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Le dernier homme

Depuis les gilets jaunes, le thème des violences policières et, pire, de leur banalisation occupe une place importante dans le débat public. Le sociologue Sébastien Roché a montré que la France détenait le triste record du nombre de personnes tuées par la police (et la gendarmerie, mais dans une moindre mesure) par habitant, très loin, par exemple, devant la police allemande. L’affaire de Sainte-Soline, où les caméras de la gendarmerie montrent une violence décomplexée, a relancé ce débat politique très clivant.

 

Toutefois, il est des cas qui passent sous les radars médiatiques, comme celui évoqué ici, sur un mode poétique qui canalise une profonde indignation, d’un homme soudanais armé d’un couteau et tué par trois policiers à Lorient. Ce cas jette aussi une lumière crue sur le délabrement de la psychiatrie publique, à laquelle on préfère une gestion sécuritaire et musclée. On imagine l’état de délabrement psychique de ce migrant, qui aurait dû être pris en charge psychiatriquement. Sa fin tragique clôt certainement une biographie où les traumatismes se sont cumulés.

 

Frédéric Pierru

Un homme

Il avait 39 ans

Il était soudanais

Il était seul contre trois policiers

Un couteau contre trois armes à feu

Il a été tué lundi à Lorient

La veille du 11 novembre

Un seul homme soudanais contre trois policiers français

Des bruits secs ont claqué

Une femme est sortie précipitamment de chez elle, il titubait

Une dernière inspiration, le froid et les paupières lourdes

Il s’est évanoui, adieu la vie

L’homme soudanais est tombé

Sous le soleil lundi à Lorient

Déjà condamné par le passé pour « violences aggravées », l’homme soudanais devait faire l’objet d’une expertise psychiatrique, selon le parquet

Le maire de Lorient a exprimé son « soutien » aux trois policiers

Le ministre de l’Intérieur a salué leur « courage »

Pas un n’a salué le courage de l’homme soudanais encerclé par trois policiers français

Une autopsie sera menée et des analyses toxicologiques sont en cours, pour savoir les causes du décès, son sang est-il noir ?

Hommes soudanais dépigmentez-vous ou peignez-vous en blanc si vous voulez échapper aux policiers

La police des polices va enquêter

Mais les trois policiers seront relaxés

Il avait 39 ans

Il était titulaire d’une « carte de séjour temporaire »

De quoi souffrait-il ? On ne le saura jamais

Il était temporairement sur terre

Il a été tué lundi à Lorient, pas à Khartoum.

L’armée et les milices tuent au Soudan

Il aurait pu être tué mille fois au Soudan

Mais non c’est à Lorient qu’il a été tué au lieu d’être soigné

La veille du 11 novembre

Il avait 39 ans

Il s’appelait…

Il s’appel…

Il s’ap…

Il s’…

Il…

… Un homme, exilé, battu, massacré.

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