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Iran, « Femmes, Vie, Liberté » vs Raïssi

Cette recension de la bande dessinée réalisée sous la direction de Marjane Satrapi est opportune, alors que les feux de l’actualité se sont portés, récemment, sur la mort de Ebrahim Raïssi, le président iranien surnommé à juste titre « Le boucher de Téhéran ». L’on se souviendra de ses nombreuses victimes, dont Sima Moradbeigi et Mersedeh Shahinkar, toutes deux mutilées (perte d’un œil et coude pulvérisé par des tirs des « forces de l’ordre ») par la police, qui ont abouti à la mort de Mahsa Amini, la jeune Iranienne décédée en garde à vue pour avoir mal porté son hijab. L’on se souviendra également des milliers d’exécutions de prisonniers politiques en 1988. Ce sont autant de faits, sans être exhaustif, qui justifient d’accuser « le boucher de Téhéran » de crimes contre l’humanité.

 

La mort du président iranien a provoqué des manifestations de joie illustrée par cette belle proclamation « La flamme de Mahsa Amini brille plus que jamais ».

Cet ouvrage collectif(1)Les auteurs sont Farid Vahid, politologue iranien ; Jean-Pierre Perrin, spécialiste du monde arabe et de l’Asie centrale ; Abbas Milani, historien et auteur irano-américain ; Alba Beccaria ; éditrice à L’Iconoclaste ; Shabnam Adibam, militante du mouvement « Femme, Vie, Libre » ; Bahareh Akrami, auteure du roman graphique « On aurait aimé savoir »  ; Bee, dessinateur et plasticien français ; Patricia Bolaños, illustratrice espagnole ; Catel Muller, auteure strasbourgeoise de nombreux albums ; Coco, dessinatrice de presse à Libération et Charlie Hebdo ; Deloupy, étudiant aux Beaux-Arts d’Angoulême ; Hippolyte, auteur de BD ; Mana Neyestani, dessinateur politique au sein du journal iranien Zan au début de sa carrière ; Touka Neyestani, dessinateur politique iranien ; Pascal Rabaté, auteur de BD, un temps chez Futuropolis ; Rahi Rezvani, photographe iranien ; Paco Roca, auteur espagnol de BD ; Joann Sfar, créateur et dessinateur d’histoires ; Lewis Trondheim, auteur de plus de cent livres ; Nicolas Wild, auteur de Kaboul Disco ; Winshluss, auteur de la BD Pinocchio., très instructif sur l’histoire de l’Iran et la situation actuelle, suscitée par la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022(2)Mahsa Amini est morte sous les coups de la police des mœurs parce qu’elle n’avait pas « bien » porté son voile., se décline en trois grandes parties :

Les événements et les droits fondamentaux pour tous

Cette partie expose les événements qui ont conduit à la mort de Mahsa Amini. Le 13 septembre 2022 à Téhéran, en fin d’après-midi, alors qu’elle était en route pour rendre visite à des membres de sa famille, la police des mœurs l’a conduit au poste de police pour un voile mal porté. Elle est frappée à la tête. Une explication est donnée sur le rôle de cette police spéciale et ses critères : elle « s’occupe de savoir si tes vêtements ou ton comportement sont en accord avec les préceptes imposés par le régime islamiste… », elle « vise avant tout les femmes : des mèches qui dépassent d’un voile, interdit ; des chaussures trop ouvertes, interdit ; des couples non mariés qui se tiennent par la main, interdit… » (liste non exhaustive).

La narration officielle des causes de sa mort est remise en question par la famille et les réseaux sociaux s’en font l’écho. Le formidable mouvement de protestation monte en puissance dans tout le pays. Le mot d’ordre et de ralliement est « Mort au dictateur ». Les manifestants ne combattent pas seulement le port obligatoire du voile, mais mettent en avant « la question des droits fondamentaux pour tous ».

Le feu pour brûler les voiles est un élément de la culture iranienne et persane, où il est « utilisé pour exprimer les sentiments vrais et profonds. Non seulement la lumière de feu brille dans les ténèbres, mais devient un symbole de la lumière contre l’ignorance ». Pour nous Français, héritiers du siècle des Lumières, comment ne pas y voir une valeur universelle qui a fait dire à Kant que les Lumières sont une étape de l’humanité pour sortir de son état de minorité et accéder à sa majorité, autrement dit à son émancipation ?

De ce vaste mouvement naît un slogan : « Femme, Vie, Liberté » et de son hymne composé par un jeune chanteur iranien, Shervin Hajipour, à savoir « Barâyeh » (Pour). Cet hymne se décline en « Pour danser dans la rue…, Pour la peur d’un baiser…, Pour démoisir les cerveaux…, Pour la honte d’être pauvre…, Pour une vie simple et ordinaire…, Pour cette économie imposée (dénonçant un système mafieux et corrompu), Pour les sanglots sans répit…, Pour un visage riant…, Pour nos écoliers, pour notre futur…, Pour la Liberté… »

Un parallèle est établi entre la situation où les prisonniers doivent reconnaître qu’ils ont « agi sous l’influence de l’ennemi » et Galilée, poussé à reconnaître que son affirmation comme quoi la Terre tourne autour du soleil résulte d’une divagation due à un état d’ébriété, afin d’éviter le « châtiment [issu] d’une contestation de la loi divine ».

