Ce pas vient d’être franchi avec la récente adoption par le Sénat du projet de loi ratifiant les ordonnances du 02 août 2019 notamment celle relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace(1)Compétences de la Collectivité européenne d’Alsace : adoption du projet de loi ratifiant les ordonnances. Cette adoption vise à permettre à la Collectivité d’instaurer « une taxe poids lourds » sur la voirie routière dont elle est propriétaire.
Cette taxe kilométrique qui pourra être décidée par la Collectivité concernera les propriétaires ou locataires des véhicules de transport de marchandises(2)extension de l’application de la taxe kilométrique aux grands véhicules utilitaires légers (à partir de 2,5 tonnes, et non plus 3,5 tonnes prévu par le texte initial), de plus en plus utilisés pour le transport de fret au détriment des poids lourds, afin d’éviter le contournement de cette nouvelle réglementation « amt 5 – art. add. après art. 1er », avec, à la clé, la mise en place d’amendes pour les contrevenants qui chercheraient à contourner la loi notamment au travers d’une technologie de fraude idoine(3)C’est pourquoi cet amendement vise à augmenter l’amende prévue à l’article 46 de 3 750 à 7 500 euros.
De la nécessité de retrouver une cohérence et une équité sur tout le territoire national
Outre le danger rampant d’une construction d’une Europe basée sur les régions et non sur les États et nations et de leurs peuples, la question se pose de l’utilité d’une telle réorganisation du territoire national qui fragilise son unité et son indivisibilité.
En effet, si l’objectif d’une telle compétence dédiée est de préserver l’Alsace de l’afflux de poids lourds qui préfèrent emprunter la rive française du Rhin afin d’échapper à la taxe poids lourds allemande, une telle décision pouvait et peut être prise selon les anciennes modalités en concertation avec les instances locales. Cela permettrait de favoriser une cohérence globale sur tout le territoire.
Cela étant dit, le principe d’une taxe qui ressemble à l’écotaxe un temps préconisée sous le mandat présidentiel de Hollande(4)Buts affichés : faire participer les transporteurs à l’entretien et à l’amélioration des réseaux de transport alternatifs, principalement ferroviaire et de modifier les modes de transport, pour pousser les entreprises à utiliser des alternatives à la route pour acheminer leurs marchandises paraît de bon sens en ces temps où les rapports du GIEC pointe le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre dont le CO².
Une contradiction locale d’ampleur : priorité à la route contre l’alternative du rail
D’un côté, il y a la volonté de taxer les poids lourds et de l’autre est financé le Grand Contournement Ouest au niveau de la métropole strasbourgeoise(5)16/11/2021, France 3 Grand Est : la justice autorise finalement l’ouverture du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. La cour administrative d’appel de Nancy a rendu une décision autorisant le concessionnaire Arcos-Vinci à mettre en service la nouvelle autoroute. « Les juges ont suspendu l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg de juillet dernier », détaille Stéphane Giraud, le directeur d’Alsace Nature. « Celui-ci prévoyait une non-ouverture du GCO tant que les études complémentaires ne seraient pas rendues. » Une étude d’impact environnemental avait notamment été réclamée par le tribunal afin de réduire les engorgements du trafic routier à toute heure de la journée notamment sur l’A35 qui traverse le chef-lieu de la nouvelle collectivité. Entre 22.000 et 34.000 véhicules attendus par jour. Satisfaction du président de la région Grand Est, Jean Rottner, quant à cette décision. Le but réel est bien d’attirer sur la rive gauche du Rhin (côté France donc) les camions qui traversent l’Europe du Sud au Nord et vice versa grâce à une plus grande fluidité du trafic. Le péage de ce GCO étant moins élevé que du côté allemand, il y aura un accroissement du trafic des poids lourds. Même moins cher, ce péage enrichira les actionnaires du Vinci au détriment de l’environnement. En effet, il faut rappeler que ce projet a déjà détruit 300 ha de terre arables très fertiles, une forêt considérée comme remarquable par sa qualité et que sept avis négatifs de commissions environnementales de l’État ainsi que celui de la commission d’enquête.
