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Les combats inachevés des Communardes

« … il est vrai, peut-être que les femmes aiment les révoltes. Nous ne valons pas mieux que les hommes mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues. » Louise Michel, La Commune (éd. La Découverte, 2015, p. 167)

Cette remarque de Louise Michel ouvre à propos de la période de la Commune un questionnement plus général sur les rapports au travers de l’histoire entre les femmes – quelles femmes ? – et leur protestation contre l’ordre établi – en défense de leurs droits propres ou plus généralement en soutien des hommes ? – . Le terme de révolte interroge aussi sur les formes éventuelles de violence qu’elles déploient en ces occasions et sur celles qu’elles subissent.

En ce 150e anniversaire du 18 mars 1871, il faut souligner que les racines de la révolte sont bien antérieures à cette date : la situation des travailleuses (dont beaucoup à domicile) est particulièrement misérable et, par ailleurs, avec la guerre l’implication féminine n’a pas attendu cette date pour prendre les formes qui vont se développer sous la Commune proprement dite : le 4 septembre 1870, devant l’Hôtel de Ville, les femmes sont présentes lors de la proclamation de la République, et le 8 au même endroit, une manifestation menée par André Léo et Louise Michel réclame des armes pour lutter contre les Prussiens. En octobre le droit de participer aux postes avancés des combats pour porter aide aux blessés ne leur est pas davantage accordé… Cependant dans les arrondissements où sont créés des comités de vigilance, les femmes y participent (Louise Michel à Montmartre). Présentes encore, Louise Michel et André Léo le 22 janvier 1871 quand les plus militants des membres de la Garde nationale tentent d’occuper l’Hôtel de Ville et d’instaurer un gouvernement révolutionnaire.

Le siège de Paris affecte en priorité les femmes et les enfants des classes les plus pauvres. Le restaurant coopératif La Marmite fondé par Eugène Varlin et Nathalie Lemel offrait nourriture mais aussi initiation au socialisme. Dans les nombreux clubs et sociétés populaires qu’elles fréquentaient – et où d’aucuns pensaient qu’elles ne venaient que pour se réchauffer – les femmes purent aussi se frotter aux idées progressistes.

L’historienne britannique Marisa Linton dans une remarquable étude traduite en français en 1997 (1)A télécharger sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5619722h.image.r=revue+historique.f30.pagination.langFR# ne se contente pas des écrits des principales protagonistes ou commentatrices (Maria Deraismes) de la Commune, mais pour avoir travaillé sur les archives peut écrire :

« Ce serait faire erreur que de présumer que le sens donné à la Commune par Elizabeth Dmitrieff, Louise Michel ou André Léo, entre autres femmes instruites sachant s’exprimer, était nécessairement le même que pour les femmes des classes ouvrières, lesquelles constituaient la grande majorité des femmes qui apportèrent leur soutien à la Commune. Les problèmes qui préoccupaient surtout ces dernières étaient en effet de nature très concrète. Ainsi, le droit de vote n’avait pour elles que peu d’importance par comparaison avec des questions comme le droit des femmes au travail, à un salaire honnête, à l’éducation et à une protection sociale pour elles-mêmes et pour leurs enfants en cas de besoin. Peu nombreuses étaient celles qui se souciaient des théories complexes portant sur la lutte des classes. Moins nombreuses encore étaient celles qui s’intéressaient beaucoup aux droits des femmes. »

En effet les Communardes sont d’origines fort diverses même si la présence en très grand nombre des femmes du peuple est une caractéristique marquée. Selon Françoise Bazire (sur le site des Amis de la Commune de Paris) :

Si au 18e siècle la plupart des émeutes auxquelles ont participé les femmes étaient liées à la disette, la marche des femmes sur Versailles en octobre 1789, destinée à ramener Louis XVI à Paris et à donner du pain au peuple, a presque son pendant le 5 avril 1871 avec la tentative de marche sur Versailles de femmes ayant pour mission d’infléchir le gouvernement national à la clémence et d’éviter l’effusion de sang, sortie que les dirigeants de la Commune ne soutinrent pas. D’autres pourtant, note Marisa Linton, utilisent leur autorité et leur courage pour encourager les hommes à se battre et, comme on le sait, après avoir tenté d’endosser l’uniforme, s’organisent pour appuyer les combattants : le 11 avril est créée l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, dont les principales dirigeantes sont Nathalie Lemel et Élisabeth Dmitrieff – cette dernière arrivant de Londres avec les yeux de Marx. L’Union proclame :

« … nos ennemis, ce sont les privilèges de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères,

nous voulons le travail pour en garder le produit, plus d’exploiteurs, plus de maîtres,

toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes, constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes. »

 

Ambulancières, infirmières ou cantinières, présentes sur les barricades, les femmes ne furent donc ni éligibles ni électrices, mais elles participent aux sections de l’Internationale, sont actives dans les clubs où elles obtiennent la mixité et, dans certains quartiers, sont associées, à la gestion municipale.

Sont mis en discussion le besoin de crèches pour les mères qui travaillaient et de mesures sociales leur permettant de ne pas abandonner l’enfant qu’elles allaitaient.

Selon Marisa Linton : « Si l’égalité politique n’était pas un problème pressant pour ces femmes, une forme d’égalité sociale, en particulier à l’intérieur du mariage, était néanmoins à l’ordre du jour. » D’où leur intérêt pour l’union libre qui fut de fait admise par une décision de la Commune du 10 avril, prévoyant au bénéfice des veuves des gardes nationaux un droit à pension, qu’elles soient mariées ou non. Une clause supplémentaire concernait les enfants « reconnus ou non », désormais protégés.

