Histoire du travail social en France : de la fin du XIXe siècle à nos jours

Cet ouvrage se présente comme la deuxième édition d’un manuel, (édité en 2014), qui fait toujours référence chez les professionnels du travail social.

Son auteur, Henri Pascal, y retrace les modalités et les conditions de surgissement des professions du social et de leur évolution, au gré des contextes politiques économiques et sociaux, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Il nous propose une lecture historique avec un regard à la fois synthétique et global, ne reculant pas devant les précisions de ses sources.

La question primordiale qui se repose implicitement dans chaque chapitre devient donc, qu’est-ce que le travail social ? L’auteur se garde bien de répondre directement à cette question, tant la réponse se métamorphose au gré de son évolution historique. Et il faudra attendre la fin de l’ouvrage pour qu’Henri Pascal nous en propose une définition textuelle, celle du code de l’action sociale et de la famille actualisé (2017) : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté…. »

Cet éclaircissement tardif s’explique par la caractéristique de cette recherche. Dans cet ouvrage l’auteur dévoile comment le travail social, fruit de tensions, de mobilisations et de combats dans des périodes marquées par l’extrême pauvreté, la précarité de nombreuses catégories de population, considérées trop souvent comme des exclus, n’a eu de cesse d’expérimenter de nouvelles formes de pratiques et d’élargir son champ d’action. De fait la généalogie des métiers du social s’avère très complexe. Et la question est plutôt de repérer des lignes de force qui vont, tel un puzzle, donner forme à un ensemble disparate. Pour clarifier ses propos, l’auteur adopte une méthode de travail qu’il répète dans chacun des six chapitres, et qui dans l’ordre chronologique, déclinent des périodes historiques : fin du XIXe siècle-1913, guerres mondiales (1914-1939), l’après-guerre (1940–1949), les Trente glorieuses 1950-1980, l’époque actuelle (1981–2004), avec un dernier chapitre qui a été rajouté pour actualiser cette deuxième édition, (2004 à nos jours).

En introduction de chaque chapitre, avec opportunité,  il associe des développements de contextualisation, politiques, économiques, sociaux, nationaux et internationaux pour insister sur l’interdépendance des professions du social avec leur époque. Et pour chaque période historique, il analyse successivement les objets de l’intervention (enfance, famille, logement, santé….), les champs d’action et d’investigation, (institutions, formation, législation…) et les professions elles-même, pour en étudier l’évolution d’une période à l’autre. Ce schéma permet de repérer les continuités et les ruptures dans ce cheminement étalé sur plus d’un siècle. En bon sociologue l’auteur ne se contente pas de dérouler cette chronologie, il tire de façon pertinente, tout au long de l’ouvrage et en guise de conclusion, trois fils transversaux qui vont caractériser cette histoire selon des modalités différentes.

  1. « Le lien entre les changements de la place des femmes dans la société française et l’histoire du travail social ». C’est l’un des points saillants de cet ouvrage, sachant que les métiers du social ont été dès leurs origines, investis massivement par les femmes, situation qui perdure aujourd’hui (84 %), même si cette majorité féminine ne se retrouve pas dans les instances de direction des institutions et l’association du travail social.
  2. « Les rapports parfois complexes, entre le travail social et le politique ». La volonté d’agir sur les conditions de vie de la population ouvrière en particulier est devenu dominante tout au long de cette histoire.  Souvent les actions lancées par quelques professionnels deviennent même les modèles d’action généralisés par l’État et par extension, « une manière d’agir concrètement sur la politique », mais de quelle place ?
  3. « La question du rapport à la loi et les tensions, les contradiction entre l’égalité et légitimité ». Ces contradictions se retrouvent réactivées, en particulier dans des périodes conflictuelles, les guerres mondiales et en particulier la période de l’occupation, la guerre d’Algérie et les années 68 -70. Surgissent alors dans les propos de l’historien, des anecdotes, des personnages marquants qui a eux seuls, dévoilent l’originalité et les paradoxes des métiers du social.

On pourra regretter que l’animation socioculturelle, un des volets importants et actuel du travail social, n’ait pas été étudiée, au motif qu’elle s’origine davantage dans l’histoire de l’éducation populaire. Ce positionnement est discutable quand on sait par ailleurs que l’animation socioculturelle depuis son démarrage dans les années 60 n’a pas cessé de l’accompagner et parfois même de remplacer les modalités traditionnelles d’intervention du travail social.

Mais cette remarque ne remet pas en cause ce travail conséquent de recherche, qui n’est pas qu’un travail d’historien et mais celui d’un acteur impliqué souhaitant que, « les événements du passé et la manière dont les travailleurs sociaux ont agi dans différents contextes historiques, permet de se poser des questions d’aujourd’hui et de construire les fondations du futur ». Et nous ne pouvons qu’espérer que par la lecture de cet ouvrage de référence, ces souhaits deviennent réalités et qu’ils  puissent donner une visibilité est un sens commun à ce secteur qu’on présente trop souvent en ordre dispersé.