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Les hyènes du microcrédit

Les hyènes du microcrédit. Logique de la clochardisation 3.
11 juin 2013, par Bernard Nadoulek. Secrétariat de rédaction Elisabeth Massa

Tous les pays européens connaissent le charme discret du fonctionnement des officines de crédit qui poussent au surendettement des ménages. En 2008, avec la crise des subprimes, nous pouvions penser qu’aux Etats-Unis, les conséquences malfaisantes du crédit avaient été portées à leur comble. Et bien non ! Dans le monde entier, des ONG censées aider les populations les plus pauvres ont fait pire que les banques, grâce au microcrédit*.

Commençons par le conte de fées qui nous promettait la fin de la pauvreté. Le microcrédit a été créé dans les années 1970 pour aider les populations des pays en voie de développement qui n’ont pas accès au système bancaire. Il s’agit de prêter dse petites sommes pour créer des activités économiques à un niveau local, une méthode de développement “par le bas”. Le concept a été développé au Bangladesh par Muhammad Yunus, un professeur d’économie, qui crée la Grameen Bank en 1976 et déclare que le crédit est un “droit”. Le microcrédit est porté par des ONG qui ne sont pas censées faire de bénéfice et qui sont censées proposer des taux de remboursement assez bas. Trente ans plus tard, en 2005, le système atteint son apogée avec un bilan qualifié de positif par la Banque Mondiale. Le nombre de bénéficiaires est estimé à 190 millions dans le monde, dont 83 % dans les pays en voie de développement. Plus de 10 000 officines opèrent dans le monde et la microfinance a étendu ses activité aux assurances, à la téléphonie mobile et à la vente de produits alimentaires. Le microcrédit fait même école en Occident, pour aider les populations les plus pauvres. Les Nations Unies décrètent que 2005 sera “l’année du microcrédit” et Kofi Annan déclare qu’il est “une arme efficace contre la faim”. En 2006, Muhammad Yunus se voit attribuer le prix Nobel de la Paix.

Mais, à rebours du miracle annoncé, entre 2006 et 2010, des centaines de femmes se suicident en Inde, victimes des contraintes économiques et sociales du microcrédit. En 2011, Muhammad Yunus est démis de ses fonctions à la Grameen Bank par la Cour Suprême du Bangladesh, suite à des révélations de détournement de fonds… Que se passe-t-il vraiment autour du microcrédit ?

Si le scandale n’a éclaté que tardivement, c’est que pendant plus de 20 ans les principales sources d’information étaient des études élogieuses, et fausses, financées par les officines de microcrédit elles-mêmes ! Des études indépendantes* permettent aujourd’hui de nous faire une idée plus complète du phénomène.

Première caractéristique, à un niveau mondial, 74 % des bénéficiaires du microcrédit sont des femmes, 97 % au Bangladesh. Pourquoi des femmes ? Nous allons le voir, parce qu’il est plus facile de faire pression sur des femmes pauvres, peu ou pas éduquées, pour obtenir des remboursements par intimidation. Deuxième aspect, le prêt s’appuie sur la formation de groupes (familles élargies) solidairement responsable des remboursements. A l’intimidation des officines de crédit s’ajoute la pression sociale du groupe sur l’emprunteuse qui, à son corps défendant, devient dépositaire de “l’honneur des familles”. Il ne faut pas croire que ces femmes soient bénéficiaires du crédit, dans la plupart des cas l’argent est confié à leur mari, à leur fils ou à un homme de la famille. Ainsi, la vulnérabilité de ces femmes est instrumentalisée par les officines de microcrédit, d’où les vagues de suicides de ces femmes persécutées par les agents de remboursement et rejetées par leurs propres familles.

Autre aspect : les taux de remboursement. Selon Yunus, les ONG de microcrédit, n’étant pas censées faire de bénéfice, elles devaient pratiquer des taux assez bas (de 10 à 15 %) pour permettre aux emprunteurs de sortir de la pauvreté et mettre hors jeux les tarifs prohibitifs des usuriers. Or, selon une enquête du New York Times*, la moyenne mondiale des taux d’intérêt du microcrédit est évaluée à 37 %, mais certaines officines pratiquent des taux supérieurs à 100 % (particulièrement au Nigéria et au Mexique). Ainsi, plutôt que de libérer les pauvres des usuriers qui prêtent à plus de 100 %, le microcrédit fait jeu égal avec eux. Plus encore, le microcrédit offre aux usuriers un nouveau marché : celui des prêts aux femmes qui ne peuvent rembourser leur microcrédit ! Ainsi se crée une spirale de l’endettement : les pauvres empruntent parfois plusieurs microcrédits, l’un pour rembourser l’autre, et en dernier recours, ils s’adressent aux usuriers qui finissent de les étrangler. Autre méthode scandaleuse, les officines de microcrédit retiennent parfois une part des prêts accordés (“pour permettre aux pauvres d’épargner”) mais exigent des intérêts sur le montant total des prêts…

Dernier point abordé dans ce court article : les remboursements. Le microcrédit étant censé permettre de créer une activité économique, il serait logique de penser que les emprunteurs puissent disposer d’un peu de temps pour développer leur activité avant de commencer les remboursements. Et bien non, les échéances débutent immédiatement après l’emprunt (selon Yunus, “pour responsabiliser les emprunteuses”) et s’échelonnent sur des périodes très courtes, un an au maximum. En 2007, au Bangladesh, après le cyclone Sidr, les emprunteurs victimes de la catastrophe étaient harcelés pour leur remboursement alors même que l’Etat demandait pour eux un moratoire de 6 mois ! Pour assurer ces remboursements, les agents du microcrédit n’hésitent pas à recourir à toutes les formes de violence, d’autant plus faciles à manier qu’elles s’exercent sur des femmes pauvres : dès qu’elles se trouvent en butte aux persécutions, elles ne sont plus protégées par leur entourage qui, par crainte de s’exposer, prend le parti des persécuteurs. Les témoignages recueillis dans les enquêtes menées font état d’insultes, de harcèlement, d’humiliations, de séquestration, de vols de tous leurs biens et de destruction de leur maison. Pour les recouvreurs de créances, toutes ces violences sont justifiées par la pression à la rentabilité qu’ils subissent de leurs employeurs, ceux-ci allant jusqu’à retenir sur les salaires les créances impayées.

En recevant son Prix Nobel, Yunus invitait les grandes entreprises à considérer les populations pauvres comme un immense marché à conquérir ! Le principal résultat du microcrédit est aujourd’hui d’avoir fait entrer plus de 200 millions de pauvres dans l’univers de la consommation à crédit et de l’endettement auprès des banques ! Pour les grandes entreprises et les marchés financiers, la pauvreté est devenue un facteur de richesse. Encore une fois, une initiative prise au bénéfice des plus pauvres, est détournée au profit des plus riches…

 

* Pour les lecteurs désireux d’approfondir les questions soulevées par ce court article, voici 3 articles de référence qui renvoient à de nombreuses autres sources.
1. “Microcrédits mais maxiprofits”, The New York Times, par Neil MacFarquhar, 22 avril 2010, repris par Courrier International : http://www.courrierinternational.co…
2. “Les promesses non tenues du microcrédit : nouvelles preuves à charge”, 5 novembre 2011, par Stéphanie Jacquemont : http://cadtm.org/Les-promesses-non-…
3. “Microfinance : Mythes et réalité”, par Danielle Sabai, 11 janvier 2012, http://daniellesabai.wordpress.com/…
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