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La nécessaire réindustrialisation de la France, absente de la campagne présidentielle

Alors que l’on parle de plus en plus de « révolution citoyenne », on peut se demander si l’urgence n’est pas d’en définir les conditions exhaustives sans lesquelles ce mot d’ordre ne serait qu’incantation. Respublica a donc décidé de dialoguer avec ses lecteurs sur l’ensemble de ces conditions. La réindustrialisation de la France en est un indispensable parmi d’autres.

En effet, la réindustrialisation de la France avec transition énergétique et écologique (TEE) et maintien à haut niveau du « développement humain durable » est un passage obligé de toute politique alternative au mouvement réformateur néolibéral. Mais les discours de la campagne électorale font tout pour esquiver cette question. Seule la Confédération CGT en fait une urgence (ce que nous développerons en fin d’article).

Histoire succincte d’une désindustrialisation de la France à marche forcée

Fin des années 60-début des années 70, les taux de profit dans l’économie réelle et dans l’industrie diminuent. L’oligarchie capitaliste française choisit la voie de la désindustrialisation, d’un renforcement des services et de se jeter corps et âme dans la spéculation financière internationale. La charnière Pompidou-Giscard d’Estaing en est l’expression politique initiale. La transformation du groupe sidérurgique de Wendel en société financière internationale en est le symbole.

Tous les présidents de la République qui suivent, de François Mitterrand à François Hollande, poursuivent comme un seul homme la même politique de désindustrialisation forcenée. Aujourd’hui l’emploi industriel français représente 18 % des emplois pour 30 % en Allemagne, la part de l’industrie dans le PIB est tombée à 10 % et la part de l’industrie achetée hors de France est de plus 60 %.

Même la majorité de la gauche de la gauche de gouvernement et même une partie des gauchistes s’est laissée convaincre par le mouvement réformateur néolibéral, en développant les idées mortifères de la fin du travail, des robots qu’il faudrait taxer pour éviter le développement scientifique et économique, que toute action dans la production est vaine et qu’il faut remplacer tout cela par le revenu universel, etc. Ce sont les mêmes qui proposent de se tirer une balle dans le pied pour courir plus vite en développant des pensées et des pratiques communautaristes qui divisent les couches populaires et le peuple tout entier. L’oligarchie capitaliste française exulte de joie face à de tels soutiens indirects !

Ceux qui ne sont pas encore touchés par l’amnésie historique de la période 81-82 peuvent se rappeler l’épisode grotesque de cette période, à savoir les magnétoscopes et téléviseurs nouvelle génération importés stockés plusieurs mois à Poitiers pour retarder le déficit de la balance commerciale.

Que s’est-il passé ? Des mesures de gauche keynésienne sont appliquées par application de la dynamique du Programme commun. La relance keynésienne française crée de l’emploi… mais à l’étranger, car l’oligarchie française a détruit les filières industrielles qui auraient pu fabriquer en France les produits désirés par le peuple.  Suit une succession de dévaluations qui n’arrive pas à relancer la machine France. Cela devient un jeu d’enfant pour le néolibéral Delors de convaincre Mitterrand et Mauroy d’engager le tournant libéral de 1983, qui est le point de départ en France de la politique du mouvement réformateur néolibéral au plus haut niveau de l’État.

Aujourd’hui avec la monnaie unique, une dévaluation de la monnaie n’étant plus possible, l’oligarchie capitaliste, ne peut résoudre ce dilemme que par la « dévaluation interne », c’est-à-dire la casse des salaires, directs et socialisés, c’est-à-dire l’intensification des politiques d’austérité.

Déjà, en 2006, l’intensité de la dépense intérieure en recherche-développement (DIRD en pourcentage du PIB) pour la France était de 2,16  %, contre 2,68 pour les États-Unis, 3,13 pour le Japon, 2,49 pour l’Allemagne, 2,85 %pour la Corée, 2,56 pour Taïwan, 3,95 pour la Suède, et même inférieur à la moyenne de l’OCDE 2,26 !

Le mandat du solférinien Hollande se termine avec un déficit de la balance commerciale 2016 de 48,1 milliards contre 45,7 milliards en 2015 et on prévoit même un déficit de la balance commerciale 2017 de 48,9 milliards, sans doute sous-estimée. Les exportations françaises reculent de 0,6  % en un an. Pire, l’excédent des services diminue rapidement et n’est plus que de 0,4 milliards d’euros contre 8,8 un an plus tôt. Les services devaient se substituer à l’industrie, ils l’accompagnent dans sa chute.

