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Pêche démersale : un coup de tabac sur la pêche durable

Fin septembre 2022, l’ONG Bloom révélait l’application d’un « accord sale » (dirty deal) en matière de pêche(1)https://bloomassociation.org/trilogue-senne/. Contre la demande unanime des pêcheurs français et de 143 députés européens, les représentants du gouvernement français au Conseil de l’Union européenne ont sacrifié l’intérêt économique de leurs concitoyens pêcheurs et de la pérennité de l’exploitation des océans dans le respect des équilibres écologiques en s’entêtant à défendre une technique de pêche dévastatrice : la senne démersale (ce qualificatif s’applique aux poissons vivant près du fond, mobiles mais en dépendant)(2)Cette technique, qui s’est développée dans la Manche depuis un peu moins de 20 ans, s’apparente à celle du chalut et consiste à déposer sur les fonds marins un filet en forme d’entonnoir. Ce filet, explique l’ONG Bloom, est « relié par ses deux extrémités à un câble qui est déployé sur le fond encerclant une surface de 3 km² ». Le câble en question se trouve “ensuite mis en vibration pour créer un mur de sédiments”, puis « rabattu de manière à concentrer les poissons sur une zone de plus en plus réduite. La dernière étape piège les poissons dans le filet. ».

Plusieurs éléments sont avancés pour dénoncer la senne démersale. Le fait que la surface ratissée soit immense (en une journée, 5 navires suffiraient à pêcher sur une zone vaste comme celle de Paris), mais aussi que cette technique soit “non sélective”. Les acteurs associatifs mettent ainsi en avant un impact particulièrement nocif pour la biodiversité marine…

Trahison du gouvernement français au sein de la Trilogue européenne

En effet, au sein de la Trilogue(3)Les négociations en trilogue sont prévues dans les traités de l’UE (voir en particulier l’article 294 du traité sur le fonctionnement de l’UE). Ils sont utilisés si le Conseil de l’Union européenne n’accepte pas les amendements proposés par le Parlement européen en deuxième lecture. Dans ce cas, des négociations formelles en trilogue sont menées dans le cadre d’un comité de conciliation. Un trilogue est compris comme une réunion tripartite tout aussi composite entre ceux qui participent au processus législatif des institutions de l’UE. Ces organes sont la Commission européenne (CE), le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen. La Commission européenne assume la fonction de médiation., la France, contrairement au vote majoritaire des parlementaires européens et d’un grand nombre de députés français, s’est attachée à rejeter l’interdiction de cette technique de pêche dévastatrice pour l’océan, sa faune et sa flore marine, la senne démersale. Cette pratique mortifère contribue à fragiliser voire éliminer les entreprises familiales des patrons pêcheurs côtiers au profit de l’appétit vorace des flottes industrielles néerlandaises. Ces dernières sont, par ailleurs, impliquées dans des affaires récurrentes de fraudes(4)Elle permettrait à certains fraudeurs un gain financier de 500 000 € par an et par navire. D’autres se laissent tenter par le trafic de drogue…, de corruptions et de pêche illégale. Pire, le label MSC(5)Ce label repose sur trois critères : stock de poisson durable qui implique que l’effort de pêche doit se situer à un niveau qui permet d’assurer la pérennité des populations de poissons ; impact environnemental minimisé qui exige que les activités de pêche doivent être gérées de façon à maintenir la structure, la productivité, la fonction et la diversité de l’écosystème et gestion efficace des pêcheries qui oblige à ce que les pratiques respectent les lois en vigueur et mettent en place un système de gestion lui permettant de s’adapter aux différents changements. — qui laisse supposer ou fait croire au consommateur qu’il achète un produit vertueux socialement et écologiquement — est accordé aux pêcheries industrielles, dont celles des Pays-Bas qui évoluent particulièrement dans la Manche. Cette pratique risque fort d’achever les petits patrons pêcheurs côtiers français déjà touchés précédemment par la pratique de la pêche électrique tout autant que la biodiversité. De plus, les bateaux pratiquant la senne démersale exigent des petits patrons pêcheurs de libérer l’espace où ils opèrent, car la cohabitation entre pêche industrielle et pêche respectueuse de l’environnement est antagonique, la première excluant la seconde.

Le gouvernement en inadéquation avec les intérêts de la pêche artisanale et de l’agriculture paysanne

Comme dans le cas de l’agriculture paysanne respectueuse des producteurs, des animaux, de l’air et des sols, cette affaire de la senne démersale et la position du gouvernement Macron-Borne démontrent clairement que la politique macroniste, qui est alignée sur celle du syndicat FNSEA au profit d’une agriculture industrielle prédatrice de la nature, est également alignée sur celle du CNPMEM (Comité national des pêches maritimes et des élevages marins), organe supposé représenter les pêcheurs français, mais qui est, en réalité, dominé par les intérêts industriels et notamment néerlandais.

Dans un cas, la FNSEA, avec le soutien du gouvernement qui multiplie les ordres de confinement des petits élevages en plein air, entraînant l’éradication de la paysannerie familiale au profit des grandes structures. Dans l’autre, le CNPMEM est également déterminé à éliminer la pêche artisanale sous prétexte de lutte contre les maladies dont sont responsables les élevages industriels et les pêcheurs côtiers. Il est conforté en cela par l’abandon par le gouvernement français de la défense des petits patrons pêcheurs.