Un peu d’histoire

Sont évoquées les quatre révolutions qui montrent que « le peuple [iranien] est toujours résolument attaché à sa liberté » :

Des institutions islamiques

Une explication de la direction effective de l’Iran islamique est donnée. Cette direction repose sur le droit divin, comme en France sous l’ancien régime d’avant 1789.  « Dieu existe et il a un représentant sur Terre, l’ayatollah al Khamenei, guide suprême de l’Iran. [Il] est le commandant en chef des forces armées et il détient la plus grande autorité légale et extra-légale pour contrôler et gouverner le pays ». Il dirige à partir de la « Maison du guide » qui emploie 1 700 personnes.

Le président, en principe et officiellement, est la deuxième force du pouvoir. En réalité, c’est le « toutou », du guide suprême. Le troisième organe du pouvoir, outil dans les mains du « guide », est le « Corps des gardiens de la révolution islamique » qui inclut les « milices en civil qui attaquent les manifestants. Enfin, le “quatrième centre du pouvoir” est le Conseil suprême de sécurité nationale », qui décide de « la détention à domicile sans procès des rivaux politiques, de l’ouverture de l’espace aérien en période de guerre… »

Un régime de fer… un peuple qui résiste

Cette partie de l’ouvrage décrit, après avoir rendu hommage aux grandes figures de la rébellion dont de nombreuses femmes, « l’art de la révolte » qui consiste en de multiples gestes simples, mais oh combien dangereux : pratiquer le jogging dans la rue sans foulard, se rendre au bureau et ne pas mettre de voile au travail, « vivre seule », « ne pas dépendre d’un homme », se « maquiller », « mettre du vernis à ongles », « porter des vêtements colorés », « flirter », « ne pas vouloir d’enfant » … Ce sont autant d’actes qui nous paraissent anodins, mais qui exigent du courage dans la République islamique. « L’art de la révolte est un art quotidien », ce qui est également le cas dans certains secteurs de notre République, pourtant laïque.

Les auteurs de l’ouvrage s’interrogent sur « l’après ». Le paradoxe de cette révolution islamique est qu’elle a, tout en faisant croire que des filles allant à l’université seraient signe de « débauche », favoriser, sans le vouloir, l’éducation des femmes. Ces dernières, qui avant 1979 étaient à 60 % illettrées, représentent aujourd’hui 60 % des étudiants. La conséquence est qu’« une fois qu’une femme sait lire, elle na va lire juste le Coran ». Une grande partie de la population a pris conscience que « ce régime ne défend pas l’Iran. Son chef est “Guide de la Révolution islamique”, pas “Guide de l’Iran” ». « Les soutiens islamistes et soi-disant anti-impérialistes ont fondu. Il ne reste que les rentiers corrompus du régime ». A l’« Ouest », « on leur a fait croire que s’ils défendaient la liberté, ils étaient islamophobes ».

Un grand espoir est que les mollahs « ont juste réussi à faire naître une passion pour la laïcité. » Cela confirme que le principe d’organisation de la société qu’est la laïcité est un principe universel, en ce sens que son application est valable sous tous les cieux, sous toutes les latitudes et n’a rien à voir avec un principe purement occidental.

« La République islamique est un régime très jeune qui a créé les conditions de son écroulement en une quarantaine d’années ». 

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Les auteurs sont Farid Vahid, politologue iranien ; Jean-Pierre Perrin, spécialiste du monde arabe et de l’Asie centrale ; Abbas Milani, historien et auteur irano-américain ; Alba Beccaria ; éditrice à L’Iconoclaste ; Shabnam Adibam, militante du mouvement « Femme, Vie, Libre » ; Bahareh Akrami, auteure du roman graphique « On aurait aimé savoir »  ; Bee, dessinateur et plasticien français ; Patricia Bolaños, illustratrice espagnole ; Catel Muller, auteure strasbourgeoise de nombreux albums ; Coco, dessinatrice de presse à Libération et Charlie Hebdo ; Deloupy, étudiant aux Beaux-Arts d’Angoulême ; Hippolyte, auteur de BD ; Mana Neyestani, dessinateur politique au sein du journal iranien Zan au début de sa carrière ; Touka Neyestani, dessinateur politique iranien ; Pascal Rabaté, auteur de BD, un temps chez Futuropolis ; Rahi Rezvani, photographe iranien ; Paco Roca, auteur espagnol de BD ; Joann Sfar, créateur et dessinateur d’histoires ; Lewis Trondheim, auteur de plus de cent livres ; Nicolas Wild, auteur de Kaboul Disco ; Winshluss, auteur de la BD Pinocchio.
2 Mahsa Amini est morte sous les coups de la police des mœurs parce qu’elle n’avait pas « bien » porté son voile.
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