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Criminalisation du mouvement social : une actualité très inquiétante

La République instruisant la Démocratie (statue du Père-Lachaise, division 65)

La semaine dernière, Ernest M., responsable des droits étrangers aux éditions de La Fabrique, a été arrêté par la police britannique alors qu’il se rendait à la Foire du livre de Londres. Il a été détenu sans avocat en vertu de « l’alinéa 7 de la loi antiterroriste de 2000 », relâché le lendemain sans poursuites, mais son téléphone et son ordinateur ont néanmoins été saisis. Il paraît très probable que les autorités françaises aient sollicité leurs homologues anglais pour cette arrestation, sans doute pour essayer d’obtenir des coordonnées de personnalités issues du milieu de la gauche radicale. Cette nouvelle affaire scandaleuse s’ajoute à plusieurs faits graves ayant eu lieu ces dernières semaines et qui témoignent de la montée en intensité de la criminalisation du mouvement social.

Le cas emblématique de la LDH

Après les propos tenus par Gérald Darmanin à l’encontre de la Ligue des droits de l’Homme (voir le précédent éditorial : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-social/sous-le-soleil-davril-en-macronie/7433524) et qui avaient à juste titre scandalisé une grande partie de l’opinion publique, on aurait pu penser que le gouvernement reviendrait à la raison. Manifestement non. Dans les questions au gouvernement le mercredi 12 avril, Elisabeth Borne a confirmé la méfiance du gouvernement vis-à-vis de l’association centenaire : « J’ai beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné, [mais] je ne comprends plus certaines de ses prises de position. Cette incompréhension [] s’est fait jour dans ses ambiguïtés face à l’islamisme radical. Et elle s’est confortée depuis quelques mois ».

Dans le climat actuel, tout opposant politique est en train de devenir un ennemi de la démocratie, selon la rhétorique que le gouvernement essaie d’imposer. Le cas de la Ligue des droits de l’Homme, une association dont le travail est respecté et reconnu, est très choquant, mais il révèle en réalité une dynamique à l’œuvre depuis plusieurs années. En effet, il y a ces dernières années une volonté de mettre au pas les opinions et associations qui dérangent trop le pouvoir. Ce durcissement est croissant depuis 2015 et les attentats terroristes. La création de la cellule Déméter en 2019 (cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole) a marqué par exemple un franchissement dans la criminalisation de certains modes d’action des associations écologistes et animalistes. D’ailleurs, dans son communiqué du 14 avril 2023, le Défenseur des droits « dénonce [depuis plusieurs années] un affaiblissement de [la liberté d’association] qui se manifeste de différentes manières, plus ou moins insidieuses. Depuis 2016, l’institution déplore l’existence de pratiques d’intimidation des forces de l’ordre à l’encontre des associations de défense des plus précaires présentes sur le terrain lors des opérations d’expulsion des campements d’exilés ».

La loi « confortant le respect des principes de la République » datant d’août 2021 a instauré un contrat d’engagement républicain (CER) qui est obligatoire pour les associations recevant des subventions publiques ou celles ayant un agrément (qui leur permet d’agir en justice) ; cela concerne plusieurs centaines de milliers d’associations (sur le million et demi d’associations présentes en France). Or, par ce contrat, les associations s’engagent notamment à s’abstenir de tout trouble grave à l’ordre public et de tout prosélytisme abusif, ce qui est large et sujet à interprétation. Comme le souligne le Défenseur des droits :

À l’occasion de l’adoption de la loi confortant le respect des principes de la République, le Défenseur des droits a également dénoncé la restriction de la liberté d’association que constitue le conditionnement de l’attribution de subventions à la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». Ce contrat n’exige plus seulement des associations qu’elles ne commettent pas d’infraction, mais aussi qu’elles s’engagent positivement et explicitement, dans leurs finalités comme dans leur organisation, sur des principes qui sont ceux de la puissance publique. Un tel renversement dénature en partie le statut des associations, qui ne sont pas des acteurs publics, et autorise un contrôle très poussé de l’État sur les actions des associations.

Ce contrat d’engagement est entré en vigueur depuis le début de l’année 2022, mais il vient à acter une dégradation des relations entre associations et les pouvoirs publics et donne un socle juridique solide à des pratiques qui avaient cours, mais qui restaient limitées.

On a pu constater récemment plusieurs utilisations détournées des lois antiterroristes pour s’attaquer à des groupes contestataires et le rythme de dissolutions a atteint un niveau inédit. Avant les Soulèvements de la Terre, en janvier 2022, Gérald Darmanin avait annoncé sa volonté de dissoudre « Nantes révoltée », un média militant devenu depuis Contre Attaque (https://contre-attaque.net/), finalement non mise en œuvre. À ce sujet, on pourra lire l’analyse historique de l’avocat Raphaël Kempf Ennemis d’État. Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes (paru en 2019 aux éditions de la Fabrique) qui retrace l’ancienneté de ces pratiques.

Les associations écologistes particulièrement visées

Si la répression contre le mouvement social et les associations ne date donc pas d’hier – on pense particulièrement au harcèlement des autorités vis-à-vis des associations d’aide aux réfugiés (on pense notamment à ce cas d’un bénévole agressé par un CRS à Calais : https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/09/02/violences-policieres-un-crs-condamne-pour-l-agression-d-un-benevole-a-calais-en-2018_6093145_1653578.html), force est de constater qu’elle s’amplifie actuellement contre le mouvement écologiste, y compris dans les discours avec l’emploi du terme « écoterroriste ». Au-delà du cas des Soulèvements de la Terre – dont on attend toujours la décision concernant leur dissolution –, plusieurs affaires récentes montrent comment le contrat d’engagement républicain évoqué plus haut sert à tenter d’entraver l’action de ces associations :

Les associations environnementales semblent être dans le viseur de l’État en raison de leur opposition à de grands projets d’aménagement inutiles et leur recours à l’action directe non violente, parfois avec succès. On se souvient d’ailleurs du limogeage récent de la préfète Marie Lajus, vraisemblablement en raison de son opposition à la construction d’un laboratoire de recherche sur un site protégé(1)Source : https://www.francetvinfo.fr/politique/ce-que-l-on-sait-du-limogeage-de-la-prefete-d-indre-et-loire-marie-lajus_5571402.html.

Cette politique répressive tend à dépolitiser la vie associative pour la cantonner à un opérateur de services, alors que notre démocratie moribonde a besoin de contre-pouvoirs, d’autant plus quand l’action gouvernementale, en particulier pour ce qui concerne la transition écologique, n’est pas à la hauteur du tout ! Cependant, les conséquences de la loi Séparatisme contre de nombreuses associations et les attaques récentes ont contribué à fédérer le monde associatif, et à créer des alliances entre associations institutionnelles et d’autres plus contestataires. La Ligue des droits de l’Homme a par exemple reçu en quelques jours quelques dizaines de milliers d’euros de dons à la suite des déclarations des ministres, de même, de nombreuses personnalités et associations ont signé l’appel des Soulèvements de la terre. Il est possible que face à ces attaques de plus en plus visibles et choquantes, de plus en plus de personnes s’engagent au sein d’associations et que celles-ci se repolitisent davantage, c’est ce que l’on souhaite !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Source : https://www.francetvinfo.fr/politique/ce-que-l-on-sait-du-limogeage-de-la-prefete-d-indre-et-loire-marie-lajus_5571402.html
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