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PÉROU : l’extrême droite à la manœuvre

L’un des terrains de jeu privilégié des États-Unis ces dernières années est à feu et à sang. L’Organisation des États américains (OEA) est à la manœuvre pendant que les États-Unis et l’Union européenne regardent d’un œil distrait.

Mais que se passe-t-il donc au Pérou ?

RAPPEL

            Le 19 juillet 2021, Pedro Castillo se voyait proclamer 99e président du Pérou. La victoire de cet inconnu, véritable homme du peuple, instituteur, provincial et hors système, surprenait (voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/actualites-de-lamerique-latine/7424777). Elle mettait à bas le « fujimorisme »(1)Voir l’article sur Alberto Fujomori dans Wikipédia pour plus de détails : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Alberto_Fujimori., une organisation impressionnante et ancrée dans le pays depuis des décennies, et avec lui tous ses relais dans l’armée, la police, les médias ou les milieux d’affaires.

            La prise de fonction venait à peine d’avoir lieu que Pedro Castillo vérifiait déjà de quoi étaient capables ses adversaires, pourtant défaits à la régulière dans les urnes : il ne pouvait ni gouverner ni même composer un gouvernement à lui, ses ministres étant tour à tour rejetés par l’Assemblée nationale. Puis sont venues les procédures de destitution auxquelles se sont ajoutées, comme d’habitude dans ce pays, des accusations de corruption : les présidents élus au Pérou n’ont-ils pas pour particularité de ne pas terminer leur mandat, destitués avant la fin sur des faits de corruption ?

 

            Pedro Castillo avait une petite idée de ce qu’il fallait changer, il l’avait proposé au cours de sa campagne électorale : mettre en place une assemblée constituante qui dessine les contours d’une nouvelle constitution. Mais il n’aura pas eu la possibilité ne serait-ce que de penser à ce changement de constitution, tant il fut entravé dans son action. Le but recherché par l’opposition de droite et d’extrême droite était simple : prouver que Castillo était incapable de gouverner, faire monter le mécontentement dans le pays et le pousser à la démission. Résultat : Pedro Castillo ne peut appliquer son programme et cherche d’improbables alliances jusqu’à renier ses propres engagements. Sa coalition de gouvernement de gauche rompt et peu à peu sa situation personnelle à la tête de l’État devient intenable.

            Et il commet le coup de trop : il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale alors qu’il n’en a pas le pouvoir. Il sait bien que sans l’appui de la police et de l’armée, il ne peut faire un coup d’État, mais tout juste un coup de semonce… Il sera arrêté et jeté en prison avant même que le parlement ne décide de sa destitution pour avoir « tenté un coup d’État », ce même parlement qui paralyse l’État depuis presque deux ans !

            On croit rêver ! Le harcèlement incessant de l’extrême droite péruvienne a réussi à faire passer aux yeux du monde Pedro Castillo pour un dictateur ! Une extrême droite relayée par des médias très complaisants, comme toujours, quand il s’agit de s’en prendre aux forces de gauche.

LA SITUATION ACTUELLE

            Accepté sur le champ par les États-Unis, le scénario du président élu devenu dictateur n’a heureusement pas été partagé par quelques chefs d’État latino-américains comme le président bolivien Luis Arce, le vénézuélien Nicolas Maduro, le cubain Dias Canel, mais également Lopez Obrador au Mexique ou Gustavo Petro en Colombie.

            Ce dernier n’a pas hésité : « Pour moi Castillo est une victime, personne ne peut enlever ses droits politiques à un chef d’État si ce n’est une sentence d’un juge » (en référence à l’arrestation de Castillo par la police sans aucun mandat). Petro a poursuivi : « Quand le parlement péruvien empêchait que le président élu par le peuple du Pérou aille à des réunions internationales, ce qu’il empêchait c’est l’articulation et l’intégration économique de l’Amérique latine ». Pour le président colombien, le Pérou vit une division entre les habitants des provinces et ceux de Lima la capitale et Castillo a été destitué pour ses origines : « Ils le font tomber parce qu’il vient de là, c’est un pauvre ! ».

