Site icon ReSPUBLICA

Laïcité : après les commémorations du 13 et du 16 octobre, où en est-on ?

https://www.france.tv/documentaires/7626401-au-nom-de-mon-frere-les-derniers-jours-de-samuel-paty.html

16 octobre 2020, 13 octobre 2023, assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Où en est-on aujourd’hui, 5 et 2 ans après leur exécution par deux islamistes djihadistes ? La sortie du film remarquable et rétrospectif de l’assassinat de Samuel Paty est un outil de réflexion intéressant. Ce film, intitulé Au nom de mon frère : les derniers jours de Samuel Paty (1h17), montre la succession des lâchetés dans tout l’environnement de la future victime. Quand on se rappelle les propos d’une partie de la gauche de l’époque, refusant l’idée d’un « djihad d’atmosphère » selon la locution de Gilles Kepel, fustigeant de plus en plus le principe de laïcité, pierre angulaire du combat de la gauche depuis la Révolution française, nous ressentons un vertige.

Ce film montre la participation d’islamistes fréristes, de la mosquée de Pantin, qui a diffusé les vidéos mensongères, d’une partie des élèves, d’une partie des collègues de Samuel Paty et de la hiérarchie administrative de l’Éducation nationale, ainsi que l’incapacité du renseignement territorial et de la Préfecture à se placer à la hauteur des enjeux. Pas de protection pour Samuel Paty. Et pourtant, Samuel Paty se savait menacé. Il a demandé un bip pour venir en voiture au collège. Ce bip ne lui a pas été donné. Il se promenait avec un marteau pour se défendre. Pas une aide des spécialistes du « pas de vague » de la bureaucratie éducative toujours en place.

La lâcheté de l’État et des déviants de la laïcité

La réalité d’aujourd’hui est que tout le monde fustige ces deux assassinats, mais tarde à en déterminer les causes. On croit rêver. Et pourtant, Dominique Bernard a subi le même sort trois ans plus tard. Aujourd’hui, doit-on rire « des hommes qui déplorent les effets des causes qu’ils chérissent », selon les mots de Bossuet ?

Ce film contredit l’intervention du ministre Jean-Michel Blanquer, qui déclara qu’il n’y a eu aucun manquement : l’Éducation nationale aurait agi de manière appropriée. Pire, ce film, qui s’appuie sur des investigations poussées, n’a pas reçu du ministère de l’Éducation nationale, des responsables politiques, de certains militants de gauche, le sursaut nécessaire dans les 5 ans qui nous séparent de la décapitation de Samuel Paty et de la récidive de l’assassinat de Dominique Bernard. Et n’oublions pas les assassinats de 2015. Puisqu’après une médiatisation extrême, pas grand-chose n’a changé, que les enseignants fulminent en leur for intérieur que ces assassinats ont eu lieu parce que les enseignants assassinés ont bien fait leur métier ! D’où leur solitude, leur tendance à moins bien faire leur métier pour protéger leur vie(1)L’école après l’assassinat de Samuel Paty : un impossible deuil collectif ?. ce qui est bien compréhensible. 

Des centaines d’incidents et des centaines de sanctions lors des commémorations montrent bien que rien n’est réglé. En outre, de nombreux militants de gauche préfèrent regarder leurs chaussures plutôt que de se placer à la hauteur des enjeux. Alors que l’abandon de la laïcité par une partie de la gauche est une des causes (avec la perte du primat de la question sociale par la gauche identitaire et essentialiste) de la perte de plus de 20 % des votants depuis les années 80. Même sanctionnés par le peuple, les dirigeants de gauche qui combattent la laïcité persistent dans leur pratique clientéliste ! 

Les martyrs de la laïcité sont légion dans le monde entier

En Indonésie, dans les massacres de 1965 qui ont fait plusieurs centaines de milliers de morts, en Algérie en 1992 avec l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, en Tunisie après le printemps tunisien et les assassinats des députés Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi… et dans de nombreux autres pays (en Iran, en Afghanistan, etc.).

La réalité aujourd’hui est que le principe de laïcité recule de plus en plus devant l’avancée de ses adversaires et devant l’instrumentalisation de certains courants politiques. Sortis des 80 ans de la Sécu, nous avançons vers les 120 ans de la loi de 1905. Tout le monde a fêté les 80 de la Sécu, surtout ceux qui ont décidé de trahir l’une ou plusieurs des quatre conditions révolutionnaires de la Sécurité sociale(2)Vous avez cherché Sécurité sociale – ReSPUBLICA.. Il en sera de même pour les 120 ans de la loi de 1905(3)Vous avez cherché Laïcité – ReSPUBLICA..

