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L’anarchiste qui s’appelait comme moi, roman d’aventure historique inoubliable

Couverture du roman de Pablo Martin Sanchez L'anarchiste qui s'appelait comme moi

Pablo Martín Sánchez est un écrivain espagnol, traducteur dans son pays d’écrivains français et membre de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle, un groupe de recherche littéraire fondé en 1960) depuis 2014, un jour, c’est en 2007, il tape son nom – un nom très commun en espagnol – dans Google. L’une des occurrences le conduit à la page d’un Dictionnaire international des militants anarchistes où il découvre que l’un de ses homonymes a été condamné à mort en 1924, après une expédition révolutionnaire à Vera de Bidasoa. Ne disposant que de mentions très parcellaires sur ce protagoniste, il décide de se mettre en quête de plus d’informations, et c’est alors qu’il devient le dépositaire de l’histoire ô combien romanesque de cet autre Pablo Martín Sánchez dont il décide de raconter la vie.

Dans un roman dense de six cents pages, publié en 2012, mais traduit en français seulement l’année dernière chez Zulma et La Contre Allée, Pablo Martín Sánchez mêle avec une incroyable virtuosité le parcours de son double anarchiste avec l’histoire politique et sociale du début du XXème siècle.

Un fond historique passionnant

Suivre les pas de l’anarchiste Pablo Martín Sánchez nous conduit dans le milieu révolutionnaire du Paris des années folles où de nombreux exilés espagnols – syndicalistes, anarchistes, communistes et républicains – ont trouvé refuge après le coup d’État de Miguel Primo de Rivera qui a installé une dictature militaire en Espagne en 1923. En France, le cartel des gauches est clément avec ces réfugiés (dont certains célèbres tel le romancier Vicente Blasco Ibáñez) qui tentent de se mobiliser pour que leur pays retrouve la liberté. De la brasserie La Rotonde où se réunissent en cachette les révolutionnaires, à l’imprimerie la Fraternelle dans le quartier de Belleville où Pablo Martín Sánchez exerce comme compositeur et typographe, en passant par le café Le point du jour, c’est toute une géographie et l’ambiance des quartiers populaires de cette époque qui est restituée.

« De nos jours, il n’existe plus qu’une Espagne cyniquement matérialiste, qui ne pense qu’aux profits vulgaires et immédiats ; elle ne croit en rien, elle n’espère rien et accepte toutes les bassesses de l’époque actuelle parce qu’elle n’a pas le courage d’affronter les aventures de l’avenir. Le pays de Don Quichotte est devenu le pays de Sancho Panza : glouton, couard, servile, grotesque, incapable d’aucune idée située au-delà des bords de sa mangeoire. »

Blasco Ibáñez, Una nación secuestrada.

Ponctuant son récit d’extraits de manifestes et de journaux de l’époque, l’écrivain nous familiarise avec plus d’une vingtaine de protagonistes de ce milieu où l’on croise des figures attachantes comme Roberto Olaya, ami d’enfance de Pablo Martín Sánchez, un végétarien naturiste toujours accompagné de son chien dénommé Kropotkine. Le lecteur (ou en l’occurrence la lectrice) est transporté au cœur de la préparation et de la mise en œuvre de l’expédition révolutionnaire qui a pour but de renverser Primo de Rivera, avec tous les aléas qui la composent : comment assurer une communication fiable avec les relais en Espagne dans un environnement truffé d’espions ? Comment financer le voyage et l’équipement nécessaire ? Les agitateurs spécialistes de la harangue de foule dans les meetings iront-ils jusqu’au bout lorsqu’il s’agira de prendre des armes ?

Mais au-delà de nous faire découvrir cet épisode peu connu de l’histoire espagnole (car il précède la guerre civile), le récit nous emmène aussi sur les traces de l’internationale anarchiste en Europe et outre Atlantique.

La vie d’un homme pris par l’Histoire

Outre ces soubresauts historiques, l’écrivain espagnol raconte également en détail la vie intime d’un homme de ce temps. Le découpage du roman très judicieux entremêle en effet les événements de l’année 1924 avec la vie de Pablo Martín Sánchez depuis sa naissance jusqu’à son arrivée à Paris. Ainsi, la jeunesse et l’adolescence sont magnifiquement narrées et les joies (une démonstration du cinématographe des frères Lumières), l’ennui (les trois années de conscrit) et les peines (la visite des poilus à Verdun) du personnage principal sont intimement liés à la grande Histoire. Pour autant, l’écrivain accorde beaucoup d’importance aux relations nouées par son personnage, relations qui nourrissent et influencent la vie de tout un chacun : une famille aimante au soutien indéfectible, une amitié durable et un grand amour contrarié. C’est avec un grand talent de conteur que le narrateur (qui se permet de nombreux commentaires au fil du récit) déroule cette vie avec une précision historique qui s’intègre admirablement dans le destin et les sentiments d’un homme. On ne peut qu’être stupéfait du talent de l’auteur dont l’imagination donne si bien corps à ces personnages que l’on est tenu en haleine jusqu’à la dernière page.

Ce roman, très réussi dans sa forme, est en fin de compte aussi un vibrant hommage à ces combattants de la liberté qui ont tenu à ce que le souvenir de cette tentative puisse perdurer afin que ne soient pas oubliées les injustices dont ils furent victimes. Pablo Martín Sánchez grâce à L’anarchiste qui s’appelait comme moi les a sortis des manifestes et journaux pour les faire entrer dans la littérature, un moyen plus sûr de passer à la postérité.

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