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McKinsey ou la volonté d’intervenir dans des domaines régaliens

Logo de McKinsey&Company sous une loupe

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McKinsey, sur son site officiel(1)https://www.mckinsey.com/industries/public-and-social-sector/how-we-help-clients/defense-and-security ne se cache pas de vouloir « aider » les États à « relever » les défis dans des domaines aussi divers que la défense ou la sécurité publique dans le monde entier. Cette aide pourrait paraître d’autant plus alléchante pour les tenants du dogme de la baisse des dépenses publiques que McKinsey affirme être en mesure de proposer des stratégies idoines tout en réduisant les dépenses(2)voir l’article du numéro précédent : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-contre-le-neoliberalisme/mckinsey-des-liens-incestueux-avec-letat/7431047.

Mettre sous tutelle idéologique ultralibérale l’administration publique

Sous une apparence de stricte neutralité, ce cabinet promet d’améliorer l’efficacité des ministères de la Défense, des forces de police, des ministères de la Justice, du système pénitentiaire. Le langage utilisé par ce cabinet révèle bien la philosophie de son action : tous ces secteurs régaliens qui devraient être le domaine réservé des services de l’État ou des services publics sont considérés comme des marchés et les États comme des clients, les fonctionnaires qui travaillent dans ces secteurs comme du « capital humain ». Les processus administratifs, selon eux, doivent être transformés pour s’adapter au new management(3)Extraits de La Déconomie de Jacques Généreux : « Un management antiéconomique. […] Le phénomène du stress au travail est à l’origine de 50 à 60 % des jours de travail perdus, […] aurait un coût direct estimé à quelque 4 % du PIB de l’Union européenne. […] Le coût indirect du mal être des salariés est plus difficile à chiffrer […] mais sans doute considérable. […] Le new management n’affecte pas seulement la productivité des employés reconnus comme victimes d’affections liées au stress ou au harcèlement moral. Il tend par nature à détériorer l’efficacité du travail […] parce qu’il en atteint le premier moteur :

– la motivation soit les motivations intrinsèques qui procurent des satisfactions indépendamment de toute récompense ou menace ou contrainte externe (le sens et l’intérêt du travail accompli, la qualité des relations humaines…) ;

– les motivations extrinsèques (rémunérations, perspectives de promotion…).

Le new management est fondé sur la destruction du premier type de motivation… Le new management est le contraire d’une rétribution au mérite… Le creusement entre la masse des salariés qui créent la valeur et la minorité qui l’extrait vient ajouter à la démotivation des premiers et à l’illégitimité des seconds… Plus on remonte dans la hiérarchie plus les primes s’élèvent comme si 10 % de surcharge de travail à la base avait engendré 50 % de surcharge au premier échelon de commandement, 100 % au deuxième, 200 % au troisième… Évaluer la performance individuelle n’a guère de sens dans des processus complexes et collectifs de création de valeur… À vouloir évaluer tout un chacun et tout le temps, on finit par détruire de la valeur… Le capitalisme combine deux tendances contradictoires qui lui sont inhérentes :  la sous-rémunération du travail et la suraccumulation du capital… »
  capitaliste qui ne correspond pas à la culture de service public qui vise, en priorité, la recherche de l’intérêt général. Le prétexte invoqué paraît anodin et semble relever du « bon sens » : mieux tirer parti de la technologie, favoriser la collaboration entre les services et transformer leur organisation. C’est oublier vite que toute organisation, toute technique ou technologie sous-tend une vision de la société. Celle de McKinsey est en phase avec la mise sous le boisseau du marché libre et concurrentiel de tous les services d’intérêt général qui représentent une manne financière des plus conséquentes pour la finance qui lorgne sur les profits juteux espérés par leur privatisation.

Voici ce que nous pouvons comprendre de la doxa avancée sur le site de McKinsey :

Armée et défense

McKinsey est, de fait, le cheval de Troie de l’intégration atlantiste puisque, sans se cacher, il propose ses services aux pays membres de l’OTAN afin d’améliorer leur efficacité sur tous les fronts terrestres, aériens et navals. Il est clairement suggéré d’identifier les obstacles organisationnels au changement. À n’en pas douter, font partie de ces obstacles l’esprit d’indépendance, la conscience civique de la vertu au sens où l’entendait Montesquieu dans un régime républicain, « le souci de l’intérêt général ».

