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Le Puy du Faux ou « un voyage dans un parc sans Lumières »

Couverture du livre "Le puits du faux"

Couverture du livre "Le puits du faux"

Publié aux Arènes, ce livre dénonce la manière dont le parc d’attractions situé en Vendée « falsifie » l’histoire qu’il est pourtant censé défendre(1)J’emprunte le titre de ce compte rendu à un article de Marc-Olivier Bherer, Le Monde du 22 avril 2022.. Il est rédigé en commun par quatre historiens(2)Le médiéviste et professeur dans un collège d’Arles, Florian Besson, par l’enseignante de la Rome antique à l’université de La Réunion, Pauline Ducret, par l’enseignant en histoire contemporaine à Science Po Toulouse, Guillaume Lancereau, et par l’enseignante à l’université Gustave Eiffel à Marne-la-Vallée, spécialiste du XIXe siècle, Mathilde Larrère.. De même que la recension que nous vous proposons, il n’a pas pour autant pour objet de dissuader les touristes de visiter le parc « Le Puy du Fou ».

C’est un parc, une attraction de belle facture à charge contre la Révolution française et à décharge pour le passé monarchique de Clovis à Louis XVI…

L’objet du livre est de permettre aux visiteurs à la fois de prendre plaisir à assister à un spectacle grandiose, d’une réalisation performante et, dans le même temps, de prendre du recul, de faire un pas de côté, par rapport aux manipulations et déformations historiques qui sous-tendent, en filigrane et parfois de manière grossière, un biais idéologique assumé par l’initiateur Philippe de Villiers. Ce dernier reconnaissait, après avoir renoncé à se présenter à la présidentielle de 2017, « avoir fait passer plus d’idées [NDR : politiques en fait] par ses livres ou son Puy du Fou qu’en restant la énième écrevisse de la bassine » (3)entrevue accordée à France, un webmagazine identitaire. Le parc relève, il faut en avoir conscience en le visitant, d’une bataille culturelle visant à réécrire l’histoire en glorifiant et mythifiant un passé de l’Ancien régime de monarchie absolue et en dénonçant les idées de progrès humain véhiculées par les Lumières et la Révolution française. Bref, c’est un parc, une attraction de belle facture à charge contre la Révolution française et à décharge pour le passé monarchique de Clovis à Louis XVI…

Ce parti pris très réactionnaire relève d’un ensemble idéologique tel que rétablir la vérité historique grâce au croisement des sources quant au régime de Vichy et sa collaboration avérée ou aux Croisades vous classe dans la catégorie « histoire officielle » forcément fausse pour les révisionnistes en tous genres. La controverse n’est que rarement approfondie par les journalistes qui ne recherchent que l’audimat et se contentent de compter les points entre affabulateurs ou historiens autoproclamés et chercheurs en histoire. C’est l’éducation populaire qui vise à élever la conscience éclairée des citoyens et citoyennes qui en fait les frais.

Ce parc vise à forger un roman national mythifié en faisant croire que « certaines pratiques et habitudes récentes relèvent de traditions vieilles de plusieurs siècles, voire millénaires ». Sont repris, sans chercher à présenter les récentes études des historiens qui les déconstruisent, les mythes tels que nos ancêtres les Gaulois, « ceux qui vont mourir te saluent », Clovis et le vase de Soissons, « Charlemagne-a-inventé-l’école », « messieurs les Anglais tirez les premiers ! », 1515 Marignan… La nuance, le recul critique ne sont pas de mises, car cela contredirait la vision idéologique d’une France « éternelle », forcément chrétienne. Pour les auteurs, tant que les spectateurs s’émerveillent à juste titre devant les scènes présentées « tout en sachant qu’ils baignent dans la fiction », il n’y a pas de problèmes. Là où il y a problème et manipulations, c’est quand les animations — c’est le cas de la plupart — ne permettent pas la mise à distance et « laissent croire que l’on assiste à des leçons d’histoire et que certains spectacles ont pour fonction de redresser ce qui serait historique ».

