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Loi du 15 mars 2004 : la grande victoire du camp laïque après quinze ans de combat

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Il y a tout juste vingt ans, le 15 mars 2004, la loi n°2004-228 était promulguée. Celle-ci précisait dans son article premier : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. ». Le camp laïque venait de remporter une victoire historique après quinze ans de luttes acharnées. Avec cette loi, la France a renoué avec l’interdiction des signes religieux promulguée par une circulaire du Front populaire du 15 mai 1937 de Jean Zay, ministre de l’Éducation, qui complétait ses deux circulaires précédentes du 1er juillet et 31 décembre 1936. En effet, ce succès est l’ultime conséquence d’un combat pour la laïcité qui débuta en 1989.

« L’affaire du foulard de Creil »

Rappelons les faits. Au début du mois d’octobre 1989, le collège Gabriel-Havez de Creil (Oise), situé en zone d’éducation prioritaire (ZEP), a prononcé l’exclusion, au nom du principe de neutralité et de laïcité scolaires, de trois élèves qui avaient refusé d’enlever leur foulard islamique en classe. Immédiatement, l’affaire devint nationale et la polémique politique s’engagea.

Le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, sollicita, de manière hypocrite, l’avis du Conseil d’État qui répondit de manière ambiguë le 27 novembre 1989 : il rappela le droit des élèves à manifester des convictions religieuses dans l’école, mais établit des limites à l’expression de signes religieux « ayant un caractère ostentatoire et revendicatif ». Bref, et malgré ces « pseudo-limites », le voile islamique fit son entrée triomphale dans l’école de la République.

Expliquons l’hypocrisie : l’avis du Conseil d’État stipula qu’il tenait compte de toutes les lois antérieures et donc aussi explicitement de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, texte proposé par Lionel Jospin lui-même. Ce qui permit à Marceau Long, alors vice-président du Conseil d’État de répéter que « le Conseil d’État dit la loi, mais ne fait pas la loi » et que ceux qui estimaient légitime d’interdire les signes religieux à l’école devaient militer pour une nouvelle loi, vu l’raticle 9 alinéa 2 de la Cour européenne des droits de l’homme, cour sommitale du droit pour les 47 pays signataires de sa Convention(1)« Art. 9 : Liberté de pensée, de conscience et de religion :

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». 

En fait, la protection de la laïcité dans les 47 pays de la Convention vient de l’article 9.2 qui explique comment restreindre la liberté. À partir du moment où le Conseil d’État s’appuie, le 27 novembre 1989, sur des lois nommées, et notamment celle du 10 juillet 1989, les circulaires de Jean Zay (1er juillet et 31 décembre 1936 et surtout celle du 15 mai 37) sont sorties du droit positif opérationnel. Tout simplement, par la hiérarchie des normes qui fait qu’une loi supplante une circulaire ou un décret. Et pour supplanter une loi, il faut la Constitution ou une autre loi plus récente. C’est là que la phrase de Marceau Long, noté dans l’article, prend tout son sens. La jurisprudence de l’article 9.1 dit que l’interdiction générale de la laïcité n’est pas possible. Et la jurisprudence de l’article 9.2 dit qu’elle peut être possible ici et là si elle est conforme à l’article 9.2.
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En fait, qu’il s’agisse du président François Mitterrand, de son Premier ministre Michel Rocard et du ministre de l’Éducation nationale Lionel Jospin, ils soutenaient tous l’avis du Conseil d’État. C’était un alignement français sur les pratiques anglo-saxonnes de « tolérance » religieuse, et tant pis si les religions imposaient leurs règles d’oppression aux filles jusque dans les collèges et les lycées. L’ensemble de l’exécutif socialiste suivit la « ligne Danielle Mitterrand ». Car, hypocritement, le président de la République, pourtant gardien de la cohésion de la Nation, ne disait absolument rien. Il envoya sa femme « au feu » pour soutenir « le droit à l’expression religieuse des collégiennes de Creil ».

Le seul à gauche en mesure de rassembler l’opposition laïque face à cette débâcle républicaine, c’était Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Défense. Mais hormis quelques déclarations de circonstances, celui-ci resta l’arme au pied. Autrefois intransigeante sur le principe de laïcité, la gauche française devenait maintenant communautariste religieuse. D’ailleurs, les trois autorités ecclésiastiques – catholique, musulmane et juive –, soutinrent chaleureusement le gouvernement dans une déclaration officielle commune.

Même la gauche du Parti socialiste, autour de Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray et Harlem Désir s’engagèrent mordicus en faveur de « la ligne Danielle Mitterrand ».

