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Menaces sur les droits sexuels et reproductifs des femmes

Photo en noir et blanc d'une manifestation, avec une affiche portant le dessin d'un cintre et le slogan "never again"

Photo en noir et blanc d'une manifestation, avec une affiche portant le dessin d'un cintre et le slogan "never again"

Si « la femme est l’avenir de l’homme », les régressions en œuvre aux États-Unis mais aussi dans certains pays de l’Union européenne tels la Pologne(1)Où les femmes réfugiées d’Ukraine ne trouvent pas les droits qu’elles avaient dans le pays qu’elles ont fui ! et la Hongrie, n’incitent pas à l’optimisme…

Aujourd’hui, les membres de la Cour Suprême américaine, ont pris la décision de confier la responsabilité aux différents États de légiférer en la matière. Sans tarder, nombre d’États conservateurs ont décidé de supprimer le droit à l’avortement invoquant Dieu et des motifs religieux. Cela montre que l’épistémè religieuse, invisible du fait d’une sécularisation de la morale et de la justice qui ne va au bout de la logique laïque, est toujours importante.

Cette épistémè propre aux trois monothéismes dits abrahamiques (2)Michel Foucault désignait par épistémè un dispositif invisible de discours de vision du monde de représentation du réel qui fige ces représentations d’autant plus difficiles à combattre qu’elles semblent aller de soi, souvent inconsciente du fait de deux millénaires d’imprégnation de la société, relève d’un totalitarisme « souple » que Michel Onfray (3)Traité d’athéologie. qualifie ainsi :
– supériorité du cerveau vs vulgarité des viscères et du sexe,
– spiritualisation et dématérialisation de l’âme, soit esprit au-dessus de tout vs matière qui serait propice au péché,
– une série de haines plurimillénaires : rejet de la raison, de l’intelligence, de l’esprit critique, rejet de la sexualité, des femmes et du plaisir, rejet du corps, des désirs…

Cette atmosphère qui imprègne de plus en plus nos sociétés, en premier lieu les États-Unis mais aussi le Brésil de Bolsonaro ou encore, avec des résistances bienvenues, la Pologne et la Hongrie…, est un terreau fertile pour mettre en œuvre toutes ces régressions et les remises en cause de textes qui permettaient l’émancipation de tous par rapport aux prescriptions et interdits religieux.

L’arrêt de la Cour suprême américaine

C’est bien l’épistémè religieuse qui reprend de la force comme l’indique Margaret Atwood (4)Margaret Atwood est l’auteure canadienne de La servante écarlate. dénonçant dans une tribune un fort risque de retour aux lois du XVIIe siècle. (5)« Les dictatures théocratiques ne sont pas cantonnées au temps jadis : il en existe un certain nombre aujourd’hui sur Terre. Qu’est-ce qui épargnera ce sort aux États-Unis ?… Si on commence à revenir sur la jurisprudence constante en s’appuyant sur le raisonnement du juge Samuel Alito [auteur du projet de décision de la Cour suprême divulgué dans la presse], pourquoi ne pas contester le droit de vote des femmes ? » et rappelle l’arrêt Buck v. Bell, rendu en 1927 par la Cour suprême, qui a autorisé les pouvoirs publics à stériliser des personnes sans leur consentement, arrêt heureusement abrogé mais qui montre l’envie de certains États de faire de « l’appareil productif » des femmes leur seule propriété.

Elle précise : « Ce qui est un péché dans un cadre religieux précis est sur le point d’être érigé en infraction pour tous. …C’était pourtant simple : si vous croyez que l’âme apparaît à la conception, vous devez vous abstenir de tout avortement, car il constitue un péché dans votre religion. Si cela ne fait pas partie de vos convictions, vous ne devez pas — conformément à la Constitution — être contraint par les convictions religieuses d’autrui. »

L’Europe n’est pas à l’abri de tels retours en arrière. Les députés européens, droite et centre compris, ont élu à la tête du Parlement, en janvier 2022, Roberta Metsola (6)Roberta Metsola est une membre du Parti nationaliste de Malte et députée européenne depuis 2013. qui revendique son opposition à cette liberté fondamentale qu’est l’IVG.(7)Rappelons que la Charte européenne des droits fondamentaux proclamée à Nice en 2000 ne reconnait pas le droit à l’avortement pour toutes les Européennes.
En France, 89 députés viennent d’être élus sous l’étiquette du RN. Or le FN/RN n’a jamais caché sa volonté de restreindre cette liberté. S’affichant sans problèmes aux côtés de dirigeants européens ayant fait de cette liberté un crime, défendant l’idée d’un déremboursement de l’avortement il y a encore quelques années, Marine Le Pen a aussi voté contre l’allongement du délai pour avorter l’année dernière.

