombreuses initiatives donnent la priorité à la réduction des risques climatiques immédiats et à court terme, ce qui réduit les possibilités d’adaptation transformationnelle (confiance élevée).

C2 : Il existe des options d’adaptation réalisables et efficaces qui peuvent réduire les risques pour les personnes et la nature. La faisabilité de la mise en œuvre des options d’adaptation à court terme diffère selon les secteurs et les régions (confiance très élevée). Des solutions intégrées, multisectorielles qui s’attaquent aux inégalités sociales, qui différencient les réponses en fonction du risque climatique et qui traversent les systèmes augmentent la faisabilité et l’efficacité de l’adaptation dans de multiples secteurs (confiance élevée).

Les limites de l’adaptation

C3 : Les limites « souples » de certaines adaptations humaines ont été atteintes, mais elles peuvent être surmontées en s’attaquant à une série de contraintes, principalement financières, de gouvernance, institutionnelles et politiques.

Les limites « strictes » de l’adaptation ont été atteintes dans certains écosystèmes (confiance élevée). Avec l’augmentation du réchauffement climatique, les pertes et les dommages vont augmenter et d’autres systèmes humains et naturels atteindront les limites de l’adaptation (confiance élevée). »

Le GIEC doit publier ses préconisations d’adaptation en avril, cependant sous ce langage «diplomatique», le texte ayant été approuvé mot par mot par les gouvernements et ne mettant aucun pays en cause nominativement souligne toutefois les difficultés rencontrées pour l’adaptation; nous ne savons pas prendre des «solutions intégrées, multisectorielles, qui s’attaquent aux inégalités sociales» qui ne cessent de croître à travers le monde en raison des logiques prédatrices du système capitaliste dont le profit et le lucre sont les moteurs. D’ailleurs il (le GIEC) avertit contre les « mauvaises adaptations ».

« Éviter la mal adaptation »

C4 : Mal adaptation : les réponses inadaptées au changement climatique peuvent créer des verrouillages de la vulnérabilité, de l’exposition et des risques qui sont difficiles et coûteux à changer et exacerbent les inégalités existantes.

Parmi ces « mal adaptations » par exemple sont citées les digues qui finissent toujours par céder et qui relèvent d’une conception productiviste et extractiviste source de profits, « Sur le littoral, les digues protègent les personnes et les biens à court terme, mais elles empêchent les transferts de sédiments et dégradent les écosystèmes naturels » explique Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM et l’un des auteurs du rapport du GIEC(2)Le Monde du mardi 1er mars 2022, page 15. BRGM : Bureau des recherches géologiques et minières.. Croyant bien faire pour se protéger de la hausse du niveau de la mer les Maldives ont endigué, enroché, mis des épis ou des tétrapodes tout le long de leurs côtes « Or les îles avec un trait de côte fixé par des ouvrages lourds ne peuvent plus recevoir de sédiments et donc s’ajuster naturellement à l’élévation du niveau de la mer », « on va à la catastrophe. On sait que l’on s’est plantés avec l’ingénierie lourde, mais à partir du moment où l’on a commencé, c’est devenu comme un jouet que tout le monde veut et que les politiciens doivent apporter à chaque élection »(3)Virginie Duvat, professeure de géographie à l’université de la Rochelle et coautrice du 2e volet du 6e rapport du GIEC (Le Monde 1er mars)., une sorte d’engrenage infernal dans un pays qui dépense déjà 30 % de son budget annuel pour lutter contre la mer car la seule solution devient alors d’investir encore davantage, toujours des digues plus hautes et plus chères.  Or, nous savons que la meilleure solution est de « jouer » avec les écosystèmes (la nature), les accompagner dans leur fonctionnement ; ce que font par exemple les Néerlandais qui rendent des territoires inondables en supprimant des digues afin d’éviter le pire. « On doit laisser la nature nous protéger », « Protéger un mètre de côte avec une digue coûte 5000 dollars, contre moins de 20 dollars pour faire pousser un mètre de corail » dit Mohamed Nasheed, conseiller municipal de l’île de Felidhoo.