Approbation à gauche, silence gêné à droite et vociférations racistes habituelles des lepénistes à l’extrême-droite, les directions des syndicats enseignants et les confédérations totalement amorphes : bref, l’affaire du foulard de Creil paraissait « pliée » et l’école laïque appartenir au passé.

Mobilisation laïque de la société civile

Si de nombreux citoyennes et citoyens désapprouvaient cette orientation liquidatrice, aucune organisation du camp social et populaire n’était vraiment prête à assumer la moindre centralisation et coordination d’une éventuelle mobilisation laïque hostile à la politique gouvernementale des Mitterrand-Rocard-Jospin.

De manière imprévue, une opposition structurée apparut tout de même le samedi 21 octobre 1989 lors d’un banquet républicain géant, organisé par le Grand Orient de France à Créteil, réunissant plus de 1300 participants, dont des dizaines de journalistes. L’orateur de cette obédience maçonnique, notre ami Bernard Teper, rappela ce soir-là au public les principes de la laïcité.

Le coup médiatique fut une parfaite réussite. Dans son édition du lundi suivant, le quotidien Le Monde fit paraître un article sur cinq colonnes en dernière de couverture titré : « Le Grand Orient sonne la charge contre les intégrismes religieux ». La riposte s’organisait enfin.

Quelques jours plus tard, de manière coordonnée, l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur titra en couverture de son édition du 2 novembre : « Profs, ne capitulons pas ! ». Il s’agissait d’un appel rédigé par la philosophe Catherine Kintzler, signé également par Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay. Cette lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, donna un cadre théorique à la mobilisation laïque. Des millions de Français, en particulier dans le monde enseignant, se retrouvaient pleinement dans ce texte signé par les cinq intellectuels.

Le réarmement idéologique républicain 

Si le camp laïque de nouveau reconstitué fut capable de porter un coup d’arrêt à la liquidation définitive de la laïcité en France, il n’était pas encore assez puissant pour faire reculer le gouvernement. Ce « premier round » se terminait donc sur un match nul. L’exécutif espérait faire admettre le voile progressivement, collège par collège, lycée par lycée.

Pour consolider le camp laïque, il fallait continuer le réarmement idéologique républicain, mais aussi intervenir directement en meeting ou dans la rue pour rendre visibles les partisans de la République sociale.

L’occasion se présenta lors du Bicentenaire de la proclamation de la République en 1992. Les paradoxes sont parfois parlants : la République française se refusait à commémorer la naissance de la République en 1792 alors même que l’anniversaire de la prise de la Bastille trois ans plus tôt avait donné lieu à des festivités géantes ! Pour le pouvoir socialiste, en bout de course, la création de la République il y a deux siècles devait passer inaperçue.

Pour contrer cette révision de l’histoire, le groupe de militants qui avait mené le combat laïque en 1989 relança l’offensive en convoquant de nouveau un grand banquet républicain au palais de la Mutualité à Paris. Presque un millier de participants fut au rendez-vous. Le monde syndical, quasi absent du combat laïque trois ans plus tôt, était cette fois bien présent et en nombre. Les secrétaires généraux de la CGT-FO, du SGP et de la FASP prirent la parole.

Des dizaines de militants et de dirigeants de syndicats (dont de syndicats enseignants) et d’associations étaient là aussi et applaudirent les orateurs appelant à la défense des valeurs et des principes de la République sociale. À la fin de cette soirée mémorable fut annoncé le lancement du mouvement politique « Initiative Républicaine » (IR) dont l’objectif fut de mobiliser idéologiquement et politiquement le courant laïque et républicain.

Initiative Républicaine à l’action !

Dans toute la France, des comités IR furent créés. Initiative Républicaine se retrouva parmi les organisateurs et aux premiers rangs des mobilisations pour la défense de l’école publique. Citons en particulier l’immense manifestation de presque un million de personnes le 16 janvier 1994 contre le projet de loi Bayrou de révision de la loi Falloux, qui visait à subventionner encore plus les écoles confessionnelles sur fonds publics.

À noter que dans le secrétariat du collectif du 16 janvier, il y avait principalement des syndicats enseignants soutenus par la plupart des confédérations syndicales de gauche et un membre représentant les associations laïques qui avaient assuré le renouveau des principes de la république sociale depuis 1989. IR fut également à l’initiative de la manifestation du 22 septembre 1996 contre la venue du pape pour le 1500e anniversaire du baptême de Clovis, financée par les fonds publics et qui provoqua aussi une débauche de signes religieux dans l’espace public. 

Cet incessant combat politique laïque contribua à inverser idéologiquement le rapport de forces dans les années 90. Réunions publiques, colloques, manifestations se succédèrent semaine après semaine ; le camp laïque retrouva son énergie.

