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L’histoire en été – Printemps 1793 : La république sociale aura-t-elle lieu ?

Exécution de Louis Capet XVIème du nom, le 21 janvier 1793. Musée Carnavalet

Julien Chane-Alune nous propose trois articles qui vont se succéder dans les trois prochains numéros de ReSPUBLICA. Ils traitent de la période révolutionnaire, 1793. Cette première partie évoque la fin de la monarchie et l’avènement de la 1re République.

« Où il n’y pas de pain, il n’y a plus de lois » ! Dans quel état se trouve la France après l’exécution de Louis XVI ?

Les efforts de la Révolution en vue de créer une authentique justice sociale se heurtent aux difficultés que le pays rencontre au printemps 1793.

21 janvier 1793. Louis Capet, ci-devant roi de France, coupable d’avoir trahi son pays en ayant précipité la guerre contre l’Autriche, en lui ayant offert, pendant des mois, des informations stratégiques, et enfin en ayant fui à l’ennemi, passe par le rasoir national. Dans la nuit du 16 au 17 janvier, 361 députés ont voté contre lui la peine capitale. Robespierre, fervent partisan de l’abolition de la peine de mort, avait dit à l’Assemblée nationale le 3 décembre : « Oui, la peine de mort est un crime aux yeux de la nature. Mais en état de légitime défense, quand sa vie même est menacée, c’est un crime inévitable. Or la survie de la France est menacée par les troupes autrichiennes qui ont commencé leur inexorable invasion pour remettre Louis Capet sur le trône et rétablir la monarchie. Louis doit mourir pour que la patrie vive ».

De nombreux députés partagent à ce moment son inquiétude. La République n’est pas encore née qu’elle contemple sérieusement la possibilité de son anéantissement.

1792 : entre espoir et situation économique préoccupante

Certes, l’année 1792, sans être radieuse, avait apporté à la France des raisons d’espérer. La victoire de Valmy le 20 septembre, la proclamation de la République le 22 septembre ; puis la victoire de Jemmapes. La menace extérieure n’a pas disparu pour autant, et, par ailleurs, la situation économique et sociale est plus que préoccupante. Cela fait des mois que des émeutes de la subsistance et des insurrections fédéralistes ont éclaté un peu partout en France, et la situation s’aggrave sans que la Convention, sous domination girondine, semble capable d’y mettre résolument un terme. Comment, dans une situation aussi précaire, mettre en place une forme de justice sociale ?

L’historien Albert Mathiez rapporte : « on mangeait des herbes cuites comme sous les plus mauvais jours du despotisme. De 3 sous la livre, le pain était monté à 5, 6, 7, et même 8 sous la livre. » Le peuple demande la réquisition des denrées de première nécessité, s’indigne contre le prix du blé et du pain. Des épiceries et des chariots sont pillés, des marchandises taxées de force. Partout, les commissaires en mission font état de violences. Les moyens manquent pour les contenir.

Le 12 février, une députation des 48 sections sans-culottes de Paris, poussée par Jacques Roux et les Enragés, lance un appel à la Convention qui sonne comme une demande furieuse de justice sociale : « Citoyens législateurs, ce n’est pas assez d’avoir déclaré que nous sommes républicains français, il faut encore que le peuple soit heureux, il faut qu’il ait du pain, car où il n’y a pas de pain, il n’y a plus de loi, plus de liberté, plus de république ». La Convention rétorque que la loi doit primer. La réquisition des biens au bénéfice du peuple ne peut se faire que dans le cadre de la loi, sous la direction de la Convention, sinon le pays risque de verser dans le désordre et l’anarchie. Il ne faut pas laisser les enragés convaincre le peuple que le seul moyen de sauver la Révolution est de massacrer tous les propriétaires. Il faut contenter les demandes, mais désamorcer leur mouvement qui menace de déborder la Convention.

Répondre aux besoins du peuple : contre le libre-échange

Robespierre, tout en condamnant les Enragés, avait commencé à défendre un strict contrôle de l’économie par la Convention, afin de lutter contre le libre-échange. Il affirmait, deux mois auparavant : « les auteurs de la théorie du libre-échange n’ont considéré les denrées les plus nécessaires à la vie que comme une marchandise. [Mais] la liberté du commerce n’est nécessaire jusqu’au point où la cupidité homicide commence à en abuser. Pourquoi les lois n’arrêteraient-elles pas la main homicide du monopoleur ? » Mais Robespierre n’avait pas été suivi. Pas encore.

Menaces extérieures et intérieures

Pendant ces débats stériles sur la politique sociale qui paralysent la Convention, à l’Est, l’Autriche et la Prusse menacent. Une première coalition se forme autour d’eux, pour venger la mort du roi. Il faut à tout prix renforcer l’armée. Le 24 février, la Convention girondine décide dans la fébrilité de lever 300 000 hommes, chiffre vertigineux et irréaliste, espérant ainsi faire d’une pierre deux coups : renforcer l’armée et vider les provinces des éléments perturbateurs en les amalgamant (c’est le terme du décret) aux forces régulières. Hélas, le décret girondin, malhabile et irréaliste, n’aura pas l’effet escompté. À l’Ouest, la Vendée, choquée par ce décret, résiste, constitue un comité royaliste et organise à partir du 11 mars le massacre des républicains à Machecoul, tuant entre 160 et 200 officiers, fonctionnaires et gardes nationaux. C’est le début de la guerre civile.

