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Mikhaïl Gorbatchev est décédé : ce fut un grand homme d’État

À l’actif de son action

À son actif, il faut citer sa volonté de nettoyer de ses scories le socialisme tel le goulag, en appliquant une ligne fondée sur la transparence (glasnost), la réorganisation du système pour le rendre plus humain et démocratique (pérestroïka). Ajoutons le fait qu’il ne donna pas à l’armée rouge d’intervenir quand les peuples de l’Europe de l’Est voulurent s’émanciper de la tutelle soviétique. La gestion de la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl est à mettre à inscrire dans son bilan. Il a en effet, contre l’avis des experts qui essayaient de lui faire croire que ce n’était qu’un incident bénin, écouté celles et ceux qui lui expliquaient le contraire. C’est l’occasion de rendre hommage aux travailleurs soviétiques et notamment aux mineurs qui ont, par le sacrifice de leur vie, évité que l’Europe entière soit touchée. Cette catastrophe a également mis en lumière les carences du système soviétique qui avait tendance à déresponsabiliser. C’est ce qu’avait compris Mikhaïl Gorbatchev.

Au passif de son action

Au passif, il faut évidemment citer la poursuite de l’intervention en Afghanistan, intervention militaire engagée par ses prédécesseurs, nonobstant le fait que dans cette période l’égalité hommes-femmes fut favorisée. En outre, la course aux armements et cette intervention précipitèrent la chute du régime soviétique. Il est nécessaire également de compléter avec son côté « angélique » dans ses relations avec les dirigeants des États-Unis en particulier et de l’organisation militaire, OTAN, qui, fondamentalement, avaient pour finalité de sanctionner les peuples de l’Union soviétique et d’avancer leurs pions en armement vers l’Est contrairement à l’engagement verbal donné. Cet engagement avait été donné en échange d’un laisser-faire quant à la destruction du rideau de fer et la réunification des deux Allemagnes.

Un acte majeur : la désescalade nucléaire

C’est bien pour cela qu’il s’activa pour la désescalade militaire dont les dirigeants actuels feraient bien de s’inspirer. En effet, Mikhaïl Gorbatchev a permis, qu’au mois de décembre 1987, soit signé un accord ou traité historique(1)FNI : Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire duquel Donald Trump et les USA voulaient se désengager qui fut le premier à prévoir l’élimination d’armement : les missiles à portée intermédiaire et à courte portée — c’est-à-dire les fusées de 500 à 5 500 km de rayon d’action. Certes, l’armement concerné ne constitue que 3 à 4 % de l’arsenal. Ce fut pourtant un début prometteur pour éviter la destruction de l’humanité. L’objectif, à terme, avec le président des États-Unis, était de réduire de 50 % leurs arsenaux stratégiques des deux camps : ils sont tournés vers le futur traité Start, dont la signature est prévue initialement au printemps 1988. Avec START I débuta un vrai désarmement en juillet 1991, cette fois-ci avec le président Georges Bush : en sept ans, il était prévu de détruire progressivement et effectivement les arsenaux stratégiques des deux superpuissances soit entre un quart et un tiers de leurs armes les plus dangereuses : les fusées nucléaires de portée intercontinentale terrestres (ICBM) ou sur sous-marins (SLBM).

