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Médias : ballon sonde chinois et baudruche médiatique

Le 4 février dernier, un chasseur F22 de l’US Air Force a abattu un ballon sonde chinois au large de la Caroline du Sud. Le tir s’est produit au moment où le ballon quittait, semble-t-il, l’espace aérien des États-Unis après avoir survolé en haute altitude plusieurs régions du Canada et des USA. Pour le Pentagone, il s’agissait d’un ballon espion chargé de glaner des informations au gré des vents sur les sites militaires stratégiques américains, en particulier dans l’état du Montana, où se concentrent les silos des fusées intercontinentales à charge thermonucléaire. À ce jour, aucune preuve définitive n’existe venant corroborer l’affirmation américaine d’espionnage par la Chine populaire. Toutefois, le ballon sonde étant tombé à la verticale dans une zone maritime peu profonde de l’océan Atlantique, il est possible que des preuves soient fournies dans les jours ou les semaines qui viennent… Qui vivra, verra. Pour l’instant, le Pentagone a indiqué que les premiers éléments récupérés du fond de l’océan sont « très endommagés »… c’est bien dommage ! Car hélas les expertises sous-marines en eaux peu profondes suite à une action armée ne fournissent pas forcément des résultats probants. Par exemple, l’enquête sur l’attentat dans la mer Baltique (58 mètres de profondeur moyenne) contre les gazoducs Nord Stream 2 en septembre dernier n’a donné aucun résultat depuis quatre mois.

Bref, personne ne sait grand-chose, voire rien du tout, en dehors bien sûr des services secrets des États-Unis et de la Chine populaire. Pourtant, les médias des pays occidentaux, les Français en particulier, semblent avoir « tout compris », alors même que les informations diffusées par les autorités américaines ne peuvent être « recoupées » ou plus simplement vérifiées. Voyons ce qu’il en a été en ce début février sur le plan médiatique français.

La presse française à la pointe sur le ballon chinois

Nous sommes entrés dans une période où la propagande remplace souvent l’information, aussi bien pour la guerre en Ukraine que sur l’escalade de la confrontation entre les États-Unis et la Chine populaire.

La crevaison du ballon chinois par l’US Army est devenue un événement d’actualité. Les médias du monde entier, en particulier ceux des pays membres de l’Alliance atlantique (OTAN), ont relayé la nouvelle, la plaçant en général en tête des titres d’actualité pendant plusieurs jours. La France a été particulièrement à la pointe pour relayer l’argumentaire de son allié d’outre-Atlantique. À la lecture de la presse nationale, nous constatons que nous sommes entrés dans une période où la propagande remplace souvent l’information, aussi bien pour la guerre en Ukraine que sur l’escalade de la confrontation entre les États-Unis et la Chine populaire. ReSPUBLICA ne peut résister à faire une étude de cas de trois journaux, Le Monde, Le Figaro et Le Point.

Alors même qu’aucune donnée objective et impartiale n’était connue ce jour-là, le journal Le Monde a rendu compte le 5 février de l’événement dans les termes suivants sous les plumes de Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant) et de Piotr Smolar (Washington, correspondant) : « Mais cet étirement de la crise ne peut cacher une évidence : c’est d’abord le régime chinois, malgré ses dénégations, qui se retrouve dans une position inconfortable, sur la défensive, emmêlé dans ses propres mensonges. Pékin a certes exprimé des regrets et prétendu que le ballon, voué à la recherche météorologique, se trouvait à la dérive. Mais les autorités américaines disent n’avoir aucun doute sur la finalité de son vol : une mission d’espionnage ». Si nous étudions de plus près l’enchaînement des phrases, la « preuve » du mensonge chinois résiderait donc exclusivement sur l’affirmation des autorités américaines qu’il s’agit bien d’une mission d’espionnage… Un cas parfait « d’objectivité et de vérification de l’information » qu’il faudra certainement mettre en exergue dans les écoles de journalisme !

Prenons un deuxième exemple : Le Figaro du 3 février qui sous la plume d’Hugues Maillot titre son article… (et c’est déjà tout un programme !) : « Furtivité, autonomie, mobilité : ce qu’il faut savoir sur le ballon espion chinois abattu par les États-Unis ». Dans ce papier, la parole est directement donnée et sans contrepoint à l’armée américaine : « Les ballons peuvent, eux, se déplacer au gré du vent et être guidés à distance, mais aussi rester stationnés pendant de nombreuses heures. “Nous pensons que ces engins ont le potentiel de changer la donne, car ils sont une excellente plateforme de surveillance de longue durée”, explique à Popular Mechanics l’amiral Kurt W. Tidd, chef du Commandement Sud des États-Unis ». Ici, nous sommes dans l’argumentaire pseudo technique visant à démontrer que le ballon espion est le summum du renseignement militaire d’aujourd’hui, ce qui est évidemment une baliverne à l’époque des satellites et de l’écoute des « grandes oreilles de la NSA ».

