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Anatomie du chaos : le capitalisme autodestructeur sous perfusion de l’État

Cet article est en fait une recension du livre de Tom Thomas intitulé Anatomie du chaos, paru aux Éditions critiques (18 euros, 192 pages). Ce livre étudie la crise actuelle du capitalisme avec ses « polyeffets » de façon claire et pédagogique. Il donne une définition du capitalisme, il précise les grandes phases de son histoire et de son fonctionnement. Il analyse les causes de la crise actuelle et délivre une première proposition des conditions d’émergence d’un processus révolutionnaire liées à cette phase du capitalisme s’autodétruisant lui-même à petit feu qu’il appelle le capitalisme « sénile ».

Si nous partageons son analyse et beaucoup de ses propositions, nous sommes réservés quant à l’utilisation du mot « sénile », qui est connoté « fin de vie », alors que nous estimons que la fin du capitalisme est en grande partie conditionnée à la capacité de la gauche de se mettre ou non à la hauteur des enjeux, ce qui ne semble pas encore atteint, loin de là ! Il reste sans doute à travailler aux conditions de la mutation nécessaire de la gauche, pour qu’elle puisse jouer son rôle historique de réponse aux besoins de tous les assurés sociaux et citoyens, de leurs familles, et de leur écosystème naturel. Pour ceux qui n’ont jamais lu directement les livres de Marx et d’Engels, Tom Thomas met deux annexes à la disposition du lecteur.

La première, intitulée « Plus-value relative, plus-value absolue et productivité » (12 pages), et la deuxième, « Le capital financier comme capital fictif » (3 pages), permettront au lecteur de se familiariser avec l’analyse marxienne avant d’entamer les quatre chapitres du livre, en plus de son introduction, qui précise que « s’attaquer aux effets est toujours le commencement ». Nous sommes dans cette phase de combats séparés contre l’ensemble des « polyeffets » du capitalisme.

Il faudra ensuite passer aux causes(1)Toujours suivre ce sage conseil de Vauvenargues : « Avant d’attaquer un abus, il faut voir si on peut en ruiner le fondement ». et à la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, avant de travailler à l’abolition des rapports sociaux de possession, de propriété et de production qui sont au fondement du mode de production capitaliste (MPC), et enfin de construire une nouvelle formation sociale avec un nouveau mode de production dominant. Les liens en notes de bas de page avec les œuvres de Marx et d’Engels pour l’analyse de fond et avec le journal Les Échos, journal de la bourgeoisie, pour lier avec les « polyeffets » du capitalisme moderne, permettent au lecteur de comprendre le réel d’aujourd’hui.

Le capitalisme autodestructeur

Le premier chapitre montre le caractère autodestructeur de la phase actuelle du capitalisme à cause des contradictions internes du système. Il montre qu’elle est la troisième mondialisation du capitalisme. La première est la mondialisation primitive, dans laquelle le capitalisme produit sa plus-value principalement par la plus-value absolue.

La deuxième est celle du règne, pendant plus de deux siècles, de la forte croissance de la plus-value par la plus-value relative et donc par les gains de productivité.

La troisième, la nôtre, est celle du constat que la croissance est de plus en plus faible, que les gains de productivité deviennent de plus en plus faibles également, que le taux moyen de plus-value s’affaisse malgré un machinisme et une robotisation de plus en plus sophistiqués, et, surtout, que le remplacement du capital variable (les travailleurs) par le capital constant (machines, bâtiments et approvisionnements) diminue très fortement le nombre de travailleurs productifs de plus-value, ce qui explique que la source de création de plus-value par la plus-value relative touche à sa fin.

D’où la mondialisation actuelle, celle du retour au primat de la recherche de plus-value par la plus-value absolue, c’est-à-dire sans gains de productivité, qui va relancer les antagonismes sociaux et les tensions militaires. Bienvenue à la sauvagerie du national capitalisme autoritaire (NCA), plus apte à générer de la plus-value absolue. La masse des profits continue à progresser, mais le taux de profit moyen baisse.