Diverses falsifications de la réalité historique

Au IVe siècle, dans l’amphithéâtre pénètrent un chef gaulois et ses hommes habillés comme on imagine les Gaulois sauvages. Or les Gaulois, à cette époque sont parfaitement romanisés et donc vêtus à la romaine. De plus, « les cités sont gouvernées par des magistrats et des assemblées de citoyens et non pas par des chefs tribaux ». Le gouverneur, à son tour, entre dans l’arène. Il aurait droit de vie et de mort. Or les Gaulois ont, depuis l’empereur Claude (41-54 de notre ère), acquis en masse la citoyenneté romaine et, de ce fait, ils bénéficiaient du droit d’avoir un procès. Cela enlevait au gouverneur toute possibilité d’user d’un droit de vie et de mort. Le scénario invite à croire que nous serions tous Gaulois, chrétiens et anti-universalistes depuis la plus haute Antiquité face à l’Empire romain universaliste « en oubliant au passage que le christianisme arrive avec les Romains ».

Un livret scolaire est proposé, qui présente Jules César en tant qu’empereur alors qu’il ne l’a jamais été et que c’est son fils adoptif, Auguste, qui a inventé le régime impérial en 27 avant notre ère.

Sous Clovis, des moines sont présentés en train d’écrire à l’aide de minuscules carolines qui ne furent inventées que trois siècles plus tard sous les Carolingiens. C’est comme si « on représentait dans un film Louis XIV en train d’envoyer un courriel » !

Puis, le spectacle donne à penser qu’il y a eu, sous la Révolution, un « génocide vendéen ». La tragédie qui fit près de 220 000 morts lors de massacres, de crimes de guerre, d’actes de sadisme est suffisamment atroce sans que l’on en rajoute en le qualifiant de « génocide ». Il n’y eut « aucune volonté du pouvoir central d’exterminer une région, pas de projet idéologique d’extermination, ni de planification matérielle systématique ». Caricaturer ainsi un évènement historique c’est faire injure aux victimes de la Shoah par les nazis, aux Arméniens, aux Rwandais…

Une méconnaissance de la division sociale et genrée du travail

Dans le tableau du travail agricole avant la Révolution, il est laissé à penser que « hommes et femmes pratiquent les mêmes gestes ruraux, marchent munis des mêmes outils (faux, fourches, fléaux)Le travail à la ferme est en réalité genré… en fonction de la dignité des différentes tâches », nous rappellent les auteurs(4)Les femmes en charge du potager, de la basse-cour, des corvées d’eau (éminemment physique), de l’usage de la faucille qui contraint en plus du geste à se plier en deux… Les hommes en charge du travail de la terre, du soin des bestiaux, de l’usage des araires et charrues, de la faux…. « L’homme ouvre et ensemence la terre » et donc il n’y a point de semeuse à la campagne. Il ne s’agit pas de confondre, selon nos historiens, avec l’allégorie de la semeuse de nos anciens timbres en francs, une Marianne qui diffuse, fait rayonner les idées républicaines.

Plus loin, dans le parcours « Les Amoureux de Verdun », le propos évident est d’ancrer en nous l’idée que les hommes combattent et que les femmes attendent. La réalité est tout autre. Le temps de séparation est l’occasion ou l’opportunité pour les femmes d’inventer des formes de pouvoir féminin sur les plans juridique, domestique voire politique. Cela est invisibilisé au Puy du Fou où « les femmes ne peuvent que s’inquiéter et attendre » le retour de l’homme.

Dans cette présentation de la condition de la femme, est totalement ou presque passé à la trappe que la place de la femme évolue selon les périodes historiques dans les Gaules, au Moyen-Âge, à l’époque moderne et contemporaine. Tombe aux oubliettes également que les femmes des classes supérieures n’occupaient pas la même place et fonction que les femmes des classes populaires. Tout cela vise, dans l’idéologie des promoteurs du parc, à présenter une histoire fixe et immuable ne faisant que peu de cas des sources historiques disponibles.

De même, une image véhiculée par le spectacle « Le Bal des oiseaux fantômes » et le prologue (« C’est ici même, dans cette cour, que les jeunes paysans et les jeunes chevaliers s’exerçaient au dressage des rapaces ») laisse à penser l’existence d’une égalité entre paysans et chevaliers. Les sources historiques indiquent très bien que la fauconnerie (dressage et usage de rapaces) était réservée à l’élite. La justice était impitoyable pour le paysan qui aurait conservé un faucon par-devers lui (la pendaison dans l’Angleterre du Xe siècle, l’aveuglement dans l’Autriche du XVe siècle pour avoir dérangé l’oiseau lors d’une chasse…) Dans ce passé idéalisé, il y a bien une réalité : les différences de droits et de devoirs entre les classes sociales.

