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Comment la Constitution de la 5e République tue le débat citoyen et parlementaire ?

La République instruisant la Démocratie (statue du Père-Lachaise, division 65)

L’actuel débat parlementaire sur les budgets de l’État (PLF) et de la Sécurité sociale (PLFSS) a au moins un intérêt, c’est de montrer avec une grande pédagogie que la Constitution de la 5e République est anti-démocratique et donc que, dans la période actuelle, elle renforce le National capitalisme autoritaire (NaCA), phase actuelle du capitalisme qui remplace et renforce la phase précédente du néolibéralisme libre-échangiste.

Renoncement au 49-3 et budgets austéritaires comme conséquence

Et comme les liens du syndicalisme et des partis politiques de gauche avec une partie conséquente du peuple se distendent, c’est in fine le débat citoyen qui est en fait affecté.

Nous avons déjà dit dans ReSPUBLICA qu’un Parlement en tripartition (gauche, extrême centre, extrême droite) avec des alliances changeantes à chaque article à deux contre un donne une construction budgétaire incohérente. Voilà pourquoi, bien que nous soyons hostiles à la Constitution de la 5e République, il y avait une certaine cohérence autoritaire avec l’article 49 alinéa 3 dans la Constitution, qui aurait pu permettre à un accord PS-extrême centre de respecter la Constitution tout en étant minoritaire dans le pays.

Or, le Premier ministre Lecornu dit non à l’article 49 alinéa 3, mais aussi non aux ordonnances de l’article 47. Donc, soit il ne respectera pas sa parole, ce qui est tout à fait possible pour un néolibéral opportuniste, soit cela va se terminer, si les budgets ne sont pas votés dans les 70 jours octroyés à cet effet par la Constitution, par une loi spéciale avec les budgets 2025 de François Bayrou, hyper-austéritaires, reconduits en 2026. Cette dernière possibilité est tout à fait envisageable au regard du grand nombre d’amendements non encore débattus dans les deux budgets.

Recours à l’article 45 contre l’avis majoritaire du peuple

L’autre possibilité est un accord Macron-Lecornu-Larcher (président du Sénat) qui est en cours de préparation dans les ministères pour alimenter la future commission mixte paritaire (CMP) de 7 sénateurs et de 7 députés. Car on peut passer par là.

S’il y a désaccord entre les votes de l’Assemblée nationale et du Sénat, une CMP régit par l’article 45 de la Constitution peut tenter de proposer un texte de « consensus ». Le dernier mot revient à l’Assemblée nationale lorsqu’une majorité est possible. Pour cela, le vote bloqué de l’article 44 peut accélérer les votes des amendements. Puis, le Sénat, présidé par ce grand connaisseur des pratiques parlementaires qu’est le président Larcher et à majorité LR, va sans doute annuler la plupart des avancées des amendements sociaux obtenus dans les deux budgets à l’Assemblée nationale. Alors, la CMP va pouvoir réécrire deux nouveaux budgets sous l’autorité du triumvirat Macron-Lecornu-Larcher. Mais pour qu’ils soient votés, cela demande une non-censure et l’abstention de la gauche non-LFI, ce qui est peu probable.  

Ces deux budgets auront deux caractéristiques : ils seront hyper-austéritaires, car l’extrême centre sera majoritaire dans la CMP (ils ne laisseront que des articles qui seront déclarés ensuite anticonstitutionnels), et ils seront approuvés par une minorité du peuple. Ils ont bien fait voter le traité de Lisbonne en 2008 par une alliance entre la droite et le PS, alors que le peuple avait voté majoritairement non en 2005 ! Bis repetita !

Renoncement à la taxe Zucman

Remarquons en plus que l’Assemblée nationale n’a pas voté la taxe Zucman qui ciblait précisément les 1 800 foyers fiscaux les plus riches et que, pour la remplacer, le PS a fait augmenter le montant d’un impôt non ciblé : la CSG sur le capital qui touche les riches, mais aussi la classe populaire via l’assurance-vie.

Pour le fun, rappelons que l’extrême centre a réussi à faire voter la suppression d’un impôt de production (la C3S) qui rapportait 5,4 milliards d’euros à l’État par le député macroniste Charles Sitzenstuhl, porteur de l’amendement, « à l’insu de son plein gré ». Le président de la Commission des affaires sociales a demandé un nouveau vote, comme le permet le règlement de l’Assemblée.

Notre réponse aux mensonges des néolibéraux largement colportés par les médias dominants

Le cliché des dépenses publiques trop importantes

Si la part française des dépenses publiques est un peu plus élevée que celle d’autres pays de l’OCDE, c’est parce qu’on y mutualise des coûts que d’autres laissent au privé. La France ne dépense pas plus que ses voisins pour la santé ou les retraites – elle le fait juste via l’impôt ou la cotisation sociale plutôt que par des primes privées.

La retraite par répartition

Une retraite par répartition garantit une sécurité inégalée (pas de faillites des pensions de type Enron ni de sélection par le risque par l’assureur) et une efficacité économique accrue (pas de profits ni de frais marketing à payer). Chaque euro cotisé sert réellement à la protection sociale plutôt qu’à enrichir des assureurs privés.