Honoré en Occident et mal-aimé dans son pays

Si Mikhaïl Gorbatchev a joui, à juste titre, d’une aura exceptionnelle dans le monde occidental et y bénéficie de louanges quasi dithyrambiques à l’occasion de son décès, c’est loin d’être le cas au sein de l’ex-Union soviétique. Ce désamour dans son propre pays s’explique en grande partie parce qu’il aurait contribué à remplacer le régime soviétique par un régime ultralibéral suite à l’accession au pouvoir d’un Boris Eltsine qui a profité d’une tentative de coup d’Etat menée par des apparatchiks qui ne voulaient pas des réformes démocratiques. Ainsi, sans doute à tort, car ce n’est pas ce qu’il a voulu, il est considéré par ses compatriotes comme celui qui a provoqué la chute du système soviétique en 1991 alors qu’un référendum démocratique(2)Source Wikipédia. La question posée était : « Pensez-vous qu’il est essentiel de préserver l’URSS sous forme d’une fédération renouvelée de républiques souveraines et égales où les droits et les libertés de chacun, quelle que soit la nationalité, seront pleinement garantis ? » Pour : 77,85 %. Contre : 22,15 %. Votes blancs ou invalides : 1,86 %. Abstention : 19,97 %. venait de signifier clairement le souhait des populations concernées de conserver, avec 77 % des suffrages, l’unité au sein de l’Union des Républiques socialistes soviétiques. Le régime post soviétique entraîna une diminution de l’espérance de vie de 7 ans, une rupture des liaisons aérienne et électrique avec la Sibérie cause de mort certaine en cas de maladie compliquée ou d’accouchement difficile(3)Le Monde diplomatique, septembre 2022, extrait : L’ère Eltsine a opéré « une transition rapide et irréversible vers l’économie de marché et l’introduction de la propriété privée. La thérapie de choc inspirée par les conseillers américains et le Fonds monétaire international (FMI) avaient promis des résultats miraculeux. Le Président Eltsine assurait que les privatisations produiraient « des millions de propriétaires plutôt qu’une poignée de millionnaires ». L’inverse se produisit : main basse par une poignée d’initiés proches du pouvoir sur les richesses du pays et paupérisation massive de la population. ». Parmi toutes les raisons de ce désamour et de cet échec dans sa volonté de réformer figurent son rapport à la population qui fait qu’il conduisit, sans aboutir, les réformes par là-haut selon un mode centralisateur éloigné des gens, donc à contre-courant d’une authentique démocratisation de la vie politique et sa naïveté quant à l’exercice du pouvoir pris qu’il était entre le marteau des staliniens et l’enclume des liquidateurs pro-occidentaux, les oligarques en puissance, qui s’enrichissent de façon indécente sur le dos des peuples soviétiques.

Du socialisme à visage humain

Toutes celles et ceux qui aspiraient et aspirent encore à un monde plus juste tout en condamnant les camps staliniens en Sibérie, les procès truqués, le goulag, l’inféodation de toute la société au Parti communiste soviétique et à sa nomenklatura comme ailleurs la soumission aux partis religieux intégristes, ont nourri de grands espoirs avec les réformes enclenchées sous l’égide du président de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev.

Cette conversion au libéralisme profita aux nantis de l’ancien régime et fut mortifère pour les quelques avantages que le peuple pouvait tirer de l’ancien régime soviétique.

Son projet de socialisme à visage humain avorta avec l’arrivée de Boris Eltsine qui engagea, sous pression occidentale, la Russie dans un ultralibéralisme économique qui profita aux anciens apparatchiks qui devinrent les nouveaux oligarques (le même phénomène s’est produit en Ukraine qui n’a rien à envier en matière de corruption avec la Russie de Boris Eltsine puis de Vladimir Poutine) et permit à Poutine, sur fond de popularité indéniable à l’époque, d’instaurer un régime de plus en plus autocratique qui va très bien avec les régimes économiques d’inspiration libérale comme sous Pinochet au Chili.

Cette conversion au libéralisme profita aux nantis de l’ancien régime et fut mortifère pour les quelques avantages que le peuple pouvait tirer de l’ancien régime soviétique.

La leçon, s’il faut en tirer une, est qu’il ne faut ni la jungle capitaliste ni le zoo soviétique

Comme le chante si bien en 1991, Jean Ferrat à propos des systèmes politiques et économiques tant du capitalisme financier que de l’étatisme soviétique :

Rien ne servirait de se battre
Pour un monde à visage humain
Il faudrait brûler tous les livres
Redevenir des animaux
Sans avoir d’autre choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo

Et dans ce monde à la dérive
Son chant demeure et dit tout haut
Qu’il y a d’autres choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo 

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 FNI : Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire duquel Donald Trump et les USA voulaient se désengager
2 Source Wikipédia. La question posée était : « Pensez-vous qu’il est essentiel de préserver l’URSS sous forme d’une fédération renouvelée de républiques souveraines et égales où les droits et les libertés de chacun, quelle que soit la nationalité, seront pleinement garantis ? » Pour : 77,85 %. Contre : 22,15 %. Votes blancs ou invalides : 1,86 %. Abstention : 19,97 %.
3 Le Monde diplomatique, septembre 2022, extrait : L’ère Eltsine a opéré « une transition rapide et irréversible vers l’économie de marché et l’introduction de la propriété privée. La thérapie de choc inspirée par les conseillers américains et le Fonds monétaire international (FMI) avaient promis des résultats miraculeux. Le Président Eltsine assurait que les privatisations produiraient « des millions de propriétaires plutôt qu’une poignée de millionnaires ». L’inverse se produisit : main basse par une poignée d’initiés proches du pouvoir sur les richesses du pays et paupérisation massive de la population. »
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