En cause, la faiblesse de la connaissance historique, sociale et politique du principe et la volonté non avouée de ne pas se placer dans le sens du chemin de l’émancipation pour rester dans la doxa des discours honteux d’adaptation. Fini les quatre items de la laïcité. Fini l’idée que la laïcité n’est ni une opinion ni une valeur, mais seulement un principe d’organisation sociale. Fini le primat de la liberté de conscience, fini l’universalité concrète des principes, fini la séparation des sphères de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale) et de l’autorité politique d’une part avec la sphère de la société civile d’autre part, fini la laïcité comme lien politique qui ne demande pas de lien religieux préalable. Fini le refus du financement public des structures privées confessionnelles (écoles, églises, cathédrales, temples, synagogues, mosquées).

Chaque année permet un accroissement du financement communautariste au détriment des écoles publiques, des services publics, de la Sécurité sociale et, d’une façon générale, des dépenses sociales.

Au contraire, chaque année permet un accroissement du financement communautariste au détriment des écoles publiques, des services publics, de la Sécurité sociale et, d’une façon générale, des dépenses sociales. La laïcité est anticléricale (refus de l’ingérence des Églises dans les domaines de l’État), mais pas antireligieuse (puisqu’elle protège la liberté de conscience et donc de culte). On peut ainsi être laïque et non-croyant, on peut être laïque et croyant, on peut être anti-laïque et non croyant, on peut être anti-laïque et croyant.

Alors que son but est le plus haut niveau de liberté pour tous, cette laïcité-là est en fort recul, au profit de nombreuses et graves déviances. La première, la « laïcité usurpée et fléchée », car elle est antireligieuse, qu’elle ne cible en général qu’une seule religion (hier le judaïsme, aujourd’hui l’Islam), et qu’elle peut virer au racisme. Cette déviance existe principalement à droite et à l’extrême droite.

La deuxième est la « laïcité d’imposture ou adjectivée », cache-sexe du communautarisme. Cette déviance se situe à gauche et à l’extrême centre. La troisième est la position d’une laïcité « néo-concordataire » (contraire à la position de Victor Hugo, qui déclarait, le 15 janvier 1850, « je veux l’État chez lui, l’église chez elle »). Cette déviance se situe principalement à l’extrême centre.

Et, enfin, la position d’une « laïcité identitaire », qui assigne chacun et chacune au primat d’une identité et d’une essentialisation, d’une « race », d’une religion, d’une couleur de peau, etc. Cette déviance se situe principalement à gauche chez certains militants, mais aussi chez les financeurs néolibéraux de gauche et de droite.

Une histoire construite à gauche

Les lois laïques découlent de la pensée des Lumières : de John Locke à Pierre Bayle, puis Condorcet et la Révolution française (avec les décrets du 18 septembre 1794 sur rapport de Cambon et du 21 février 1795). La Convention institue la séparation de l’Église et de l’État, mais le Concordat est rétabli en 1802 par Napoléon. La deuxième séparation est votée par la Commune de Paris avant d’être noyée dans le sang par la droite réactionnaire. Les lois de 1881 à 1905 rétablissent des pratiques laïques. Les trois circulaires de Jean Zay du Front populaire (1er et 31 décembre 1936 et 15 mai 1937 qui interdit les signes religieux et politiques à l’école) complètent l’arsenal juridique de la laïcité.

Les contre-réformes ont eu lieu à partir de la loi de Gaulle-Debré de 1959 et suivantes (Guermeur 1967, jusqu’à Carle et consorts, etc.), qui ont enclenché une croissance du financement public des structures privées confessionnelles pour que ces dernières, petit à petit, par leur recrutement de classe, redeviennent l’école de la bourgeoisie.