Au passage, Tom Thomas montre l’inanité, voire le fantasme, de la gauche qui veut, dans cette phase de la troisième mondialisation, « prendre aux riches par la voie parlementaire, tout en conservant les rapports de possession, de propriété et de production qui fondent le capitalisme ». « Ce fantasme voudrait supprimer les effets qui en découlent inévitablement, dont notamment les riches » (page 13), sans intervenir sur les causes. Et cette gauche s’étonne que cela ne marche pas ! Tom Thomas montre également comment la plus grande masse des profits est captée par quelques monopoles qui forment leurs profits non à partir d’une création de plus-value directe, mais en détroussant « les entreprises intermédiaires qui produisent pour eux ». La baisse tendancielle du taux de profit se transforme alors en baisse réelle des taux moyens de profit.

Voilà pourquoi les capitalistes tentent de contrer cette réalité par le rachat d’actions, qui a triplé depuis 2012 (+182 %), surpassant largement l’augmentation des dividendes (+54 %), par une augmentation massive des subventions directes de l’État aux entreprises sans contrepartie(2)212 milliards par an pour la France dans le calcul de la commission d’enquête du Sénat et 270 milliards dans celui de Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron dans le livre enquête paru le 11 septembre aux éditions Allary., par une augmentation dantesque des dettes publiques et privées, par une destruction progressive des services sociaux, malheureusement insuffisamment défendues par les partis de gauche français qui négligent le primat du social dans l’attaque patronale, y compris la gauche dite radicale.

Gabriel Zucman, mandaté par le G20, montre que le taux d’imposition des milliardaires est de 0,3 % de leur patrimoine ! Tout cela s’ajoute à la soumission totale de l’Union européenne aux États-Unis de Donald Trump et à l’Otan, en acceptant de passer le budget de la défense de 2 % à 5 % du PIB, soit une augmentation de près de 90 milliards d’euros, toujours en ponctionnant sur le budget des services sociaux qui tombent en capilotade.

Le capital est une contradiction en acte : la science ne sauvera pas le capitalisme

Karl Marx a bien observé que le mode de production capitaliste (MPC) « finit à la longue par ruiner les deux sources de la richesse, les hommes et la nature ». La bourgeoisie a enrôlé la science pour augmenter la plus-value, quelle qu’en soit la forme, relative ou absolue.

Par exemple, ce qu’apportera l’intelligence artificielle IA (qui n’est ni intelligente, ni artificielle) « à la reproduction du capital, c’est la possibilité d’extraire davantage de plus-value sous sa forme absolue grâce à ce moyen ultraperfectionné de surveiller et de contrôler… le temps de travail des prolétaires, d’optimiser leurs gestes, leurs déplacements, et par là d’accroitre l’intensité de leur travail » et demandera des « quantités toujours plus gigantesques d’énergie et d’eau ». Le 1984 de Georges Orwell est en place ! Et comme « l’investissement de départ est lourd » et que le jeu concurrentiel s’effectue selon le principe du « the winner takes all » (le gagnant prend tout), la monopolisation de l’économie s’effectue simplement en pompant « la plus-value produite tout au long des chaînes de production mondialisées qu’ils contrôlent ».

Dans ce deuxième chapitre, Tom Thomas analyse le rôle de la guerre dans la phase actuelle du capitalisme, le cynisme des porte-paroles du capital à ce sujet (page 55, y compris dans les notes !), le rôle de l’espace dans cette phase actuelle, la pollution massive des mers, l’épuisement des sables marins et des rivières, la gestion de plus en plus conflictuelle de l’eau. Ce livre montre que les énergies fossiles sont toujours « un facteur primordial de la croissance du capital », que « le pouvoir de réchauffement du méthane est supérieur au CO2 et pourtant son stock dans l’atmosphère s’accroit à un rythme deux fois plus rapide que celui du stock de CO2 ».

Ce livre montre aussi que l’électrification entraîne une dévastation écologique par une nouvelle économie du cobalt, du lithium, du nickel et des métaux dits rares, que l’agro-industrie productiviste développe le scandale des pesticides, que la santé publique est menacée, car « les progrès du curatif ne compensent pas les faiblesses du préventif ». En fait, la bataille pour que la science soit mise au service des intérêts du plus grand nombre au lieu de ceux des oligarchies est des plus importantes.

