Joie de la libération enfin advenue
Depuis mon adolescence, je militais contre la guerre du Viêt Nam. Le 27 janvier 1973, j’étais devant le Centre des Conférences à Paris pour fêter la signature de l’Accord de Paris. La paix semblait encore lointaine. Lorsque, le 30 avril 1975, je remontais du sud de la France vers Paris pour participer comme chaque année au défilé du 1er mai, j’ignorais encore que je participerais à un défilé historique. Dans la voiture, la radio diffusait musiques, chansons et, à chaque heure, les informations. Rien de spécial, à part une « brève » disant que les troupes du Nord avançaient vers le Sud. Et puis, le rythme des informations s’est accéléré. Des « flashes » coupaient les émissions parlant de l’avancée des troupes du Nord, donnant le nom des villes qui « tombaient ». On apprenait que des soldats de l’armée du Sud jetaient leurs armes, enlevaient leurs uniformes pour se fondre dans la foule ! Était-ce enfin la Victoire, la Libération, la fin de la guerre ? Et puis la chute de Saigon fut annoncée, la Libération confirmée. Stupéfaction de ma part. Arrivée à Paris, j’allume enfin la télévision et vois ébahie le tank qui ouvre les grilles du palais présidentiel, le drapeau du Front National de Libération qui flotte sur le toit. Le rêve devenu enfin réalité !
Toute la nuit, avec les amis vietnamiens, nous avons préparé des drapeaux, des banderoles, des boites pour récolter de l’argent. Notre cœur était plus léger, nous savions que notre soutien devrait changer de forme, nous y étions prêts.
Défilé du 1er mai 1975 : solidaire et internationaliste
Pour le défilé du 1er mai, nous devions nous retrouver derrière la banderole de l’Union des Vietnamiens en France pour vivre notre joie ensemble, avec les Français et tous les peuples qui se retrouvent chaque année pour partager leurs luttes et leurs espérances. D’habitude, ce sont les syndicats et les partis politiques français qui défilent en premier. Suivent les délégations étrangères.
À notre grande surprise, nous avons été invités à défiler en tête du cortège. Quelle émotion de nous faire arrêter tout au long de notre marche par des personnes qui nous embrassaient, nous serraient sur leur cœur en disant « nous sommes tellement heureux ! », « nous avons soutenu votre peuple depuis la guerre d’Indochine, nous pouvons mourir en paix !». Nous avancions avec nos boites et nos immenses drapeaux dépliés sur la largeur des boulevards pour que les gens puissent y mettre des pièces, des billets, non plus pour soutenir la lutte, mais pour aider maintenant à la reconstruction du pays.
Des avis partagés
Aujourd’hui, comme il y a 50 ans, je repense à toutes les personnes qui ont lutté, donné leur jeunesse, leur liberté, leur vie, sont mortes pour que le Viêt Nam devienne un pays libre et indépendant. Le 30 avril 1975 n’a pas la même valeur pour tous. On parle de chute de Saigon, de Libération, c’est selon. On pense à la chanson « Un air de liberté » de Jean Ferrat.
Comme beaucoup de familles vietnamiennes, la mienne, originaire du Sud, était divisée. Du côté maternel, mon grand-père, mes 5 tantes et mon oncle, unique garçon de la fratrie, sont entrés en résistance contre la France, puis les USA. Mon oncle est parti au Nord en 1945, laissant femme et bébé, répondant à l’appel de Hô Chi Minh pour lutter pour l’Indépendance. Il n’est revenu que 30 ans plus tard, avec des troupes du Nord, pour libérer Saigon et le pays. Ma famille du côté paternel avait choisi l’autre camp… Le frère de ma mère, que j’interviewais en 1982 pour mon film « Raconte-moi le Viêt Nam », disait en parlant d’un cousin du côté paternel : « lui au champ de bataille, je lui aurais tiré dessus mais aujourd’hui nous sommes en paix et nous sommes redevenus une famille ».
Les conséquences sanitaires de la guerre chimique perdurent
Mais la guerre n’est pas vraiment finie. Les séquelles sont insidieuses et les poisons chimiques continuent leurs effets dévastateurs sur les terres, les eaux et les corps qu’ils contaminent. La lutte pour que justice soit rendue au Vietnam et à sa population a débuté il y a vingt ans.
Résistante, emprisonnée à Poulo Condor dans des “cages à tigre”, rongée par des maladies liées à l’Agent Orange(1)http://www.vn-agentorange.org/ao_bios.html., ma sœur Hong Nhut a été la première à aller aux États-Unis en 2005 pour poursuivre en justice les sociétés chimiques qui avaient produit et livré des défoliants à l’armée américaine. Définitivement déboutée par la Cour suprême des États-Unis en 2009, elle est aujourd’hui décédée.
Mais la lutte continue avec ma si chère amie Tran To Nga, qui a été libérée le 30 avril 1975 avec sa petite fille Lien née en prison. Depuis 2014, Nga est notre porte-voix, notre porte-drapeau depuis qu’elle a intenté une action en justice contre 14 sociétés chimiques américaines.
Pour une solidarité critique avec le peuple vietnamien
Aujourd’hui, le Viêt Nam a choisi la voie et la manière de son développement. Il a longtemps été dans le cœur des Français. C’est à nous, solidaires et critiques, de faire en sorte qu’il y revienne.
Notes de bas de page
↑1 | http://www.vn-agentorange.org/ao_bios.html. |
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