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L’HÔPITAL PUBLIC : SITUATION ET PERSPECTIVES POUR LES USAGERS ET LE PERSONNEL

Voici un article rédigé par un ancien directeur d’hôpital public. On connaît la situation de l’hôpital public depuis les ordonnances Juppé. La situation s’est encore aggravée depuis l’accession au pouvoir de Macron. Cet article fait le point sur les « réformes » qu’il a subies et avance quelques propositions pour l’avenir. On verra que ce propos sur l’hôpital public peut être applicable à TOUS les établissements de santé, qu’ils soient MCO (médecine-chirurgie-obstétrique), sociaux ou médico-sociaux.

Une surabondance de réformes qui s’empilent et désorganisent les hôpitaux

Dans un rapport de 2023 au ministère de la Santé, on peut lire : « Notre système de santé et d’accompagnement doit évoluer, muter, se transformer ». Cet article est en phase avec ce constat, même si cette formule est typiquement « macroniste » ! La situation est connue, critique et préoccupante. Elle résulte de près de trente ans de « réformes » destructrices.

Les réformes Juppé, ordonnances qui instaurent les Préfets de santé (ARH ou agences régionales de l’hospitalisation devenues plus tard ARS agences régionales de santé), créent également les PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), les COM (contrats d’objectifs et de moyens), les SROS (schémas régionaux d’organisation sanitaire), l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) qui deviendra l’HAS (Haute autorité de la Santé) et plus tard, en décembre 2003, est mise en place la T2A (tarification à l’activité), les GHM (groupes homogènes de malades), issus des DRG (Diagnosis Related Groups de Fetter aux États-Unis).

Le décor est planté pour tout ce qui va suivre : la loi HPST – hôpital, patients, santé, territoires – dite Bachelot (21 juillet 2009), qui transforme les ARH en ARS en leur donnant le pouvoir sur la Sécurité Sociale, et qui met en place les PRS (plans régionaux de santé, qui renforcent les CME (commissions médicales d’établissement), et font du directeur le seul « patron » de l’hôpital. Ces directeurs sont formés au NPM (New Public Management) à l’EHESS (École des hautes études en santé publique ex-ENSP de Rennes). La « loi de modernisation de la Santé » dite loi Touraine du 27 janvier 2016 achève le dispositif de contrôle des hôpitaux par l’instauration des GHT (groupements hospitaliers de territoire) et la structuration des territoires de santé.

Chaque GHT doit mettre en place un comité stratégique, une CME, une CSIRMT (commission des soins infirmiers, de rééducation et médicaux-sociaux), une CDU (commissions des usagers) et une conférence territoriale de dialogue social. Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 suppriment les CTE (Comités techniques d’établissements) et les CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et les fusionnent dans un CSE (Comité social et économique). D’un seul coup, les ORP (organisations représentatives du personnel) sont divisées par deux…

On arrête ici l’énumération, car tout ce qui a suivi a confirmé le régime actuel sous réserve de modifications de détail. L’épidémie de COVID-19 a démontré où cela nous avait menés : pénurie de masques, d’appareils de réanimation, de médicaments, destruction de notre industrie de santé, suppression de dizaines de milliers de lits et de postes et de personnel de santé !

Impossibilité de réformer l’hôpital sans refondation d’ensemble

Peut-on en effet parler de « démocratie sanitaire » lorsqu’on examine le fonctionnement actuel de l’hôpital?

1 – Le Conseil de surveillance (CS) est enfermé dans une compétence d’attribution au bénéfice du directeur qui dispose, lui, d’une compétence générale. Notons, entre autres, que le directeur « informe » le CS du budget qu’il prépare seul avec l’ARS alors qu’il s’agit du principal document pour un hôpital.