Trahison de Dumouriez

Quant au général Dumouriez, héros de Valmy avec Kellermann, il perd contre l’Autriche le 18 mars à Neerwinden, puis le 21 à Louvain. Le 25 mars, Brunswick (peut-être secrètement informé par Dumouriez) fait reculer le général Custine et franchit le Rhin. La Belgique est perdue. Dumouriez va alors prendre une décision qui traumatisera la France pour les mois à venir. D’abord, il recule, il tergiverse, il fait arrêter les envoyés de la Convention venus lui demander de faire son rapport. C’est que, avec le duc d’Orléans, il négocie en secret leur trahison. Mais les Girondins, et notamment Brissot et Vergniaud, niant l’évidence, continuent de le soutenir. Brissot le couvre d’éloges dans son journal Le Patriote français. Le 4 avril, Dumouriez tente de passer à l’ennemi en emmenant ses soldats. Ceux-ci, comprenant l’intention de leur général, refusent, et c’est sous le feu de ses propres hommes, poursuivi par un lieutenant-colonel encore inconnu qui tente de l’arrêter, un certain Davout, qu’il franchit les lignes et se range du côté autrichien.

Quel rapport entre cette trahison et les débats sur la politique économique à la Convention ?

Le scandale de la trahison de Dumouriez éclate, éclabousse immédiatement les Girondins, et affaiblit grandement leur légitimité politique. Ils étaient faibles, méprisants, ils sont désormais soupçonnés de fomenter la trahison. Cette trahison existe bien, elle est documentée, mais la réalité est plus complexe. Pendant ce printemps 1793, la Convention, plus affaiblie que jamais, se repose sur l’homme fort de l’époque, Danton, qui tonne et électrise les députés. Jules Michelet rapporte que, au sein d’une assemblée fébrile proche de verser dans la panique, quand on demande à Danton sa ligne d’action, il a cette formule qui fleure bon la démagogie : « la justice accélérée et le pain à bon marché. Que le tribunal révolutionnaire puisse poursuivre sans attendre les décrets de la Convention. Que le pain soit maintenu à bas prix aux dépens des riches. »

Danton entre corruption et initiateur de la Terreur et trahison

Cette énergie et cette fureur de Danton, si on y regarde de plus près, s’expliquent aisément. Déjà ministre de la Justice, en septembre 1792, il a laissé massacrer plus de mille prisonniers par la commune insurrectionnelle, sans réagir, de peur que la colère populaire se retourne contre lui. En effet, Danton, comme bien d’autres députés, s’est considérablement enrichi grâce à la corruption organisée par Mirabeau et le détournement de fonds publics, au point de s’offrir une propriété à Sèvres qu’il fait appeler la Fontaine d’amour, des terres et un coquet manoir dans sa ville d’Arcis-sur-Aube, près de Troyes. Après la mort de sa femme en février, pour laquelle il verse des torrents de larmes de crocodile, il va se remarier avec une de ses maîtresses, sa gouvernante, une jeune femme de 17 ans, le 12 juin, pour laquelle il verse lui-même la dot. Personne ne sait d’où vient l’argent.

Danton qui, par prudence, prend insensiblement ses distances avec la Gironde, veut remplacer le Comité de défense générale, inefficace. Sous sa direction ainsi que celle de Barère, deux comités exécutifs sont institués le 25 mars et se mettent au travail le 6 avril. Le Comité de sureté générale est chargé de la police pour faire face aux désordres et aux émeutes. Sous la direction de Vadier, ce comité sera le principal instrument de la terreur en fournissant des centaines de têtes au Tribunal révolutionnaire que Danton, avec le concours de Marat, fait instituer le 10 mars.

D’autre part, le Comité de salut public, comme son nom l’indique, devra prendre, au nom de la Convention, toutes les décisions qui permettront de sauver la Patrie. Danton, bien sûr, en prend la tête. Mais on sait qu’il s’est désigné lui-même, dans la seconde quinzaine de mars, pour aller voir Dumouriez, juste avant sa trahison et négocier avec lui un accord secret avec l’Autriche : la paix contre la fin de la Révolution. Dans deux ouvrages qui ont fait date, Danton et la paix et La corruption parlementaire sous la terreur, en 1927, Albert Mathiez montre avec une lumière terrible comment Danton va inlassablement tenter de négocier la paix avec l’Autriche et la Prusse, en leur offrant de renoncer aux conquêtes de 1792 et de rétablir Louis XVII dans ses droits monarchiques. Danton emporte 100 000 livres pour cette mission, il n’en restituera pas un sou. Personne ne peut dire où cet argent public est passé. Mais sa trahison et sa corruption transpirent parce que l’un de ses agents, le Belge Proly, parle trop. Danton clame alors avec fureur à la tribune de la Convention être le plus ardent défenseur de la Révolution et détourne l’attention.

Avec les Girondins, il répond aux premiers soupçons par des mesures sociales inefficaces, dont la première loi sur le maximum, votée le 4 mai. Mais la loi, démagogique et malhabile, est mal reçue. Les producteurs refusent de vendre à perte et sont accusés de trahison. Les pénuries s’accentuent. Pourtant, les Girondins sont disposés à ne rien céder aux revendications populaires. Ils souhaitent au contraire ériger le principe de propriété en grand principe directeur de la Révolution. Au risque de précipiter le pays dans l’abîme.

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