Le capitalisme autodestructeur crée un chaos

L’augmentation des dettes, les dégâts écologiques et sociaux, l’accentuation des luttes de classes et des guerres impérialistes poussent l’État à essayer d’organiser le chaos et, en même temps de le supprimer pour que perdure le capitalisme.

Tout ce qui précède ce troisième chapitre aboutit à un gigantesque chaos pour le plus grand nombre. L’enchevêtrement des multiples contradictions du capitalisme y contribue. L’augmentation des dettes, les dégâts écologiques et sociaux, l’accentuation des luttes de classes et des guerres impérialistes poussent l’État à essayer d’organiser le chaos et, en même temps de le supprimer pour que perdure le capitalisme : « ce qu’il ne peut finalement tenter de faire que par la force puisqu’il ne peut en supprimer les causes ».

Nous sommes passés à cette troisième étape de la mondialisation « par un recours accru à l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue grâce aux délocalisations des emplois ouvriers dans les pays à bas salaires afin de suppléer la faiblesse des gains de productivité via l’extraction de la plus-value relative ».

« Mais il n’y a pas que du négatif dans le chaos. Dans la mythologie grecque, le khaos n’est pas la fin du monde, mais son début : c’est à partir du khaos qu’ont été libérées des forces jusque-là étouffées qui ont accouché d’un monde civilisé ». Nous devons « passer d’une destruction subie à une destruction organisée de telle sorte qu’elle engendre un nouveau mode de production ».

L’auteur termine son troisième chapitre par la formule suivante : « Deux voies donc, et seulement deux, pour l’avenir de l’humanité. L’une suicidaire, l’autre révolutionnaire… et donc sur la fin du type de travail, contraint, aliéné, et absolument destructeur des conditions de vie qui en découle, laquelle a été rendue possible par le capitalisme lui-même ».

Sortir du chaos en faisant dépérir l’État

L’auteur estime que le caractère de plus en plus en plus autoritaire que nous percevons dans notre système actuel provient d’un manque de critique de l’idéologie nationaliste (qui est le fétichisme de la Nation) que nous devons combattre, car elle tente d’annuler la lutte des classes qui est le seul moteur de l’histoire vers un monde meilleur pour le plus grand nombre. Voilà pourquoi il faut que la transition post-capitaliste ait comme objectif de faire dépérir l’État, bien sûr avec des étapes successives dans un temps long. En attendant, les libéralismes antidémocratiques (l’Union européenne) et les démocraties illibérales (États-Unis, Hongrie, etc.) sont comme le fascisme : « le fascisme n’invente rien, mais pousse à bout, exacerbe au plus haut point des idéologies et des pratiques générées par le MPC et ses intellectuels organiques, pour reprendre cette formule de Gramsci ».

Si l’auteur estime appréciables les réformes du Front populaire de 1936 ou de la Libération avec le CNR, il montre que ce fut possible parce que nous étions dans la deuxième mondialisation, celle qui permet le partage des gains de productivité, ce qui n’est pas le cas dans la période de la troisième mondialisation sans gains substantiels de productivité. L’augmentation de la plus-value dans sa forme absolue, que ce soit dans le cadre de la mondialisation néolibérale libre-échangiste ou celui, ensuite, du national capitalisme autoritaire, ne permet plus le partage des gains de productivité, trop faibles pour être partagés.

Puis, l’auteur propose une première série de conditions révolutionnaires pour passer à une nouvelle formation sociale avec un nouveau mode de production dominant. Notre rôle est donc de lire ce livre, d’en analyser le contenu, de participer aux débats sur les conditions d’émergence d’un nouveau monde et d’organiser ces débats dans vos localités respectives.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Toujours suivre ce sage conseil de Vauvenargues : « Avant d’attaquer un abus, il faut voir si on peut en ruiner le fondement ».
2 212 milliards par an pour la France dans le calcul de la commission d’enquête du Sénat et 270 milliards dans celui de Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron dans le livre enquête paru le 11 septembre aux éditions Allary.
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