Quand la gauche hypocrite détruit la gauche

C’est un gouvernement de gauche, celui de Lionel Jospin qui permet, de façon hypocrite (il fait voter la loi et il demande au Conseil d’Etat de dire la loi !), de détruire les circulaires laïques du Front populaire de 1936-37. Il aura fallu une bataille de plus de 13 ans de la part de l’auteur de cet article et de milliers de camarades pour revenir aux circulaires de Jean Zay du Front populaire entre le 21 octobre 1989 , date du banquet de 1 300 personnes à Créteil (94) jusqu’au 17 octobre 2003 (date de l’audition de Jean-Paul Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l’Homme à la Commission Stasi) en passant par la tribune de la bande des 5 du Nouvel observateur de novembre 1989, la Mission parlementaire Debré(dont l’auteur de cet article fut auditionné(4)assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1275-t1.asp : La mission a entendu avec un certain étonnement les représentants des associations de parents d’élèves53 constater, à l’exception de M. Bernard Teper, au nom de l’Union des familles laïques (UFAL), que la situation était gérable et ne méritait pas d’intervention législative…M. Georges Dupon-Lahitte, président de la FCPE, a ainsi indiqué à la mission que le principe de laïcité concerne l’Etat et pas les individus. La laïcité à l’école concerne les bâtiments, les programmes et les personnels de l’Education nationale qui, eux, sont soumis à la règle de la laïcité, mais pas les usagers. Les élèves et les parents, ne sont pas des laïques « par essence »…La position de M. Bernard Teper, président de l’Union des familles laïques (UFAL) est beaucoup plus tranchée. L’école est une institution spécifique, elle n’a pas à appliquer les mêmes règles que les services publics et encore moins celles qui relèvent de la sphère privée. M. Teper considère que les incidents en rapport avec les signes religieux sont très nombreux et qu’ils perturbent les cours de beaucoup d’écoles. De plus, dans une enceinte scolaire, il faut que tout le monde soit soumis à la même règle, or aucune élève portant le voile ne peut aller à la piscine. La République doit protéger les milliers de jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile et qui subissent des pressions intolérables, c’est pourquoi M. Bernard Teper est favorable à une nouvelle loi interdisant tous les signes religieux, voile, croix, ou kippa à l’école publique.).

C’est la loi du 10 juillet 1989 (loi Jospin) qui annule les circulaires du Front populaire par la hiérarchie des normes et permet l’arrêt du CE du 27 novembre 1989. C’est la loi du 15 mars 2004 qui reprend en pratique la décision du Front populaire de 1936-37 sur le port de signes religieux (ostensibles). Il est à noter que, dans la période récente, ce sont les articles 9.1 et 9.2 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui ont défendu concrètement la laïcité plutôt que les actions en silos fermés sans lien avec le combat social.

La laïcité n’existe que liée au combat social

La laïcité n’a progressé ou reculé dans l’histoire que dans un contexte holistique de liaison du combat laïque et du combat social.

En fait, la laïcité n’a progressé ou reculé dans l’histoire que dans un contexte holistique de liaison du combat laïque et du combat social. Les déviances à la laïcité ont toutes été compatibles avec l’atomisation néolibérale. Ce dernier projet est bel et bien de sous-traiter les services publics qu’il détruit aux communautarismes ethniques et religieux. La laïcité demande donc, pour se développer, une globalisation de l’ensemble des principes émancipateurs et non l’illusion d’un développement solitaire.

De plus, la laïcité permet le développement et l’unification d’un peuple divisé. Mais la laïcité est une bataille de tous les instants. Par exemple, la loi du 24 août 2021 dite « loi sur le séparatisme » contient trois propositions contre la loi de 1905 :

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 L’école après l’assassinat de Samuel Paty : un impossible deuil collectif ?.
2 Vous avez cherché Sécurité sociale – ReSPUBLICA.
3 Vous avez cherché Laïcité – ReSPUBLICA.
4 assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1275-t1.asp : La mission a entendu avec un certain étonnement les représentants des associations de parents d’élèves53 constater, à l’exception de M. Bernard Teper, au nom de l’Union des familles laïques (UFAL), que la situation était gérable et ne méritait pas d’intervention législative…M. Georges Dupon-Lahitte, président de la FCPE, a ainsi indiqué à la mission que le principe de laïcité concerne l’Etat et pas les individus. La laïcité à l’école concerne les bâtiments, les programmes et les personnels de l’Education nationale qui, eux, sont soumis à la règle de la laïcité, mais pas les usagers. Les élèves et les parents, ne sont pas des laïques « par essence »…La position de M. Bernard Teper, président de l’Union des familles laïques (UFAL) est beaucoup plus tranchée. L’école est une institution spécifique, elle n’a pas à appliquer les mêmes règles que les services publics et encore moins celles qui relèvent de la sphère privée. M. Teper considère que les incidents en rapport avec les signes religieux sont très nombreux et qu’ils perturbent les cours de beaucoup d’écoles. De plus, dans une enceinte scolaire, il faut que tout le monde soit soumis à la même règle, or aucune élève portant le voile ne peut aller à la piscine. La République doit protéger les milliers de jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile et qui subissent des pressions intolérables, c’est pourquoi M. Bernard Teper est favorable à une nouvelle loi interdisant tous les signes religieux, voile, croix, ou kippa à l’école publique.
Quitter la version mobile