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Accepter le recul de la puissance d’agir du syndicalisme ou le refonder ?

Une silhouette entourée de noms de syndicats brandie une pancarte

À la suite du Conclave qui vient de s’achever par une situation d’échec, il importe d’analyser la situation dans laquelle se trouve le syndicalisme. Son financement est une partie du problème pour réussir à revenir à des organisations militantes. À l’instar du financement des partis politiques, dont les aides publiques s’appuient sur le 1er tour des élections législatives, celui des syndicats pourrait reposer sur les élections professionnelles. Cela aurait l’avantage de la transparence, loin des combinaisons obscures, voire occultes.

Deux ouvrages pour ouvrir le débat

Sophie Binet a préfacé le livre Les jours heureux, programme du Conseil national de la Résistance avec un texte intitulé « Il est minuit moins le quart(1)“Il est minuit moins le quart” : Sophie Binet préface “les Jours heureux”, le programme du CNR. ». Puis Jean-Marie Pernot, ancien responsable syndical et ancien du Ceres, a produit le texte intitulé « Propositions pour le dernier quart d’heure(2)JM-Pernot-Propositions-pour-le-dernier-quart-dheure.pdf. ». Le débat est donc lancé.

Et bien, disons-le tout de go, ces deux textes sont un bon début. Il s’agit donc d’en débattre et d’en tenir compte. Mais est-ce suffisant ? Que nenni ! « Partir du réel pour aller vers l’idéal » reste une bonne ligne de conduite. Encore faut-il commencer par cerner tous les faits, l’ensemble du réel, sans esquiver ce qui fâche un tant soit peu les uns ou les autres. Sans chercher l’exhaustivité, cet article va élargir la critique engagée par ces deux textes et principalement par Jean-Marie Pernot.

Le syndicalisme doit redevenir un lieu de sociabilité désirable pour toutes et tous

Jean-Marie Pernot a raison de rappeler la nécessité pour le syndicalisme de renouer avec les sociabilités populaires que nous avons vues sur les ronds-points lors du mouvement des Gilets Jaunes. Dans certains pans du syndicalisme, ces sociabilités indispensables ont laissé place à une logique de clans qui fait fuir beaucoup de travailleurs et de militants venus vivre et travailler syndicalement dans le respect mutuel.

Dans d’autres pans, le syndicalisme est appelé à être une couverture de mise en valeur de groupes politiques sans respect des souhaits populaires(3)Mobiliser dans la France périphérique et rurale – ReSPUBLICA..

Si l’alliance de l’aveugle et du paralytique n’a jamais fait un individu en bonne santé, la multiplication sans fin des structures syndicales nuit également à la satisfaction des revendications.

De la multiplication des organisations

Il n’existait que deux centrales syndicales au Front populaire, à la Libération. Cela a produit les plus grandes avancées syndicales et donc sociales. Aujourd’hui, dans certaines administrations publiques, le nombre de syndicats approche ou dépasse un nombre à deux chiffres. Et nous sommes en régression sociale. Qu’il y ait plusieurs centrales syndicales en fonction de lignes stratégiques différentes, on le conçoit bien. Mais qui a intérêt à faire croître autant que faire se peut le nombre de structures syndicales ? On conçoit bien l’intérêt du grand patronat et des directions administratives néolibérales de la fonction publique : diviser pour régner est le nec plus ultra du management directorial dans le National Capitalisme Autoritaire. Pour les salariés, plus le nombre de syndicats augmente, plus la démocratie sociale régresse.

Après le financement public des partis politiques, nous avons besoin du financement public des syndicats

Maintenant que nous savons que de nombreuses structures syndicales ont des budgets au sein desquels le montant des cotisations des salariés est minoritaire, le temps est venu de moraliser et de moderniser le financement syndical, en prenant le même principe que pour le financement public des partis politiques qui sont financés à partir des élections législatives. Il est très facile d’utiliser les élections professionnelles pour moderniser et moraliser le financement syndical et supprimer, comme pour le financement politique, les financements annexes non transparents.

Nécessité de renforcer les moyens matériels et financiers des unions locales syndicales

Les modifications sociologiques et la forte diminution des grandes unités industrielles nous commandent de développer l’action syndicale dans les petites et moyennes entreprises. Ce travail demande une modification du système de fonctionnement par une action locale plus forte pour aider au développement syndical dans ces entreprises. Ce travail ne peut pas être entrepris uniquement à partir des Unions départementales, des fédérations et des syndicats nationaux. Il va de soi qu’un renforcement de la démocratie dans ces structures est également indispensable.

Nécessité de refonder les imaginaires sociaux, les pratiques et les discours syndicaux

Dès la charte d’Amiens de 1906, la nécessité de pratiquer la double besogne était actée dans le mouvement syndical. L’articulation entre les revendications immédiates et le projet social global était largement nourrie par les imaginaires sociaux, qui permettaient alors de « partir du réel pour aller vers l’idéal ». Mais pour cela, il faut débattre. C’est comme cela qu’ont été construits les conquis sociaux du Front populaire et de la Libération. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins de débats, de formations-débats et d’éducation populaire refondée que d’antan.

Concernant les pratiques, le syndicalisme doit renouer avec l’éducation populaire refondée des assurés sociaux et avec la formation sociale et politique des adhérents. Quant aux discours, il convient qu’ils soient adaptés au public concerné et précis dans leur formulation. Là encore, une formation est nécessaire pour de nombreux responsables, à tous niveaux.

Nécessité de repréciser les rapports syndicats-partis

Le travail syndical doit participer à la reconquête d’un imaginaire idéal.