Troisième et dernier exemple de journalisme confondant information et propagande, l’article de Luc de Barochez dans le magazine Le Point du 6 février dernier. Nous citons : « L’affaire est un fiasco de plus pour Xi Jinping. Le ballon espion chinois apparu dans le ciel américain était supposé procurer un avantage à Pékin dans sa compétition avec Washington. Son odyssée aura été surtout utile aux États-Unis. La spectaculaire destruction en vol de l’aéronef par l’US Air Force a exposé aux yeux de tous une (infime) partie des activités d’espionnage de la Chine en Occident. Il a fait perdre la face aux dirigeants du Parti communiste, contraints d’exprimer leurs “regrets” après avoir été pris la main dans le sac ». Avec cette saillie anti-chinoise, nous sommes sur « Le Point » de revenir aux années 50 en pleine guerre froide. Aucune mise à distance, encore moins de contextualisation, seule subsiste une pure langue de bois « made in USA ». Reste tout de même à signaler au journaliste grand « spécialiste » Luc de Barochez qu’un ballon sonde est plutôt un aérostat qu’un aéronef…

Pas de question sur une destruction en zone aérienne internationale

Pourtant, les médias français avaient matière à illustrer leurs propos sur l’événement lui-même ou à donner des informations générales de contexte. Cela aurait permis de poser des questions sur le déroulement de cette opération militaire. Par exemple, le fait que le ballon a été crevé à 18 000 mètres d’altitude, d’après l’US Army, aurait pu amener à s’interroger sur la « souveraineté aérienne » qui s’arrête justement à 20 000 mètres d’après les conventions internationales ! Or, toujours d’après les autorités américaines, le ballon sonde chinois volait en croisière à 30 000 mètres en moyenne. Bizarrement, les Chinois ont donc manœuvré leur engin pour qu’il franchisse la hauteur fatidique des 20 000 mètres… permettant à l’US Air Force de l’abattre dans son espace aérien… une coïncidence assez troublante. Le moins que l’on puisse dire est que cette version ne tient pas la route, mais elle évite le débat sur la destruction d’un aérostat en zone aérienne internationale. Plus politiquement, une autre question aurait pu être posée : pourquoi le gouvernement américain n’a-t-il pas déposé plainte auprès d’une autorité compétente sur le plan international ? Cela n’aurait eu aucune conséquence sur le plan de la « sécurité militaire » puisque le ballon sonde, espion pour les Américains, sortait de l’espace des États-Unis et donc aurait DÉJÀ transmis les soi-disant renseignements à Pékin. Pourquoi l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui est une agence de l’ONU, n’a-t-elle pas été saisie par les États-Unis ? Si l’on a l’esprit chagrin, on peut penser que saisir l’ONU ou une de ses agences implique de lui fournir des preuves de sa plainte, ce que l’administration américaine n’est peut-être en capacité de faire.

Pourtant, ce tout « petit » événement sur les plans du renseignement et de l’engagement militaire a eu des conséquences politiques et diplomatiques, que ces mêmes médias commentent depuis deux semaines en reprenant en boucle l’argumentaire de l’armée américaine sans la moindre distance critique. Il faut dire que les États-Unis ont décidé d’annuler la visite à Pékin d’Antony Blinken, le chef de la diplomatie. La violence de ses accusations contre la Chine, ainsi que celle du Président Biden est d’ailleurs notable.

Un « petit » événement gonflé ?

Mais qu’en est-il effectivement ? Pourquoi ce « petit » événement est-il gonflé non pas comme un ballon, mais plutôt comme une baudruche ? Signalons tout d’abord que le survol des nations nord-américaines par des ballons sonde n’est ni une nouveauté ni une « première ». « Des ballons de surveillance » chinois ont transité brièvement au-dessus des États-Unis au moins trois fois durant l’administration précédente, et une fois depuis le début de l’actuelle, de ce que nous savons, mais « jamais aussi longtemps », a précisé samedi 4 février un haut responsable américain. Il s’agit donc bien d’un événement assez courant.

Par ailleurs, s’il s’agit bien d’un ballon espion, ce qui n’est pas démontré à ce jour, ce système d’observation et d’écoute est-il un outil stratégique ? Certainement pas à l’heure des satellites et des drones. Or, la Chine est une puissance spatiale et aérienne de premier ordre, et nous savons que les satellites espions peuvent observer des éléments de mois d’un mètre à la surface du sol. Et que dire des autres moyens d’espionnage tels que les écoutes électroniques et numériques dont les États usent et abusent depuis des décennies ? Les révélations d’Edward Snowden sur la NSA en sont une illustration. Bref, nous ne sommes plus en 1794, où la République française avait gagné la bataille de Fleurus grâce à un ballon d’observation du champ de bataille. Mais cela ne semble pas concerner les médias français qui reprennent à l’unisson l’argument américain comme quoi les ballons espions seraient le nec plus ultra du renseignement moderne.

L’exemple de ce ballon sonde chinois gonflé en baudruche médiatique démontre le verrouillage absolu de la presse française, en particulier sur les sujets touchant la guerre actuelle en Ukraine ou la guerre en devenir en Asie. Pour notre zone géographique, l’OTAN et son commandement intégré jouent bien leur rôle d’organisation « politico-militaire », c’est-à-dire intégrant une « coordination » sur le plan politique et médiatique. La Chine est vraiment devenue un sujet très sensible, peut-être encore plus que l’Ukraine, et si le dispositif stratégique et militaire des Occidentaux n’est peut-être pas encore totalement au point au large de Taïwan ou de la Corée du Nord, constatons que le dispositif médiatique et de propagande est quant à lui parfaitement rodé… en tout cas en France.

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