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Qu’est-il arrivé à la laïcité ? de Pierre Hayat

Qu’est-il arrivé à la laïcité ? a été écrit par notre camarade, membre du Comité de rédaction de ReSPUBLICA. Notre camarade est décédé récemment (voir notre article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/pierre-hayat-sera-toujours-present/7438170) et a créé un vide au sein de notre association. Il a été une boussole pour garder le cap d’une laïcité non dévoyée, ni fermée ni ouverte ou accommodante. C’est un ouvrage à mettre entre toutes les mains pour sortir de la confusion qui domine la notion de laïcité depuis plusieurs décennies, notamment depuis la loi Jospin de 1989.

Loi du 15 mars 2004

Cette loi donne des outils aux enseignants face aux revendications et ingérences multiples des intégristes religieux. Elle a permis de tourner la page de la loi Jospin, qui mettait en porte-à-faux les acteurs de l’Éducation nationale dans la défense du principe de neutralité et de laïcité.

Pierre Hayat revient sur la genèse de cette loi qui s’appuie sur l’esprit des circulaires de Jean Zay, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts sous le Front populaire de 1936. Cette loi, contrairement à certaines affirmations, est une loi d’émancipation des élèves, en ce sens qu’elle évite tout endoctrinement des esprits.

Liberté de conscience, foi, croyance et raison

Pierre Hayat aborde de manière approfondie ces notions. La liberté de conscience suppose la réciprocité. Elle est valable pour soi, mais aussi pour les autres. La liberté de conscience a pour limite d’assurer cette garantie pour tout le monde. Il s’appuie sur Ferdinand Buisson pour qui « la liberté de conscience des élèves revient à s’empêcher, pour l’école laïque, d’endoctriner l’enfant manipulable ». Cela justifie la loi de 2004. L’enfant n’appartient ni aux parents, ni aux religions, ni à l’État républicain. L’auteur prend soin de rappeler la tradition laïque selon laquelle la liberté de conscience est absolue, à savoir, « principielle, inconditionnelle, s’exposant comme impératif catégorique qui ne trouve pas sa fin hors de lui mais en lui ».

Il cite Ferdinand Buisson : « A tout individu liberté de conscience et de pensée, sans autre limite que l’interdiction d’opprimer une autre pensée, une autre conscience ».

Il relève une imposture de la gauche identitaire qui proclame « Ma foi, c’est mon droit » comme si la foi était au-dessus des lois. Il précise que la formulation cohérente avec l’esprit laïque est « Mon devoir est ton droit, ton devoir est mon droit [selon] un principe de reconnaissance réciproque ».

De la laïcité

La laïcité n’est certes pas une opinion, mais elle est certainement une idée qui promeut la liberté de conscience et invite au combat pour cette liberté. La liberté de conscience est un universalisme et la liberté religieuse n’en est qu’une modalité. « La laïcité, précise Pierre Hayat, déborde la stricte question religieuse, c’est-à-dire le droit d’être croyant, athée ou agnostique ».

Laïcité et totalitarisme

Pour l’auteur, la laïcité « soutient, au sein même de la vie politique démocratique, l’exigence de débordement de l’ordre étatique et s’attache à restreindre et à contrecarrer la tendance de tout État à s’enfermer dans une logique administrative, gestionnaire et coercitive : à rouler pour son propre compte ». Il administre la preuve que l’Union soviétique, avec sa bureaucratie, la nomenklatura, son système totalitaire visant à contrôler la totalité de la vie des individus, n’était pas laïque. De même, la forme ultralibérale et néoconservatrice des démocraties occidentales vise sous une forme privée à tout contrôler.

Œcuménisme et modèle laïque

« La vision œcuménique de la société politique est au mieux une laïcité étriquée qui s’arrête au milieu du gué ». L’auteur précise que le modèle laïque ne s’en remet pas au « bon vouloir des religions pour fonder la concorde civile ». Pour lui, la société politique a « pleine légitimité pour garantir la paix civile ». Cela fonde « l’égale liberté aux croyants et aux non-croyants ». Ferdinand Buisson, rappelle l’auteur, à propos de la foi, soutient « une foi laïque, ni religieuse ni antireligieuse, va jusqu’à opposer une foi laïque à la foi ecclésiastique ». Rappelons que pour ReSPUBLICA, ainsi que pour Pierre Hayat, la laïcité n’est synonyme ni d’athéisme ni de religion. C’est avant tout un principe d’organisation de la société.