Sans paix pas de lutte possible contre les dérèglements climatiques

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU a déclaré à propos du 6e rapport du GIEC : « Ce rapport est un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l’échec du leadership climatique… Les plus grands pollueurs du monde sont coupables de l’incendie criminel de notre seule maison ». Hélas, il est à craindre qu’il ne s’agisse pas que d’une question de leadership, mais plus fondamentalement d’intérêts divergents entre capitalistes au niveau mondial, coupables de l’incendie criminel. Peut-on croire que les responsables de cet incendie puissent participer à son extinction ? C’est d’autant plus douteux que pendant que l’incendie se développe, le business continue comme avant et les comportements, y compris guerriers, pour l’hégémonie se poursuivent comme le démontre la guerre en Ukraine.

Cette course à l’hégémonie impérialiste est source de guerres (celle de l’Ukraine, mais aussi bien d’autres, celles au Yémen, en Irak et au Moyen Orient), n’est pas compatible avec les limites planétaires et est liée au changement climatique. Son instrumentalisation par des candidats à l’élection présidentielle pour imposer en accéléré des solutions de restriction pour les populations en est un aspect des plus cyniques.

Sans rien enlever sur les responsabilités de cette guerre, ni de la Russie envahisseuse, ni de l’OTAN, il est évident que du point de vue écologique et énergétique cette guerre est une catastrophe. Il n’y a rien de plus destructeur qu’une guerre à tout point de vue, humainement en premier lieu, mais aussi en pollution, en gaspillages énergétiques de toute nature, en destruction d’infrastructures, de villes entières et de matières premières, en destruction d’écosystèmes, de perte de biodiversité, etc.

Cette course à l’hégémonie impérialiste est source de guerres (celle de l’Ukraine, mais aussi bien d’autres, celles au Yémen, en Irak et au Moyen Orient), n’est pas compatible avec les limites planétaires et est liée au changement climatique. Son instrumentalisation par des candidats à l’élection présidentielle pour imposer en accéléré des solutions de restriction pour les populations en est un aspect des plus cyniques.

Dans son résumé aux décideurs le GIEC s’adresse à tous les responsables dans le monde entier. La pollution n’a pas de frontière nous dit-on. Les dérèglements climatiques touchent tous les pays, tous les territoires sans exception, l’action contre leurs conséquences ne peut donc être que coopérative et mondiale, même si les pays « coupables de l’incendie de notre seule maison » doivent prendre la tête de cette lutte, et que chaque État doit faire sa part. Une coopération au niveau mondial ne peut s’établir sur une série de conflits. Si l’on prend au sérieux les études et publications du GIEC, il y a urgence à cette coopération internationale, les COP nous démontrent à chaque réunion les difficultés à la mettre concrètement en œuvre, à dépasser les effets d’annonce même en temps de non-guerre, la guerre éloigne encore plus toute possibilité dans ce sens. L’urgence n’est plus le climat, mais la paix, paix sans laquelle la coopération n’est pas possible.

Cette réflexion vise à faire voir le saut civilisationnel à obtenir par l’action des peuples pour trouver ensemble les méthodes de coopération au niveau nécessaire face aux défis de notre époque.

Cette réflexion n’implique aucune complaisance pour tout agresseur et tout « va en guerre » ou responsable un tant soit peu de situation conflictuelle, ni d’un système de production prédateur recherchant structurellement le profit le plus grand et le plus vite possible, elle n’est pas non plus une question de morale. Elle vise à faire voir le saut civilisationnel à obtenir par l’action des peuples pour trouver ensemble les méthodes de coopération au niveau nécessaire face aux défis de notre époque. Le GIEC doit en avril publier ses recommandations : ResPublica reviendra à cette occasion sur toutes ces questions essentielles pour l’avenir de l’humanité sur la seule planète que nous pouvons habiter tant qu’elle subsiste.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Cette formule choisie par le GIEC peut s’apparenter au terme d’anthropocène ; l’anthropocène étant défini comme « une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques ». Cette définition fait le l’être humain (qui fait partie intégrante de la nature) le responsable en tant que tel des dérèglements climatiques, exonérant de toute responsabilité le modèle économique capitaliste et les activités qu’il engendre pourtant à la base de ces dérèglements. La notion d’anthropocène ne nous paraît pas refléter la complexité de la situation climatique et écologique actuelle et ne nous paraît pas opératoire.
2 Le Monde du mardi 1er mars 2022, page 15. BRGM : Bureau des recherches géologiques et minières.
3 Virginie Duvat, professeure de géographie à l’université de la Rochelle et coautrice du 2e volet du 6e rapport du GIEC (Le Monde 1er mars).
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