Dans l’économie

Il s’agit de favoriser la croissance dont l’objet et les impacts sur la prédation de la nature et l’exploitation des êtres humains ne sont pas questionnés :

Dans l’éducation

Aux ministères des Finances

McKinsey, soi-disant neutre en réalité idéologiquement bien marquée par le fer rouge de l’ultralibéralisme, propose ni plus ni moins, dans presque tous les domaines, son expertise pour aller toujours plus vers une organisation de la société qui doit passer sous Les Fourches caudines des lois du marché.

Il est proposé de passer d’un ministère réactif, basé sur les transactions, à un façonneur stratégique d’élaboration des politiques qui agit en tant que gardien de l’efficacité des dépenses publiques. Belles paroles creuses qui évitent de poser la question de la justice fiscale. Faut-il proposer un système fiscal réellement progressif en lieu et place d’un système régressif qui fait que les prélèvements obligatoires pèsent plus lourd sur les classes populaires et moyennes basses ? Faut-il combattre efficacement contre l’évasion fiscale ? Certes non puisque ce cabinet est expert en la matière.

Sous un vocabulaire ronflant, McKinsey, soi-disant neutre en réalité idéologiquement bien marquée par le fer rouge de l’ultralibéralisme, propose ni plus ni moins, dans presque tous les domaines, son expertise pour aller toujours plus vers une organisation de la société qui doit passer sous Les Fourches caudines des lois du marché.

Le recours à des cabinets privés n’est pas accidentel

L’affaire McKinsey est consubstantielle du capitalisme financier, national et mondialisé et est révélatrice d’un système oligarchique dont le nouvel élu à la présidence de la République, M. Macron, en est un soutien et un promoteur efficace.

Il serait pour le moins naïf de penser que cette affaire délétère pour notre démocratie et les principes républicains dans leur acception française est un accident. L’affaire McKinsey est consubstantielle du capitalisme financier, national et mondialisé et est révélatrice d’un système oligarchique dont le nouvel élu à la présidence de la République, M. Macron, en est un soutien et un promoteur efficace. Ce dernier a su utiliser le soutien complaisant de la majorité des médias, y compris Marianne dont le propriétaire, contre l’avis de la société des rédacteurs, a imposé une couverture simpliste voire simplificatrice, l’épouvantail Le Pen pour effrayer et contraindre moralement à voter Macron(4)Marianne n° 1310 du 21 au 26 avril 2022 : une image positive de Macron pour lequel il fallait absolument voter et une image négative de Le Pen qui symbolisait le chaos. C’est l’exemple même d’une belle analyse binaire, bon d’un côté, mauvais de l’autre qui, en filigrane, stigmatise celles et ceux qui ont eu la « mauvaise » idée de voter blanc, de glisser un bulletin nul ou de s’abstenir.

Rapport d’enquête parlementaire aux États-Unis : le scandale des médicaments opioïdes

La France n’est pas la seule à être gangrenée par ce type de cabinet de conseil privé. Un rapport d’enquête parlementaire américain accable McKinsey. Ce rapport fait suite au constat d’une épidémie dramatique provoquée par l’addiction aux médicaments opiacés, addiction favorisée par une stratégie élaborée par McKinsey pour le compte de plusieurs laboratoires pharmaceutiques :

Comme toujours aux USA, pays de l’argent roi, McKinsey accepte, en 2021, de payer 573 millions de dollars afin d’obtenir un compromis avec la justice étasunienne. Est-ce qu’une partie des millions issus de l’évasion fiscale en France finance ce compromis ? Le conflit d’intérêts, comme en France, paraît patent. L’entrisme de McKinsey dans l’administration étasunienne lui a permis de faire nommer un ancien « partner » de la firme, un certain Paul Mango, adjoint du Secrétaire d’État à la Santé pour les questions réglementaires… C’est ainsi que la commission parlementaire a identifié pas moins de 37 projets stratégiques pour le compte de la FDA (agence fédérale en charge d’approuver la mise sur le marché des médicaments). Les consultants de McKinsey aidaient Purdue Pharma à obtenir les autorisations nécessaires pour la mise sur le marché de ses médicaments hautement addictifs et les dirigeants de McKinsey se vantaient, auprès du PDG de même laboratoire, de leurs liens avec des gens bien placés à la FDA…