2 – La CME délibère sur le projet médical et la nomination des médecins. Sur les autres points, les décisions de la CME peuvent n’être pas suivies par les directeurs. En fait chacun sait qu’un directeur ne peut prendre le risque de s’opposer frontalement à la communauté médicale…

3 – Le CSE qui regroupe 145 professions à l’hôpital n’a qu’un rôle consultatif. En cas de conflit durable sur l’organisation du travail, le directeur peut imposer son point de vue. On peut donc considérer que ce n’est pas le personnel qui décide de ses conditions de travail, de ses effectifs, de l’organisation du travail, mais l’État avec la réglementation nationale, l’ARS grâce à son autorité déconcentrée, et le directeur, puisqu’il est le « représentant légal » de l’hôpital.

4 – Le CHSCT n’existe plus et a été fusionné dans l’actuel CSE, strictement consultatif. Notons que le seul cas où le nouveau CSE peut imposer son avis, c’est quand il fait appel à un expert lorsqu’il estime qu’une organisation du travail ou une mesure d’hygiène ou de sécurité pose un problème de « risque grave et imminent » pour le personnel. En ce cas, le directeur doit attendre le dépôt du rapport de l’expertise pour mettre la mesure en œuvre ou en changer.

5 – Le Directoire a hérité des compétences retirées au CS. Le personnel médical, pharmaceutique, maïeutique et odontologique y est majoritaire. Tous les documents importants doivent passer par le directoire : projet d’établissement, projet médical, CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens), programme d’investissement, EPRD (état prévisionnel des recettes et des dépenses), organisation en pôles et contrats de pôle, etc. Notons que le personnel non médical est censé être représenté par le ou la Directrice des soins, alors qu’il compose 89 % du personnel d’un hôpital.

6 – Le directeur est certes nommé par le CNG (Centre national de gestion) et le Ministère, mais après avis du Directeur de l’ARS (un directeur n’est jamais nommé contre l’avis de l’ARS). Le président du CS n’a qu’un avis consultatif. Le président conduit la politique générale de l’établissement (Art. L–6143.7 du CSP-Code de la Santé Publique). Après consultation du Directoire et du CSE, sans être obligé de suivre leurs avis sauf sur certains sujets (projet médical et sécurité du travail), en accord avec l’ARS, il fixe l’EPRD, négocie le CPOM, arrête le bilan social, détermine le programme d’investissement, le PGFPI (plan global de financement pluriannuel d’investissement), les tarifs de prestations non fixés par l’État, le plan qualité, il signe les contrats de pôles, arrête le Règlement intérieur, le Plan Blanc, arrête le compte financier, etc.

On voit donc que depuis une trentaine d’années, il y a un glissement du pouvoir des anciens CA (conseils d’administration) vers le directeur.

Le verrouillage de l’institution hospitalière est donc total : par le haut avec les multiples contrôles (IGAS – inspection des affaires sociales –, IGF –Inspection générale des finances –, ARS, HAS, Cour des comptes, préfecture…) et par le bas (le directeur qui dispose de larges pouvoirs en tant qu’autorité hiérarchique solide). Il est donc nécessaire de reprendre en sous-œuvre l’ensemble de l’édifice !

Pour une démocratie réelle

Notre système de santé doit être totalement refondé et les demi-mesures sont insuffisantes. La situation est tellement grave qu’elle conduit à faire les propositions suivantes :

1 – Le conseil d’administration (et non de « surveillance », il faut en finir avec la novlangue du NPM et de la « corporate governance » !) doit être rétabli. L’hôpital public doit retrouver son statut d’établissement public administratif (EPA) avec personnalité juridique et autonomie financière et non plus celui, de facto, de simple service extérieur de l’ARS. Le CA retrouvera aussi sa compétence générale et c’est le directeur qui n’aura plus qu’une compétence d’attribution. Quatre grandes forces doivent y être représentées : d’abord les personnels médicaux et non médicaux qui doivent y avoir la majorité, les élus des collectivités territoriales, les représentants des usagers et enfin les représentants de la Sécurité sociale, principal financeur de l’hôpital. Toutes ces catégories doivent disposer de voix délibérative et pas seulement consultative. Le CA devrait être présidé par un membre du personnel. Le comptable de l’hôpital participera aux séances et devra fournir à toutes les instances la documentation financière et comptable permettant de se faire une opinion sur la situation de l’hôpital. La mesure principale à prendre est de donner la majorité absolue aux personnels médicaux et non médicaux de l’hôpital.

