Site icon ReSPUBLICA

Actualité sur la police : entretien avec Jean-Louis Arajol

Par inconnu — Syndicat Général de la Police - Force Ouvrière (Facebook), marque déposée, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?curid=15727518

Interview par ReSPUBLICA de Jean-Louis Arajol au sujet de son livre Insécurité : État d’urgence. Manifeste pour une police républicaine avec un avant-propos de Benoît Teste, ancien secrétaire général de la FSU, et une préface de Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes (361 pages chez Héraclès Editions, 25 euros).

Pourquoi as-tu écrit ce livre aujourd’hui ?

L’historien et professeur de droit public Michel Berges fait référence à ce qui est l’un des principaux éléments fondateurs de la police républicaine. Lors des manifestations du 1er mai 1919, lors d’un maintien de l’ordre particulièrement violent des brutalités observées firent deux morts parmi les manifestants. Paul Rigail, gardien de la Paix, à la tête d’une organisation associative de policiers, fait voter un ordre du jour de réprobation afin de dénoncer ces dérives. Le 3 mai suivant, la même association de policiers adopte une motion dénonçant les bavures, menaçant d’exclusion de ses rangs tout coupable de violence, et exigeant, je cite, « une application stricte et mesurée du métier de gardien de la paix publique ».

Cinq ans après les faits que je viens d’évoquer, Paul Rigail crée en 1924, sur la base de ses valeurs fondatrices, le Syndicat Général de la Police.

J’ai donc voulu écrire mon quatrième livre à l’occasion du centenaire de cette organisation, porte-étendard historique de la police républicaine, dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des Secrétaires généraux.

Aujourd’hui le sigle « SGP » a malheureusement été gommé du paysage syndical policier. Le Collectif Police République et Citoyenneté, créé en 2018, est aujourd’hui structuré au niveau national. Son but n’est pas de se muer en un nouveau syndicat, mais plutôt de pérenniser l’esprit SGP, de faire vivre et entendre la police républicaine. C’est ce que nous avons fait lors des manifestations des Gilets Jaunes, ainsi qu’à l’occasion de celles contre la réforme des retraites, en demandant la mise en place d’une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre. C’est ce que nous avons fait lorsque nous avons demandé la dissolution des milices fascistes et racistes. C’est encore ce que nous avons fait lorsque, lors des dernières élections de juin 2024, nous avons appelé à faire barrage à l’extrême droite.

Ces prises de position s’inscrivent dans l’histoire de la police républicaine. Et c’est cette très belle histoire que je raconte dans mon prochain ouvrage. C’est cette très belle histoire qu’il faut continuer à écrire.

La police a été très maltraitée par les pouvoirs de droite à l’identique de la société dans les années 62, 68, 78, 80, l’ordre et le bâton passant avant les libertés publiques. Est-on revenu à cette époque ?

L’ensemble des politiques publiques qui se sont succédé depuis des années ont privilégié le modèle politique « illibéral » et une technique d’emploi des forces de sécurité publiques prioritairement axée sur la défense de ce modèle, générateur de fracture sociale. Dans mon premier livre, j’évoquais les deux dérives qui font obstacle à l’essence d’une police républicaine : la dérive ultra répressive et la dérive « angélique » que j’appelais celle des « flics nounous ». Aujourd’hui, depuis le début des années 2000, c’est la dérive « répressive » qui est de mode. Une dérive qui est non seulement inefficace pour assurer l’ordre public, mais une dérive toujours condamnée par tous les Secrétaires généraux du SGP qui se sont succédé, car non seulement elle ne règle en rien l’insécurité sociale, non seulement elle expose les policiers à des critiques parfois subjectives, mais elle accroît toujours plus le fossé entre la police et le peuple dont elle est issue.

Une police républicaine est instituée pour la défense de l’intérêt général et non l’utilité particulière d’un système antisocial, inégalitaire, ou d’un ordre particulier.

Que penses-tu de l’utilisation de la police et de la gendarmerie pour les missions de maintien de l’ordre depuis l’épisode des Gilets jaunes ?

Dans la droite ligne de ce qu’ont fait Rigail, ou Jean Chaunac, Secrétaire général du SGP au moment de la terrible répression au métro Charonne lors de la manifestation du 8 février 1962 à l’encontre de personnes manifestant contre « l’Organisation Armée Secrète » (OAS) et la guerre d’Algérie, faisant neuf morts, ou encore Gérard Monate, Secrétaire général du SGP au moment de mai 68 en appelant en corrélation avec le préfet Grimaud à une désescalade, ou enfin Bernard Deleplace, lui aussi Secrétaire général, au moment de la mort de Malik Oussekine en 1986, il faut changer de doctrine en matière de maintien de l’ordre.