L’analyse pourrait se poursuivre avec la question des méga-bassines qui pompent l’eau des nappes phréatiques au seul bénéfice à court terme de l’agro-industrie qui détruit la biodiversité dans et sur les sols, qui pollue l’eau. Plutôt que de mener une concertation authentique sur la nécessité d’un autre modèle d’agriculture en phase avec les lois universelles de la nature et l’intérêt général humain, le gouvernement, par les paroles outrancières de son ministre de l’intérieur, opte pour la provocation en parlant d’« écoterrorisme » pour mieux dissimuler le fond du problème et surtout ne pas en débattre. Galvauder les termes de terrorisme et de prise d’otage dans le cas des grèves n’aide pas à engager un vrai débat.

Cette ligne gouvernementale est exemplaire d’une volonté d’appliquer, comme dans d’autres secteurs économiques et dans les services publics, l’orthodoxie ultralibérale qui domine au sein de l’Union européenne libérale et tout particulièrement au sein de la Commission européenne.

Visiblement, les aspects écologiques et sociaux de cette question laissent le président Macron indifférent. Comme le pense Claire Nouvian, fondatrice de Bloom : « Chaque déni démocratique, chaque abandon des petits métiers, chaque coup porté au climat, chaque mépris pour la volonté citoyenne creusent le sillon d’une amertume profonde et d’un sentiment d’impuissance qui nous font craindre le pire pour l’avenir de la République ».

Entre interdiction nécessaire et PAC, pas de contradiction fondamentale, mais divergence d’interprétation

L’interdiction de la pratique de la senne démersale n’entre pas en contradiction avec la PAC (Politique agricole commune) comme essaient de le faire croire les partisans et défenseurs de cette pratique mortifère.

De fait, l’article 5, 2° de la PCP et son annexe 1 définissent les droits d’accès aux eaux territoriales de chaque État membre par les navires de pêche des autres États membres « opérant traditionnellement ». Cet article, qui expire à la fin de l’année 2022, devrait être prorogé au-delà de cette date pour empêcher à n’importe quel navire d’accéder aux zones de pêche. L’interdiction de la senne démersale qui, rappelons-le, n’a aucun caractère d’activité traditionnelle n’entrerait pas en contradiction avec la PAC, car cette pratique n’existait pas lors de sa mise en œuvre.

Cela ne signifie pas que l’obtention de l’exclusion de la senne démersale détruirait l’article 5 et son annexe 1. Bien au contraire. C’est le fait que les pêcheurs néerlandais, qui ont des droits historiques dans les eaux françaises, utilisent une technique qui s’est énormément développée ces dernières années et qui n’existait pas au moment de l’établissement de la PAC, qui met cette dernière en danger.

Seul un rapport de force puissant unissant les consommateurs et les pêcheurs contre ces pratiques délétères pour le littoral français peut infléchir les interprétations de la PAC en faveur de la préservation des grands équilibres naturels, de la biodiversité et de l’emploi dans les petites pêcheries familiales et pousser le gouvernement français à agir dans le sens de l’intérêt général et non dans celui des intérêts financiers des grandes entreprises de pêche.

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Notes de bas de page
1 https://bloomassociation.org/trilogue-senne/
2 Cette technique, qui s’est développée dans la Manche depuis un peu moins de 20 ans, s’apparente à celle du chalut et consiste à déposer sur les fonds marins un filet en forme d’entonnoir. Ce filet, explique l’ONG Bloom, est « relié par ses deux extrémités à un câble qui est déployé sur le fond encerclant une surface de 3 km² ». Le câble en question se trouve “ensuite mis en vibration pour créer un mur de sédiments”, puis « rabattu de manière à concentrer les poissons sur une zone de plus en plus réduite. La dernière étape piège les poissons dans le filet. »
3 Les négociations en trilogue sont prévues dans les traités de l’UE (voir en particulier l’article 294 du traité sur le fonctionnement de l’UE). Ils sont utilisés si le Conseil de l’Union européenne n’accepte pas les amendements proposés par le Parlement européen en deuxième lecture. Dans ce cas, des négociations formelles en trilogue sont menées dans le cadre d’un comité de conciliation. Un trilogue est compris comme une réunion tripartite tout aussi composite entre ceux qui participent au processus législatif des institutions de l’UE. Ces organes sont la Commission européenne (CE), le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen. La Commission européenne assume la fonction de médiation.
4 Elle permettrait à certains fraudeurs un gain financier de 500 000 € par an et par navire. D’autres se laissent tenter par le trafic de drogue…
5 Ce label repose sur trois critères : stock de poisson durable qui implique que l’effort de pêche doit se situer à un niveau qui permet d’assurer la pérennité des populations de poissons ; impact environnemental minimisé qui exige que les activités de pêche doivent être gérées de façon à maintenir la structure, la productivité, la fonction et la diversité de l’écosystème et gestion efficace des pêcheries qui oblige à ce que les pratiques respectent les lois en vigueur et mettent en place un système de gestion lui permettant de s’adapter aux différents changements.
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