Ce qui est nouveau depuis un quart de siècle, c’est que le « désaveu de la gauche de gouvernement est naturellement une raison majeure » de la perte d’espérance émancipatrice. Mais cet argument ne donne pas la clé de la reconstitution de cette espérance émancipatrice. Voilà pourquoi il faut revenir à des pratiques historiques, à savoir que le travail de double besogne doit avoir lieu aussi bien dans les partis que dans les syndicats. Oui, le travail syndical doit participer à la reconquête d’un imaginaire idéal.

Et il faut en finir avec l’idée qu’une fois que l’on construit un programme, le travail conceptuel est terminé. Car il ne suffit pas de dire que l’on veut aller au sommet de la montagne sans préciser par quelle voie on y arrive. Oui, il faut discuter du bout du chemin, mais aussi du chemin lui-même. La différence entre partis et syndicats n’est pas que le premier est le débouché politique du deuxième. Ils ne travaillent pas dans le même champ. La lutte pour le pouvoir de gérer un territoire, notamment avec le champ électoral et la démocratie politique, pour le premier ; la lutte sociale, notamment avec la démocratie sociale, pour le second. Tout empiètement de l’un sur-le-champ de l’autre fait augmenter l’exaspération populaire, comme lorsque la direction de La France Insoumise a voulu prendre la direction de la bataille des retraites.

Nécessité de mener la bataille culturelle

Heureusement, tout est rentré dans l’ordre rapidement, au simple regard des mobilisations respectives. Jean-Marie Pernot a raison de reprendre la distinction de Pierre Bourdieu dans La misère du monde sur le fait que le syndicalisme doit prendre en charge aussi bien la misère de condition que la misère de position. Mais, pour cela, il faut mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle via une éducation populaire refondée pour éviter que le ressentiment devienne « un empoisonnement psychologique ». Car c’est cet « empoisonnement psychologique » qui fait le lit de l’extrême droite, qui excelle dans le détournement des sujets « vers des causes secondaires ».

Aujourd’hui, ce ressentiment populaire contre la gauche de gouvernement doublé de l’idéologie dominante de l’extrême centre (« nos valeurs occidentales », « il faut diminuer les prélèvements des plus riches », « aider les entreprises » et « baisser les dépenses sociales ») est difficile à comprendre, comme le précise Jean-Marie Pernot. Et ce n’est pas le « surgissement du NFP » pour quelques semaines de processus électoral qui résoudra ce problème. Ce n’est pas la vocifération anti-RN qui les fera reculer, mais bien la constitution d’un contre-récit pour les endiguer. C’est le rôle de la bataille nécessaire pour une nouvelle hégémonie culturelle.

« Ras l’bol de travailler comme ça »

Écoutons Jean-Marie Pernot :

La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail reconnaît en 2021 que les conditions de travail en France se sont davantage dégradées que dans la plupart des autres pays européens. Cela mériterait de centrer le travail syndical sur le travail sur la base du mot d’ordre – Ras l’bol de travailler comme ça –.

Plutôt que de partir du « programme » d’une gauche politique en état d’apesanteur, la tâche politique du syndicalisme consiste à reconstruire ces liens qui resocialisent, au détriment des politiques du travail qui détruisent la société et les individus. Prenons comme exemple la CGT, qui avait entamé à la fin des années 2000 une démarche dite « Travail et émancipation » qui a permis en une dizaine d’années de faire progresser la prise en charge de ces questions par des équipes conscientes de la nécessité d’élargir le périmètre des prises en charge syndicales. Ce chantier a été interrompu par la direction confédérale après le 52° congrès en 2019, sans aucune explication. 

De même, après avoir fait voter la Sécurité sociale intégrale, le Nouveau statut du travailleur salarié (NSTS) et la Sécurité sociale professionnelle (SSP), qui est un beau programme d’avenir, la CGT n’a pas poursuivi, notamment en montrant que l’Accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 et la Protection sociale complémentaire (PSC en cours de négociation en 2025 et 2026) vont à l’encontre de son projet voté en congrès. Il est à noter que la négociation de la Fonction publique territoriale est nettement moins bonne que celle de la Fonction publique d’État. Cela montre que les négociations sectorielles sont, pour les négociations interprofessionnelles, moins efficaces.

Démocratie et lutte contre la bureaucratisation

La synthèse(4)« Une mine d’or » : plus de six ans après le Grand débat national, les données des contributions citoyennes analysées grâce à l’intelligence artificielle. des 400 000 cahiers de doléances envoyés par Internet lors du grand débat suite au mouvement des Gilets Jaunes montre bien qu’il n’y a pas de « ras l’bol fiscal », que les demandes tournent autour de la démocratie, de l’école, de la Sécurité sociale et des services publics (soit, pour un partisan de la République sociale, la sphère publique de constitution des libertés), ce qui ne correspond pas aux débats principaux chez les militants. Le syndicalisme doit prendre en charge, comme nous venons de le dire les misères de condition et de position et doit intégrer cette demande de démocratisation. Il suffit de constater que les élus internes dans les syndicats sont souvent des élus au Xème degré (l’adhérent participe à l’élection du niveau 2, les élus du niveau 2 élisent les élus de niveau 3 et ainsi de suite). Il y a donc éloignement de l’adhérent avec les élus du degré X. D’où la tendance à la bureaucratisation, à la diminution du nombre de responsables intermédiaires avec des heures pour que les permanents puissent cumuler et avoir un poste de permanent complet. Il y a là un débat à avoir.

Conclusion provisoire

Cette contribution au débat syndical en appelle d’autres. ReSPUBLICA est un média ouvert à la continuation de ce débat. N’hésitez pas à l’alimenter.

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