2 – Il n’y a pas de raison particulière de maintenir une CME spécifique. Le « corps médical » ne représente que 11 % du personnel. Il y a donc lieu de proposer la fusion du CSE et de la CME. Ce nouveau comité d’établissement aurait droit de veto sur toute décision engageant l’avenir de l’établissement. En cas de désaccord persistant entre le CE et le directeur, c’est le CA qui tranchera. Ce CE serait présidé par un membre des personnels médicaux ou non médicaux par accord interne. Le CE pourra mettre en place des commissions de travail, dont une commission médicale. Il aura toutes les compétences des actuels CME et CSE, sauf en matière de conditions de travail pour lesquelles le CHSCT sera rétabli.

3 – Le CHSCT serait réinstitué. Il retrouvera son droit de retrait et son droit d’alerte. Il pourra faire des recommandations aux CE et CA.

4 – Le Directoire pourrait être conservé, mais remanié. Il est intéressant de conserver cette instance utile entre les cessions du CA. Il conservera ses compétences actuelles, mais sa composition sera changée avec en tant que membres : le directeur, le président du CHSCT, le président du CE, le directeur des soins et six membres du CE tirés au sort ou désignés par cette instance. C’est dans cette instance que les personnels médicaux et non médicaux réapprendront à travailler ensemble.

5 – La direction : les directeurs de toutes catégories devront être formés à l’EHESS, laquelle devra être rattachée à l’Université. Le directeur devra recevoir une formation pluridisciplinaire de service public et non plus sur le mode du NPM (New Public Management) et encore moins du lean management car l’hôpital public n’est pas une « entreprise »! Sa compétence sera d’attribution et il sera nommé par le ministre après consultation du président du CA.

Tous les documents qui seront présentés au CA par la direction devront préalablement requérir l’avis du CE, du CHSCT et du Directoire.

6 – Il est proposé la suppression de la T2A, le retour à des budgets négociés entre les établissements et leurs tutelles, tenant compte des défauts du « budget à prix de journée » et du budget global et le retour aux DRASS et DDASS (Directions régionales et départementales de l’action sanitaire et sociale), simples administrations déconcentrées du ministère, sans tutelle sur la Sécurité sociale qui serait refondée notamment pour une sécurité sociale à 100 % et une gestion des caisses par les seuls salariés. Cette dernière disposition implique l’abrogation des ordonnances scélérates de 1967.

Il est clair que sans ces réformes, nous ne serons pas en mesure de répondre aux besoins de santé des populations ni de rétablir tant la confiance des personnels que celle des usagers qui ont soif de reconnaissance et de soins de qualité. La démocratie sanitaire, c’est la « dimension inclusive » par excellence, c’est la part la plus importante de la « reconstruction institutionnelle » en matière de santé, et c’est assurément le meilleur moyen d’établir le pouvoir d’agir, l’agency – l’agentivité – de toutes les parties prenantes de notre système de soins et, en premier lieu, de celle du personnel et des usagers.

 7 – Pour terminer, il serait important de rétablir les services de soins et médico-techniques, avec des conseils de service assurant la démocratisation de leur fonctionnement, même si une coordination par grandes disciplines n’est pas à écarter.

Les dernières annonces de M. Le Maire sur son plan d’économies de dix milliards indiquent que c’est bien le secteur social et sanitaire qui est encore visé. Voilà donc un motif de lutte supplémentaire pour les semaines qui viennent.

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