La domination américaine sur l’économie mondiale, et la globalisation ont facilité l’implantation de nombre de ses activités dans 67 pays, dont la France. Dans le même temps, McKinsey a trouvé un nouveau filon bien juteux : conseiller les administrations publiques. Cela lui a été d’autant plus aisé que la tendance majoritaire des gouvernements ultralibéraux ne jure que par le dogme selon lequel « l’État et ses fonctionnaires ne sont pas la solution, mais le problème ». Après quarante ans d’esprit « reaganien » et « thatchérien », on commence à entrevoir que ces privatisations à outrance de l’action publique sont sources de conflits d’intérêts majeurs. La république a été instaurée pour séparer la chose publique de la chose privée, pour mettre à bas la monarchie dans laquelle le roi confondait sa caissette personnelle et les impôts pour lesquels il n’a pas à rendre compte.

Deux conceptions de la république et de la démocratie

Cette affaire McKinsey symbolise, fondamentalement, la fracture entre deux conceptions de la république et de la démocratie : une conception anglo-saxonne qui atomise la société et une conception française qui donne la priorité à la notion d’intérêt général.

Cette affaire McKinsey symbolise, fondamentalement, la fracture entre deux conceptions de la république et de la démocratie : une conception anglo-saxonne qui atomise la société et une conception française qui donne la priorité à la notion d’intérêt général. Un texte rédigé par Régis Debray en 1995 illustre bien la différence de nature entre la démocratie anglo-saxonne et ce que devrait être la République française. Cette dernière, sous les coups de boutoir des puissances d’argent et des communautarismes religieux, l’est de moins en moins. En voici quelques extraits :

« La république est la démocratie plus […] La république, c’est la liberté, plus la raison. L’État de droit, plus la justice […] La démocratie […] c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières. Opposer la république à la démocratie, c’est la tuer. Et réduire la république à la démocratie, qui porte en elle l’anéantissement de la chose publique, c’est aussi la tuer. […] Le gouvernement républicain définit l’homme comme un animal par essence raisonnable, né pour bien juger et délibérer de concert avec ses congénères. Libre est celui qui accède à la possession de soi, dans l’accord de l’acte et de la parole. Le gouvernement démocratique(5)NDLR : dans son acception anglo-saxonne tient que l’homme est un animal par essence productif, né pour fabriquer et échanger. Libre est celui qui possède des biens, entrepreneur ou propriétaire. Ici donc, la politique aura le pas sur l’économie ; et là, l’économie gouvernera la politique »(6)NDLR : cela n’est pas sans rapport avec la prégnance de plus en plus importante des cabinets privés de conseil.
D’autres extraits des propos tenus par Régis Debray : « Depuis 1789, et plus exactement depuis 1793, lorsque des insensés eurent l’audace d’arracher à Dieu, pour la première fois, le gouvernement des hommes sur un canton de la planète, nous [NDLR : en France républicaine] sommes marginaux et à contre-courant. Deux cents ans après et en dépit des apparences, notre République n’a pas en Europe de véritable équivalent Les meilleurs en république vont au prétoire et au forum ; les meilleurs en démocratie font des affaires. Le prestige que donne ici le service du bien commun, ou la fonction publique, c’est la réussite privée qui l’assure là… En république, l’État est libre de toute emprise religieuse. En démocratie, les Églises sont libres de toute emprise étatique. Par « séparation des Églises et de l’État », on signifie en France que les Églises doivent s’effacer devant l’État, et aux États-Unis que l’État doit s’effacer devant les Eglises. »