Mais surtout leur importaient leurs droits en tant que travailleuses. La concurrence féminine ne fut pas toujours bien vue par les ouvriers masculins et ce n’est que le 21 mai que la Commune proclama le principe du salaire égal : « Considérant… que le travail de la femme est égal à celui de l’homme », la Commune déclarait qu’il convenait de payer les maîtresses d’école autant que leurs collègues hommes. Ce jour-là aussi les déléguées ouvrières des diverses corporations devaient se réunir pour constituer leurs chambres syndicales… au moment où les troupes versaillaises pénétraient dans Paris.

Un décret pris par Léo Fränkel le 16 avril prévoit la réquisition des ateliers abandonnés. Il charge officiellement les femmes de les organiser sous forme coopérative, prémices de l’autogestion, pour fabriquer des produits de première nécessité, rappelle Françoise Bazire :
« L’Union des femmes est le laboratoire social de la Commune. La répression de la Commune a raison de cet élan qui va animer, pourtant, nombre des mouvements féministes du siècle suivant.
Les femmes sont chargées de l’organisation du travail des ouvrières de tout corps d’état. Les comités d’arrondissement de l’Union des femmes sont en charge de recevoir les demandes d’offre de travail dans toutes les mairies.
 »

Si les revendications féminines en vue d’une instruction des filles égale à celle des garçons, et moins religieuse, ainsi qu’en faveur d’une éducation professionnelle, connurent un début de réalisation par la Commune, c’est bien tard encore, trop tard, le 22 mai 1871, qu’est créée une commission de citoyennes pour « organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles ». 

Quant aux garderies populaires, elles restèrent à l’état de projet mais Marie Laverdure débutait ainsi le mémoire qui en définissait le projet  : « L’éducation commence le jour de la naissance », et demandait des lieux gais et stimulants pour le jeune enfant, et aussi la possibilité de l’y soigner.

Bilan et comparaisons

Sur la prétendue « violence » des Communardes, les historiens ont réglé son compte à la légende des pétroleuses et l’usage des armes par les « barricadières » reste douteux. En revanche, on sait que la répression de la semaine sanglante compte 4 000 femmes sur 20 000 victimes et que plus d’un millier furent déférées devant des tribunaux. Pour l’historienne Odile Krakovitch (« Violence des communardes : Une mémoire à revisiter », Revue Historique, 297, 1997), les exagérations des accusateurs, trop souvent accompagnées d’une analyse d’irresponsabilité ou au contraire d’un tempérament dissolu voire hystérique, masquent « la peur suscitée par les femmes intervenant dans le champ politique, [faisant] en sorte d’anéantir à jamais chez elles toute velléité d’intervention dans le domaine public ». La répression fut particulièrement sévère pour celles considérées comme des « meneuses » et du côté des Fédérés eux-mêmes, pour la plupart les femmes outrepassaient visiblement leur rôle traditionnel (le 13 mai encore l’accès aux armes fut refusé à une délégation se rendant à l’Hôtel de ville, certains clubs leur furent fermés…). Le discrédit porté sur la parole des femmes, leur renvoi hors du champ politique, ne sont pas sans rappeler la situation sous la Révolution française(2)Voir le bel article de Dominique Godineau, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine » dans De la violence et des femmes, dir. par Cécile Dauphin et Arlette Farge, 1997..

Il faudra attendre l’amnistie générale de 1880 et le retour des déportés pour entendre les témoignages des protagonistes et que ceux-ci fassent leur chemin dans le mouvement qui se qualifierait désormais de féministes. Il n’est pas sans intérêt de noter comme le fait Marisa Linton que plusieurs des femmes qui avaient pris fait et cause pour la Commune (à commencer par Louise Michel) allaient ensuite se rapprocher des anarchistes et s’opposer au courant marxiste.

Restons pour conclure avec le point de vue désabusé de l’une d’elles, André Léo(3)Pseudonyme de Léodile Champseix, probablement passée sous silence par l’historiographie socialiste en raison de sa critique de l’Internationale., commenté toujours par l’historienne britannique précitée. Dans un texte du 8 mai de son journal La Sociale, intitulé « La révolution sans femmes », celle-ci affirmait que, si c’étaient les femmes qui avaient déclenché la révolution du 18 mars, c’était elles qui avaient le moins à gagner de la situation économique qui prolongeait les souffrances du siège, d’autant qu’elles ne recevaient guère de concessions politiques ou sociales en retour. Elle met en cause, depuis 1789, « les inconséquences du parti révolutionnaire » qui leur avait donné « le titre de citoyennes, mais non pas les droits ». Voilà pourquoi tout au long de siècle qui a suivi la Commune les luttes pour les droits des femmes sont restées d’actualité. Et ne sont pas épuisées 150 ans plus tard – avec un cran supplémentaire : passer des droits formels aux droits effectifs !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 A télécharger sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5619722h.image.r=revue+historique.f30.pagination.langFR#
2 Voir le bel article de Dominique Godineau, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine » dans De la violence et des femmes, dir. par Cécile Dauphin et Arlette Farge, 1997.
3 Pseudonyme de Léodile Champseix, probablement passée sous silence par l’historiographie socialiste en raison de sa critique de l’Internationale.
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