Cette nouvelle doctrine doit privilégier, comme chez la plupart de nos partenaires européens, le renseignement, la négociation et la désescalade. À ce titre, il faut renforcer les capacités et les moyens des services de renseignements. Il s’agit de se donner les moyens d’imposer l’usage d’une force publique légitime, respectueuse du droit à manifester, du code de déontologie et des normes internationales en matière de maintien de l’ordre.

Le syndicalisme policier républicain et démocratique existe-t-il encore aujourd’hui ?

Aujourd’hui, force est de constater que le syndicalisme policier, à l’exception d’organisations pour l’heure minoritaires, privilégie exclusivement l’aspect corporatiste du mandat syndical.

Je sais que des militants policiers républicains existent. Mais ils sont insuffisamment formés « politiquement ». La véritable histoire de la police républicaine, celle qui a fait la grandeur du métier de policier et de notre institution, bon nombre ne la connaissent pas ou n’en connaissent qu’une infime partie, lorsque cette dernière ne leur a pas été parfois et honteusement travestie…

Le syndicalisme policier républicain avance sur deux jambes : la première jambe, c’est la défense dans la pratique des valeurs de la République et du Service Public de Sécurité. La seconde, c’est la défense des revendications de ses mandants.

Aujourd’hui, force est de constater que le syndicalisme policier, à l’exception d’organisations pour l’heure minoritaires, privilégie exclusivement l’aspect corporatiste du mandat syndical.

Par ailleurs, le SGP a toujours privilégié le syndicalisme de terrain, il était structuré dans tous les services et toutes les brigades. Nos délégués, véritables « messagers » de la police républicaine, étaient élus par leurs collègues, à l’urne et au sein des services. Ils étaient ensuite formés, réunis tous les mois par département ou à l’échelle de la région. Et une charte d’engagement, votée lors du congrès de Villejuif en 1995, excluait tout privilège d’avancée « précipitée » de carrière ou de mutation pour ses représentants.

Ce maillage de combattants constituait ce qui faisait la force du syndicalisme policier républicain, le succès de nos grandes manifestations qui rassemblaient toujours des milliers de policiers, mais aussi des citoyens venus les soutenir.

Car la ligne du SGP, c’était aussi cette mission de rapprocher au mieux la police de la jeunesse, la police de la population.

Enfin, nous étions, pour la plus grande fierté des policiers et de leurs familles, ce que des journalistes ou autres observateurs dénommaient « une garantie citoyenne ». Nous ne cautionnions pas les violences policières illégitimes ou les actes ultras minoritaires qui portaient atteinte à la noblesse et à l’image de notre métier. Mais lorsque nous prenions la défense d’un collègue, nous étions d’autant plus écoutés et surtout « entendus », et ce, bien évidemment, dans l’intérêt du collègue incriminé. Enfin, notre ouverture vers l’extérieur de la profession et les citoyens, élus, représentants associatifs, journalistes républicains qui nous soutenaient, faisaient du SGP une force incontournable et redoutée qui fut à l’origine des plus grandes avancées sociales au sein de la profession.

Le policier citoyen a tout intérêt, comme nous le disions alors, à « sortir de son véhicule de patrouille » et à s’ouvrir à la société.

Les polices municipales ont été mises en place dans les villes de droite, au tout début à Nice avec son maire, Jacques Médecin. Il en était le précurseur, puis la gauche a entériné. Y a-t-il la place pour trois polices : municipales, nationale, gendarmerie ?

Lorsqu’un maire est confronté à un problème d’insécurité, que fait-il ? Il met en place une police municipale. Compte tenu de la déficience du service public, il y a de plus en plus de polices municipales. Le citoyen paie ainsi plusieurs fois pour assurer sa sécurité. Une première fois par l’impôt sur le revenu dont il s’acquitte. Une seconde fois à l’échelle communale, départementale ou régionale. Une troisième fois, pour celles et ceux qui le peuvent et en ont les moyens, par les sociétés de sécurité privée.

Ce morcellement de la lutte contre l’insécurité, inégalitaire, énormément coûteux, est identique à celui du modèle « illibéral » que nous copions, celui des États-Unis. C’est ce modèle qui a conduit là-bas à l’autodéfense, à la floraison de milices privées racistes et fascistes, à la libre circulation massive et anarchique de l’armement.

C’est ce système qui fait de la lutte contre l’insécurité aux États-Unis un fiasco total !

Bientôt, en France, il ne restera au service public de sécurité que les yeux pour pleurer. Le rôle de la police en sera réduit aux missions ingrates. Les dernières lois votées s’inscrivent dans ce « continuum » de la lutte contre l’insécurité, qui ne signifie en fait que la chose suivante : la fin programmée du service public.

Quitter la version mobile