Maillage fragilisé sur l’ensemble du territoire aux dépens d’un service public équilibré pour les tous les usagers
Autre contradiction régionale et nationale est celle d’entrouvrir la boîte de pandore en ouvrant des lignes ferroviaires au privé qui, comme à l’accoutumée, va postuler pour les sections rentables pour leurs actionnaires et laisser à l’opérateur historique et national, la SNCF, les liaisons déficitaires (exemple : PACA mais aussi le Grand Est avec ouverture aux sociétés privées). Longtemps, le principe qui prévalait, avant les recommandations et/ou directives européennes d’ouverture à la concurrence, était que les liaisons bénéficiaires permettaient de maintenir les liaisons déficitaires, souvent des petites lignes. Ainsi le maillage sur l’ensemble du territoire avec un service public équilibré pour tous les usagers quel que soit son lieu de résidence, campagne, petite ville ou grande ville était assuré. La nécessité qu’ont ressentie certains de nos concitoyens de créer des associations telles que la coopérative Railcoop(6)Railcoop est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) où chaque sociétaire correspond à une voix lors des prises de décision en assemblée générale. Comptant aujourd’hui 1 367 sociétaires, Railcoop souhaite mettre autour de la table tous les acteurs du territoire concernés par le projet : « les collectivités locales qui ont un rôle d’aménageur et d’inclusion sociale, les citoyens qui ont un intérêt à revoir les trains circuler sur leur territoire, les entreprises du territoire pour transporter des marchandises ou permettre à leurs salariés de se déplacer et les associations », commente Alexandra Debaisieux. Tous les bénéfices sont également réinjectés dans l’objet social de l’entreprise. pour relier Lyon à Bordeaux montre à quel point la SNCF est empêchée de jouer pleinement son rôle de service public.
Chacun comprend que le maintien et la réouverture des petites lignes et de lignes transversales pour éviter de devoir passer par Paris font partie de mesures indispensables pour qu’une partie du transport de personnes et de marchandises par la route aille aux déplacements par voie ferrée. Cela contribuerait efficacement à réduire les émissions de GES à condition que le coût que chaque personne doit payer soit incitatif.
De Mulhouse à Strasbourg, le billet revient bien plus cher que le coût du déplacement en voiture et n’incite pas à délaisser son véhicule au profit du train. Une politique nationale et régionale ambitieuse devrait subventionner le train et la SNCF pour le rendre attractif car le coût global pour la société en termes de pollution, de santé, d’artificialisation de terres arables (exemple GCO), de qualité de vie serait avantageux. Pour s’en rendre compte, il faut intégrer les coûts externes de l’usage de la route qui actuellement pour les transporteurs est externalisé et financé par la collectivité et donc les contribuables.
Retour plein et entier à la notion de service public libéré du marché
Que ce soit pour la route ou le rail, une organisation territoriale assurant une cohérence des politiques au service de tous les citoyens sur tout le territoire national s’impose et les compétences accordées aux différents échelons, régions, départements… ne facilitent pas cette coordination. Cela vaut également pour l’eau à la gestion trop souvent confiée au privé, la distribution de l’électricité… Une organisation sous couvert de pôles publics assurant le lien avec des coopératives locales proches des usagers.
Notes de bas de page
↑1 | Compétences de la Collectivité européenne d’Alsace : adoption du projet de loi ratifiant les ordonnances |
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↑2 | extension de l’application de la taxe kilométrique aux grands véhicules utilitaires légers (à partir de 2,5 tonnes, et non plus 3,5 tonnes prévu par le texte initial), de plus en plus utilisés pour le transport de fret au détriment des poids lourds, afin d’éviter le contournement de cette nouvelle réglementation « amt 5 – art. add. après art. 1er » |
↑3 | C’est pourquoi cet amendement vise à augmenter l’amende prévue à l’article 46 de 3 750 à 7 500 euros |
↑4 | Buts affichés : faire participer les transporteurs à l’entretien et à l’amélioration des réseaux de transport alternatifs, principalement ferroviaire et de modifier les modes de transport, pour pousser les entreprises à utiliser des alternatives à la route pour acheminer leurs marchandises |
↑5 | 16/11/2021, France 3 Grand Est : la justice autorise finalement l’ouverture du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. La cour administrative d’appel de Nancy a rendu une décision autorisant le concessionnaire Arcos-Vinci à mettre en service la nouvelle autoroute. « Les juges ont suspendu l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg de juillet dernier », détaille Stéphane Giraud, le directeur d’Alsace Nature. « Celui-ci prévoyait une non-ouverture du GCO tant que les études complémentaires ne seraient pas rendues. » Une étude d’impact environnemental avait notamment été réclamée par le tribunal afin de réduire les engorgements du trafic routier à toute heure de la journée notamment sur l’A35 qui traverse le chef-lieu de la nouvelle collectivité. Entre 22.000 et 34.000 véhicules attendus par jour. Satisfaction du président de la région Grand Est, Jean Rottner, quant à cette décision |
↑6 | Railcoop est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) où chaque sociétaire correspond à une voix lors des prises de décision en assemblée générale. Comptant aujourd’hui 1 367 sociétaires, Railcoop souhaite mettre autour de la table tous les acteurs du territoire concernés par le projet : « les collectivités locales qui ont un rôle d’aménageur et d’inclusion sociale, les citoyens qui ont un intérêt à revoir les trains circuler sur leur territoire, les entreprises du territoire pour transporter des marchandises ou permettre à leurs salariés de se déplacer et les associations », commente Alexandra Debaisieux. Tous les bénéfices sont également réinjectés dans l’objet social de l’entreprise. |