Un tropisme pro-monarchiste et antirépublicain

La liste des artistes présentés ou évoqués au Puy du Fou (du roi) relève d’une sélection partisane et orientée. Ainsi, les philosophes des Lumières sont absents. Leur est reproché sans doute d’avoir contribué à l’avènement de la Révolution française de 1789. Sont écartés également des écrivains tels Victor Hugo qui a écrit « 1793 » favorable aux républicains contre les Chouans royalistes, Emile Zola, connu pour ses romans sociaux dans lesquels figurent les luttes ouvrières (Germinal), George Sand qui a sans doute le tort d’être une femme s’habillant à la mode masculine… mais aussi les penseurs athées en général. En revanche, sont mis en avant Molière, Le Brun, Hardouin-Mansart, Le Nôtre, Lully qui ont l’avantage pour les promoteurs du parc d’être au service du roi et de conforter le biais idéologique « de la supériorité, à la fois politique et morale, des nobles et de la royauté ». Les différents souverains apparaissent systématiquement de manière positive au service d’une approche fixiste et éternelle d’une supposée France éternelle et immuable, forcément chrétienne. Le discours délivré valorise l’immobilité sociale. Il ne faut surtout pas évoquer les conflits d’intérêts entre paysans, serfs d’un côté et seigneurs de l’autre, les jacqueries, les luttes des vignerons dans le Midi, des mineurs… Sont glorifiées les valeurs de la chevalerie selon les dires attribués à un prêtre : « labeur de terre est de semer, labeur de clerc est de prier, et justice de chevalier ». Tout va pour le mieux dans le monde médiéval et de l’Ancien régime absolutiste enchanté de Philippe de Villiers.

Un tropisme anti-savant et anti-scientifique avéré

L’épisode de l’expédition scientifique décrit par le spectacle « Le Mystère de La Pérouse » oppose un officier censé être La Pérouse et un autre scientifique. Une lettre supposée être de La Pérouse laisse accroire qu’il reprochait aux savants membres de l’expédition d’être « insupportables en voulant faire escale partout ». Cela est historiquement faux et sert à promouvoir un discours trop répandu dépeignant les scientifiques comme pénibles, tatillons. Il s’agit ni plus ni moins d’« établir une hiérarchie entre les élites favorable aux dirigeants plutôt qu’aux savants ». Ce n’est pas sans rappeler les controverses au sujet de la pandémie due à la Covid dans le droit fil de la ligne conservatrice des antiphilosophes adversaires des Lumières puis de l’anti-intellectualisme de la droite antidreyfusarde.

En guise d’épilogue

Les auteurs se plaisent à imaginer « une sorte de Puy du Fou alternatif » qui concilierait, conjuguerait des spectacles enthousiasmants et la « rigueur intellectuelle de la recherche du savoir ».

En conclusion, le parc « Le Puy du Fou » ne fait pas sienne la pensée de Thomas d’Aquin : « Il est plus beau d’éclairer que de briller seulement ». En effet, le spectacle est grandiose et vise l’émotion au profit d’une vision déformée, voire fausse et tronquée d’un passé mythifié, qui induit en erreur le visiteur sans lui permettre de contextualiser les événements ni les comprendre dans leur complexité. Alors que ce projet aurait pu, comme le disent les auteurs, « cultiver une attitude de curiosité vis-à-vis du passé, ouverte à toutes les interrogations et remises en question…, plus attentive, plus ouverte, plus respectueuse aussi du passé dans toutes ses contradictions… »

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 J’emprunte le titre de ce compte rendu à un article de Marc-Olivier Bherer, Le Monde du 22 avril 2022.
2 Le médiéviste et professeur dans un collège d’Arles, Florian Besson, par l’enseignante de la Rome antique à l’université de La Réunion, Pauline Ducret, par l’enseignant en histoire contemporaine à Science Po Toulouse, Guillaume Lancereau, et par l’enseignante à l’université Gustave Eiffel à Marne-la-Vallée, spécialiste du XIXe siècle, Mathilde Larrère.
3 entrevue accordée à France, un webmagazine identitaire
4 Les femmes en charge du potager, de la basse-cour, des corvées d’eau (éminemment physique), de l’usage de la faucille qui contraint en plus du geste à se plier en deux… Les hommes en charge du travail de la terre, du soin des bestiaux, de l’usage des araires et charrues, de la faux…
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