« Quand une république se retire sur la pointe des pieds, ce n’est pas l’individu libre et triomphant qui occupe le terrain. Généralement, les clergés et les mafias lui brûlent la politesse, tant il est vrai que chaque abaissement moral du pouvoir politique se paie d’une avancée politique des autorités religieuses, et d’une nouvelle arrogance des féodalités de l’argent. »

L’urgence de constituer un « bloc historique » populaire majoritaire(7)https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/acceleration-de-la-crise-economique-guerriere-et-sociale-pour-les-legislatives-2022/7431196 à la suite des deux tours de l’élection présidentielle se confirme avec la révélation de telles pratiques contraires à l’esprit d’une authentique république.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 https://www.mckinsey.com/industries/public-and-social-sector/how-we-help-clients/defense-and-security
2 voir l’article du numéro précédent : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-contre-le-neoliberalisme/mckinsey-des-liens-incestueux-avec-letat/7431047
3 Extraits de La Déconomie de Jacques Généreux : « Un management antiéconomique. […] Le phénomène du stress au travail est à l’origine de 50 à 60 % des jours de travail perdus, […] aurait un coût direct estimé à quelque 4 % du PIB de l’Union européenne. […] Le coût indirect du mal être des salariés est plus difficile à chiffrer […] mais sans doute considérable. […] Le new management n’affecte pas seulement la productivité des employés reconnus comme victimes d’affections liées au stress ou au harcèlement moral. Il tend par nature à détériorer l’efficacité du travail […] parce qu’il en atteint le premier moteur :

– la motivation soit les motivations intrinsèques qui procurent des satisfactions indépendamment de toute récompense ou menace ou contrainte externe (le sens et l’intérêt du travail accompli, la qualité des relations humaines…) ;

– les motivations extrinsèques (rémunérations, perspectives de promotion…).

Le new management est fondé sur la destruction du premier type de motivation… Le new management est le contraire d’une rétribution au mérite… Le creusement entre la masse des salariés qui créent la valeur et la minorité qui l’extrait vient ajouter à la démotivation des premiers et à l’illégitimité des seconds… Plus on remonte dans la hiérarchie plus les primes s’élèvent comme si 10 % de surcharge de travail à la base avait engendré 50 % de surcharge au premier échelon de commandement, 100 % au deuxième, 200 % au troisième… Évaluer la performance individuelle n’a guère de sens dans des processus complexes et collectifs de création de valeur… À vouloir évaluer tout un chacun et tout le temps, on finit par détruire de la valeur… Le capitalisme combine deux tendances contradictoires qui lui sont inhérentes :  la sous-rémunération du travail et la suraccumulation du capital… »

4 Marianne n° 1310 du 21 au 26 avril 2022 : une image positive de Macron pour lequel il fallait absolument voter et une image négative de Le Pen qui symbolisait le chaos. C’est l’exemple même d’une belle analyse binaire, bon d’un côté, mauvais de l’autre qui, en filigrane, stigmatise celles et ceux qui ont eu la « mauvaise » idée de voter blanc, de glisser un bulletin nul ou de s’abstenir
5 NDLR : dans son acception anglo-saxonne
6 NDLR : cela n’est pas sans rapport avec la prégnance de plus en plus importante des cabinets privés de conseil.
D’autres extraits des propos tenus par Régis Debray : « Depuis 1789, et plus exactement depuis 1793, lorsque des insensés eurent l’audace d’arracher à Dieu, pour la première fois, le gouvernement des hommes sur un canton de la planète, nous [NDLR : en France républicaine] sommes marginaux et à contre-courant. Deux cents ans après et en dépit des apparences, notre République n’a pas en Europe de véritable équivalent Les meilleurs en république vont au prétoire et au forum ; les meilleurs en démocratie font des affaires. Le prestige que donne ici le service du bien commun, ou la fonction publique, c’est la réussite privée qui l’assure là… En république, l’État est libre de toute emprise religieuse. En démocratie, les Églises sont libres de toute emprise étatique. Par « séparation des Églises et de l’État », on signifie en France que les Églises doivent s’effacer devant l’État, et aux États-Unis que l’État doit s’effacer devant les Eglises. »
7 https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/acceleration-de-la-crise-economique-guerriere-et-sociale-pour-les-legislatives-2022/7431196
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