La dette publique est principalement due à un manque de recettes

Et cela continue. Prenons le cas du Ségur de la santé (13 milliards d’euros) qui a été financé par de la dette, car il n’a pas été financé. Et, au fil des années, les exonérations de cotisations sociales (5,5 milliards d’euros en 2024) et les exemptions de cotisations sociales (14,6 milliards d’euros en 2024) n’ont pas plus été financées.

Les réductions d’impôts des plus riches et des grandes entreprises ont été financées par de la dette et non par des recettes nouvelles. Un surcroit de prestations peut uniquement être financé soit par une augmentation d’impôts ou de cotisations sociales, soit par la dette. À noter que le projet de la suppression des cotisations sociales du grand patronat permet à ce dernier de s’éloigner d’une autogestion des travailleurs, comme ce fut le cas de la Libération jusqu’aux ordonnances du général de Gaulle de 1967 !

Et pendant ce temps-là, la situation française se dégrade

Moins de créations d’entreprises 

La Direction générale des entreprises (DGE) tient à jour les ouvertures, fermetures et extensions de sites industriels en France. Au premier semestre, le pays a vu presque deux fois plus de fermetures d’usines (82) que d’ouvertures (44), contrairement à l’année précédente (61 ouvertures contre 60 fermetures). Si l’on prend en compte les extensions et les réductions significatives de sites, le bilan redevient à peine positif. La DGE recense en effet 86 extensions de sites, contre 39 réductions. Le solde net est donc de 9 à l’avantage des ouvertures et extensions de sites, mais il était de 48 au semestre précédent.

Stagnation de la productivité 

Une étude de Eric Heyer et Xavier Timbeau de l’OFCE(1)PartI-Perspectives 2025-2026 pour l’économie française.fm. montre une relative stagnation de la productivité, un faible rendement du capital productif (de 5 % avant impôt, soit deux fois moins élevé qu’en Allemagne) et une « baisse continue du taux de profit ». Cela est largement dû à la structure de l’économie française, au poids excessif des services au détriment du haut de gamme industriel et à la faiblesse des investissements industriels et de la recherche-développement, ainsi qu’au transfert d’actifs dans d’autres pays, notamment de l’Union européenne à l’instar des Pays-Bas, pour des raisons d’optimisation fiscale.

Des budgets qui tournent le dos à la lutte contre la concentration de la richesse 

Les budgets présentés par le gouvernement après l’accord PS-Lecornu sont profondément injustes, car ils ne remettent pas en cause l’hyperconcentration des patrimoines, l’inadaptation de la fiscalité, les exonérations (80 milliards d’euros) et exemptions (15 milliards d’euros) de cotisations, ni les 88 milliards de niches fiscales, ni les 270 milliards d’aides de l’État aux entreprises sans contreparties. Rien contre le CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi) transformé en exonérations de cotisations, contre le crédit impôt recherche, contre le crédit pour emploi de maison (plus de 7 milliards d’euros), ni contre le pacte Dutreil, qui coûte 5,3 milliards d’euros pour permettre la transmission des entreprises familiales ; les deux tiers de cette somme sont concentrés sur seulement 1 % des donataires et héritiers (soit 110 personnes en 2024 !).

Lutte contre l’évasion fiscale et mesures pour plus d’équité fiscale oubliées 

Ils ne permettent pas non plus de lutter contre les stratégies d’optimisation fiscale des multinationales via des paradis fiscaux. Et ne modifient pas la fiscalité appliquée aux entreprises, alors que l’Insee vient de montrer que le taux d’imposition implicite est supérieur pour les petites et moyennes entreprises (21,4 %), comparativement aux grandes (14,3 %).

Services publics oubliés 

Enfin, ces budgets ne modifient pas la trajectoire de la France pour lui permettre de préparer un avenir émancipateur face aux deux superpuissances. Recul dans la sphère de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale), recul sur la formation, sur l’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation.

Contre la brutalisation des rapports sociaux, il faut sortir du capitalisme

La brutalisation des rapports sociaux est due à une difficulté d’analyse du réel qui évolue vite (développement scientifique et technologique, tendance au séparatisme social des élites oligarchiques, riposte des élites oligarchiques à la baisse tendancielle du taux de profit, difficulté de corréler les progrès avec la raison citoyenne et militante, décorrélation de la défense du progrès et de l’opposition à la séduction du progrès, etc.). La démocratie ne peut pas être imposée par le haut, surtout quand le haut développe une tendance au séparatisme social.

Le propre du capitalisme est d’avoir développé la liberté politique formelle, mais d’empêcher le peuple d’avoir les moyens de l’exercer. Voilà ce qui explique l’effondrement des libertés démocratiques. Survient alors une déviance populaire autour d’un fétiche : le gourou autoritaire.

Dans ce moment difficile que nous vivons, le RN pratique vers les plus pauvres une séduction hypnotique tout en défendant les valeurs les plus conservatrices possibles.

Voilà pourquoi tous ceux qui veulent une gauche de gauche doivent promouvoir des lieux ouverts de débat démocratique pour discuter des conditions d’un élan émancipateur qui transforme et améliore de façon concomitante l’être humain, le vivant et la société.

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