Notons d’ailleurs que la recherche universitaire internationale considère ce combat politique et idéologique comme de première importance. À l’université de Columbia aux États-Unis, l’équipe de doctorants autour du professeur Paxton, grand spécialiste de l’histoire politique française du vingtième siècle, considère que le retour des idées républicaines en France date des années 90. Dans plusieurs thèses de membres de cet éminent groupe de recherche historique, il est démontré que la lutte pour la laïcité, à partir de « l’affaire du foulard de Creil » a sonné le renouveau des positions de la gauche laïque. 

Ce fut effectivement un coup d’arrêt face à la toute-puissance des idées de la « Nouvelle gauche », influencée par le communautarisme anglo-saxon et qui jusque-là était totalement hégémonique.

L’intervention de l’Union des familles laïques (Ufal) et la création de ReSPUBLICA

L’Ufal participa au renouveau laïque surtout à partir des années 1996-97, notamment par ses réunions publiques, mais aussi par ses auditions.

Le dernier appel paru de l’Ufal sur ce thème dans le journal Libération donnait l’adresse électronique banalisée de l’Ufal. L’Ufal reçut alors de nombreuses demandes d’interventions dans toute la France. Les renseignements généraux ont fait remonter cette information vers les chiraquiens, mais aussi vers le PS.

Le journal électronique ReSPUBLICA est créé dans cette séquence par quelques militants d’Initiative Républicaine et de l’Ufal.

L’Ufal est auditionnée, lors de la mission parlementaire Debré, avec la FCPE, la PEEP et la Fédération des parents d’élèves de l’école catholique. La FCPE, par son président Dupon-Lahitte, se présente en accord avec les signes religieux à l’école contrairement à l’Ufal. La notion d’interdiction des signes religieux visibles présentée par l’Ufal est reprise dans le rapport de la mission.

Jacques Chirac, sans attendre le résultat de la mission parlementaire décide de convoquer la commission Stasi pour contrer ou atténuer la mission Debré. La Commission Stasi est formée avec la « société civile ».

Trois choses importantes se passent dans la commission Stasi :

D’abord sa composition au départ moins favorable que la mission parlementaire à l’interdiction des signes religieux est contrebalancée par des représentants laïques, dont Henri Pena-Ruiz, professeur de philosophie, et la présidente de l’association Elele, Gaye Petek.

Ensuite, le président de la commission auditionne beaucoup d’enseignants qui relatent le réel vécu dans les établissements avec le flou vécu. C’est une des raisons qui fait que la position de l’interdiction dans la commission grandit chaque jour.

Puis, la bataille pour l’audition de Jean-Paul Costa, vice-président de la CEDH est gagnée : l’audition a lieu. C’est le coup de grâce, Jean-Paul Costa développe les articles 9.1 et 9.2 de la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence liée à ces articles. Rappelons que cette Convention est le texte juridique sommital pour les pays qui ont signé la Convention ! Suite à cette audition, la droite chiraquienne et le PS sont favorables à l’interdiction des signes ostensibles proposée par la Commission Stasi.

Vu la décision positive des socialistes, l’Ufal commence alors à rencontrer les députés communistes divisés sur la question. Marie-Georges Buffet souhaite un vote bloqué des communistes contre la loi qui interdisait les signes religieux ostensibles. Plusieurs députés déclarent alors qu’ils voteront pour la loi de toute façon. Pour éviter une division brutale du PC, Marie-Georges Buffet fait machine arrière et propose la liberté de vote. Elle dira plus tard que si c’était à refaire, elle voterait la loi.

Ainsi, il a fallu une bataille de près de quinze ans pour revenir à la position raisonnable de la circulaire de Jean Zay du Front populaire du 15 mai 1937.

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Notes de bas de page
1 « Art. 9 : Liberté de pensée, de conscience et de religion :

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». 

En fait, la protection de la laïcité dans les 47 pays de la Convention vient de l’article 9.2 qui explique comment restreindre la liberté. À partir du moment où le Conseil d’État s’appuie, le 27 novembre 1989, sur des lois nommées, et notamment celle du 10 juillet 1989, les circulaires de Jean Zay (1er juillet et 31 décembre 1936 et surtout celle du 15 mai 37) sont sorties du droit positif opérationnel. Tout simplement, par la hiérarchie des normes qui fait qu’une loi supplante une circulaire ou un décret. Et pour supplanter une loi, il faut la Constitution ou une autre loi plus récente. C’est là que la phrase de Marceau Long, noté dans l’article, prend tout son sens. La jurisprudence de l’article 9.1 dit que l’interdiction générale de la laïcité n’est pas possible. Et la jurisprudence de l’article 9.2 dit qu’elle peut être possible ici et là si elle est conforme à l’article 9.2.

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