Contraception, avortement : Pour des droits effectifs

Reconnaître un droit formel à l’IVG et assurer le droit effectif d’y recourir sont deux choses bien différentes. On sait les débats qui entourent le nombre de semaines d’aménorrhée à ne pas dépasser et la tendance à allonger la période où l’intervention est possible, mais même en France où les conditions sont relativement libérales les limites de fait subsistent :  moyens insuffisants des hôpitaux et des services de santé ainsi que la clause de conscience spécifique des médecins dans ce domaine, leur permettant de refuser de pratiquer un avortement. Il reste donc beaucoup à faire pour assurer une meilleure égalité d’accès à l’IVG sur tout le territoire.

On peut en dire autant dans la pratique de l’accès à la contraception qui – en particulier dans le milieu scolaire – ne fait pas l’objet de tout l’accompagnement souhaitable. Si ce droit n’est pas remis ouvertement en cause de la même façon, on note cependant que les attaques frontales contre l’IVG s’accompagnent souvent de la volonté de restreindre l’accès à la contraception et de réduire les moyens accordés aux mouvements tels le Planning familial. Les deux combats doivent donc être menés de front en s’appuyant sur un principe de laïcité allant au bout de sa logique : accorder le primat à la raison, l’intelligence, l’esprit critique contre la soumission aux dogmes religieux.

Préserver l’acquis par l’inscription dans la Constitution française ?

Certes, l’inscription dans la Constitution ne préserve pas d’éventuelles modifications mais cela compliquerait les choses, pour les éventuels « abolitionnistes », car il faut une majorité des deux-tiers du Parlement pour procéder à un retrait. C’est bien pour cela que l’abolition de la peine de mort a été inscrite dans le texte fondamental. L’intergroupe de la Nupes (8)La constitutionnalisation de l’IVG a déjà été mise sur la table de l’Assemblée en 2018 par LFI et en 2019 par le PS., comme elle s’y était engagée, a déposé le 27 juin 2022 une proposition de loi constitutionnelle visant à protéger le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse. Cette proposition a été adressée pour cosignature à l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale à l’exception de ceux du Rassemblement national.

Il demeure un risque à éviter dans le débat sur la constitutionnalisation de ce droit c’est la réactivation de mouvements type « Manif pour tous » qui pourraient s’en saisir pour fracturer sur ce sujet la société française, alors même que le consensus favorable au droit à l’IVG semble acquis.

De la vertu et de la morale dans une République laïque

Certes la France n’est pas le 51e état des USA, l’arrêt de la Cour suprême ne nous concerne pas et ce ne sont pas les États-Unis qui doivent fixer l’agenda du débat politique en France. Cependant, trop souvent, ce qui advient outre-Atlantique, risque de nous tomber dessus quelques années après si nous n’y prenons garde.

Dans une république laïque, il est inconcevable d’accorder à une ou des religions le privilège de définir pour toutes et tous ce que serait « une vie bonne ». La morale et la vertu ne peuvent s’appuyer que sur la conformité avec l’utilité commune, l’intérêt général et non sur la soumission aveugle aux textes supposés sacrés ou révélés. Rappelons les propos de Pierre Bayle (1647-1706) : « Il n’est pas plus étrange qu’un athée vive vertueusement, qu’il n’est étrange qu’un chrétien (on peut élargir à toutes les religions principalement monothéistes) se porte à tous les crimes. »

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Où les femmes réfugiées d’Ukraine ne trouvent pas les droits qu’elles avaient dans le pays qu’elles ont fui !
2 Michel Foucault désignait par épistémè un dispositif invisible de discours de vision du monde de représentation du réel qui fige ces représentations d’autant plus difficiles à combattre qu’elles semblent aller de soi
3 Traité d’athéologie.
4 Margaret Atwood est l’auteure canadienne de La servante écarlate.
5 « Les dictatures théocratiques ne sont pas cantonnées au temps jadis : il en existe un certain nombre aujourd’hui sur Terre. Qu’est-ce qui épargnera ce sort aux États-Unis ?… Si on commence à revenir sur la jurisprudence constante en s’appuyant sur le raisonnement du juge Samuel Alito [auteur du projet de décision de la Cour suprême divulgué dans la presse], pourquoi ne pas contester le droit de vote des femmes ? »
6 Roberta Metsola est une membre du Parti nationaliste de Malte et députée européenne depuis 2013.
7 Rappelons que la Charte européenne des droits fondamentaux proclamée à Nice en 2000 ne reconnait pas le droit à l’avortement pour toutes les Européennes.
8 La constitutionnalisation de l’IVG a déjà été mise sur la table de l’Assemblée en 2018 par LFI et en 2019 par le PS.
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