 

            Le président mexicain Manuel Lopez Obrador, qui n’est pourtant pas catalogué par les Américains, les Européens ou les médias internationaux comme un adepte de la gauche radicale, s’est prononcé également sur la situation au Pérou : « Ce sont les élites qui ont empêché Pedro Castillo de gouverner et ont conduit à la crise que l’on connaît. Ce sont les groupes de pouvoir économiques et politiques et les ambitions personnelles qui ont pris des mesures arbitraires ». Il a plus tard ajouté : « Libérez le président Castillo, injustement emprisonné ! Et avec tout le respect que je lui porte, je demande à l’ambassadrice des États-Unis au Pérou de s’abstenir d’intervenir dans les affaires intérieures du pays ».

            La CELAC(2)CELAC :Communauté d’États latino-américains et caraïbes, composée de 33 États. vient de se réunir, mais aucune position commune ne s’est dessinée pour condamner ce coup de force des autorités actuelles contre le peuple péruvien, un peuple qui serait en droit d’exiger une nouvelle élection, après presque deux ans de blocage de la démocratie. C’est une faute politique que de ne pas avoir pris une mesure forte, car en observant un profil bas, la CELAC se fait complice d’un état de fait inadmissible, du même niveau que ce qu’ont subi en d’autres temps Dilma Rousseff au Brésil (2016) ou Manuel Zelaya au Honduras (2009). Le combat contre l’extrême droite ne permet pourtant pas qu’on lui laisse un centimètre, car elle en reprendra 50 le coup suivant.

            Étonnant également le comportement des donneurs de leçons européens ou américains toujours prompts à décider des sanctions contre ceux qui s’en prennent aux droits de l’homme et aux institutions. Dans la situation du Pérou, ils ne revendiquent étrangement pas d’élection immédiate, ne brandissent pas de possibles sanctions contre les assassinats commis par les forces de l’ordre, n’envisagent pas de blocus… Ne prennent aucune de ces mesures qui selon eux sont si efficaces contre le Venezuela !

            En fait, les Américains et les Européens sont assez contents de s’être débarrassés (sans avoir été en première ligne) d’un homme qui a gagné les élections au suffrage universel sur une ligne politique foncièrement de gauche et trop radicale pour eux. Avec la nouvelle équipe au pouvoir, leurs intérêts en matière de pétrole, de bases militaires ou d’affaires en tous genres seront préservés. La démocratie ? Une nouvelle constituante ? Une nouvelle élection, mais pourquoi faire ? Les revendications de tout un peuple en révolte peuvent attendre.

 

            Le peuple péruvien l’a bien compris, qui doit désormais se lever contre cette extrême droite qui dépasse les frontières péruviennes. Déjà lors de la dernière campagne électorale, la fine fleur de l’anticommunisme s’était rassemblée à Lima pour faire rempart à la gauche radicale : s’y pressaient les représentants du parti populaire espagnol, mais également du parti d’extrême droite espagnol Vox, l’écrivain péruvien Vargas Llosas (qui entre à l’Académie française ce mois de février) côtoyait Leopoldo Lopez, l’extrémiste vénézuélien que les médias déguisent toujours en centriste.

            Au Pérou ces jours-ci, cette extrême droite a repris des couleurs, en obtenant par la perfidie, la trahison et la force ce qu’elle n’a pas obtenu par les urnes !

EN CONCLUSION

            Le parti « Pérou libre », porte-parole de la gauche péruvienne, qui a soutenu l’élection de Pedro Castillo le résume bien dans son communiqué :

            Nous sommes aujourd’hui dans ce que nous appelons le troisième mandat du Fujimorisme. Le coup d’État contre Pedro Castillo a été tramé au sein du Fujimorisme, qui s’est appuyé sur la participation active de la vice présidente du Pérou Dina Boluarte. Pedro Castillo a seulement facilité inconsciemment sa précipitation. 

            Dossier à suivre. La bataille idéologique est loin d’être terminée !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Voir l’article sur Alberto Fujomori dans Wikipédia pour plus de détails : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Alberto_Fujimori.
2 CELAC :Communauté d’États latino-américains et caraïbes, composée de 33 États.
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