Tout cela montre que la compétitivité de l’économie française diminue malgré les dizaines de milliards de cadeaux solfériniens au patronat via le CICE et le pacte dit de responsabilité. Pas étonnant quand on sait maintenant, et c’était prévisible, que la grande majorité de cet argent s’est retrouvée dans les dividendes pour les actionnaires ! En fait, le mouvement réformateur néolibéral, qu’il soit aidé par la droite néolibérale ou par les solfériniens tout aussi néolibéraux, a plombé la France par une insuffisance de compétitivité-coût vis-à-vis de son flanc sud et par une insuffisance de compétitivité hors coût vis-à-vis de son flanc est (l’Allemagne). Et c’est bien là que le bât blesse : la désindustrialisation de la France l’a empêchée de faire sa montée en gamme. Pire encore, la politique française autour de « grands groupes » n’a pas axé sa politique sur les filières industrielles ou sur des écosystèmes productifs. Il était plus facile de les financiariser par le haut avec la connivence de la direction politique française.

LA CGT sauve l’honneur du mouvement social et politique !

Pour sortir du projet du gouvernement (« La Nouvelle France industrielle », qui n’est qu’une communication d’affichage médiatique sans suite), la confédération CGT sort le grand jeu.

Après la publication d’un livret intitulé « L’urgence d’une reconquête industrielle », la Confédération CGT a organisé le 22 février 2017 les Assises nationales de l’industrie à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris. Ont été étudiées entre autres, la filière hydrogène, la filière bois, les nanotechnologies, et bien d’autres filières. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, développer des filières industrielles tirées par une recherche-développement haut de gamme, à hauteur de 4 % du PIB selon nous, si nous voulons une vraie alternative politique, scientifique et technique. Car pour le XXIe siècle, le développement des filières industrielles ne peut pas se déployer lorsque l’oligarchie capitaliste demande des rendements financiers à très court terme. Nous devons programmer des financements sur plusieurs dizaines d’années. Comme pour Arianespace ou Airbus. Donc, il faut une planification démocratique conséquente orchestrée par la puissance publique.

La veille, une journée de luttes avait lancé  le « Printemps de l’industrie » avec le slogan que nous faisons nôtre « Pas d’industries sans services publics, pas de services publics sans industrie ». Nous le proposons même comme titre des conférences prochaines que vous allez organiser, chers lecteurs de Respublica ! (1)Peu d’intervenants en éducation populaire expliquent qu’une des causes du chômage est l’acceptation de la désindustrialisation. C’est pourquoi le Réseau Education Populaire (REP, près de 400 interventions par an) a construit une conférence sur ce sujet. Hélas, les organisateurs de réunions publiques et d’initiatives d’éducation populaire sont peu nombreux à faire appel aux intervenants pour cette conférence. Et pourtant, nous pouvons montrer que l’emploi industriel induit plus d’emplois y compris dans les autres secteurs de l’économie que n’importe quel autre type d’emploi. Malheureusement, les structures de la CGT, contrairement à la Confédération, n’en ont pas fait la priorité du moment. Nous sommes là devant un autre problème sur lequel il faudra bien revenir.

Que faire ?

La priorité est de savoir hiérarchiser les questions, d’abord la principale, ensuite les secondaires, qui devront être également traitées. Par exemple, on ne doit pas faire croire qu’il suffit d’un protectionnisme solidaire (ou mieux un protectionnisme écologique et social), d’une planification démocratique et d’un pôle public financier pour résoudre la nécessaire relocalisation industrielle en France. Tout cela doit accompagner le vecteur principal et non faire comme si c’était premier dans la perspective. D’abord mener la bataille culturelle sur le fait que pour produire en France aujourd’hui, il faut réindustrialiser le pays via une politique cohérente de filières et d’écosystèmes productifs et non de « grands groupes français » sans filiérisation. Mais il faut réindustrialiser avec transition énergétique et écologique. Et pour faire cette réindustrialisation-là, il faut rompre avec les traités européens, la zone euro et l’UE. Pour rompre avec le carcan européen, il faut se saisir de la prochaine crise paroxystique qui se profile à l’horizon et ne pas compter sur le seul volontarisme du plan A/B ou du plan B, sous peine d’être à la peine. Mais tout ce processus ne peut pas advenir sans la réinstallation d’un processus République sociale (qui inclut à ce stade du raisonnement les éventuelles mesures protectionnistes, le problème du financement, la planification démocratique, etc.) avec une pratique et des alliances internationalistes qui puisse mener l’offensive malgré les attaques qui ne manqueront pas de se développer en interne et en externe.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Peu d’intervenants en éducation populaire expliquent qu’une des causes du chômage est l’acceptation de la désindustrialisation. C’est pourquoi le Réseau Education Populaire (REP, près de 400 interventions par an) a construit une conférence sur ce sujet. Hélas, les organisateurs de réunions publiques et d’initiatives d’éducation populaire sont peu nombreux à faire appel aux intervenants pour cette conférence. Et pourtant, nous pouvons montrer que l’emploi industriel induit plus d’emplois y compris dans les autres secteurs de l’économie que n’importe quel autre type d’emploi.
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