Blasphème et respect des personnes

L’auteur précise un aspect essentiel dans les rapports avec les croyances religieuses ou non. Il prend l’exemple « d’une croyance fanatiquement attachée à détruire les libertés et l’égalité entre les êtres humains ». Il démontre l’absurdité qui consisterait à renoncer à critiquer, dénoncer cette croyance. Cela « contredit les principes fondateurs de la Constitution de la Cinquième République ». Il précise, en outre, que la formule de la Ve République selon laquelle la République respecte toutes les croyances est propice aux dévoiements de la laïcité. La laïcité exige le respect des personnes et non des croyances.

Questionnements laïques

Dans cette partie, l’auteur aborde divers questionnements essentiels :

Les trois dimensions de la laïcité

L’auteur développe ce qu’il considère comme les trois dimensions de la laïcité : « le pari de l’universalisme », qui repose « sur une culture rationaliste », « l’émancipation individuelle et politique », qui repose sur un « affranchissement de la tutelle religieuse et sur un ordre public organisateur de l’égalité des droits », « l’affranchissement culturel » qui exige une sorte de « morale laïque » fondée sur « les idées de progrès, d’humanité, d’égalité et de liberté » en tant que socle des conduites humaines.

Trahisons de l’État laïque

Avec lucidité, l’auteur relève la trahison de l’État laïque lorsqu’il s’arroge un pouvoir absolu et organise sa propre sacralisation : « La seule proclamation de l’autonomie intellectuelle des hommes n’empêche pas l’État laïque de “rouler pour son propre compte” et pour celui des classes dirigeantes ».

Limites de la séparation du « temporel » et du « spirituel »

L’auteur prend soin de mettre en garde à l’égard d’une séparation qui se contente de répartir les rôles : « au politique reviendrait la gestion technocratique des masses humaines ; au religieux incomberait le soin de la destinée des âmes ». Cela reviendrait à accepter le monde tel qu’il est réduisant « l’être humain à un être humilié, asservi, abandonné(2)Karl Marx, Critique du droit politique hégélien, Éditions sociales, 1975. » ; rappelons que Karl Marx parle de la religion comme du « soupir de la créature opprimée » ou la promesse magique d’un au-delà consolateur pour mieux accepter la vallée de misère ici-bas.

Ainsi, pour être complète, la laïcité ne doit pas se contenter de séparer le sabre et le goupillon, elle doit viser « la reconquête totale de l’homme » et « porter l’exigence d’un monde véritablement humain » dans lequel l’être n’est plus aliéné, c’est-à-dire exproprié, dépossédé de sa propre conscience. La laïcité doit se réaliser en « opposant une résistance à la loi du plus fort », en résistant « à l’abdication devant ce qui se présente comme fatal ».

Sécularisation et laïcité

« La sécularisation n’est pas une pensée élaborée mais la tendance irréfléchie des sociétés à distendre leurs liens avec la religion ». La laïcité se situe à un degré supérieur en ce sens qu’elle est « portée par un engagement humaniste ». Les deux s’épaulent : la laïcité est vaine sans sécularisation et la sécularisation est une impasse existentielle sans l’humanisme consubstantiel de la laïcité.

La laïcité républicaine

La laïcité, pour Pierre Hayat et nous le suivons sur ce chemin, est fille de « la Révolution française de 1789 qui a substitué à l’adage monarchiste “un roi, une foi, une loi” la devise républicaine “Liberté, Égalité, Fraternité” ». La IIIe République, en instaurant la séparation de la foi et de la loi, « a garanti la liberté de conscience tout en affirmant la supériorité de l’universalité sur les particularismes sociaux ».

Une partie de la gauche, « complaisante envers les communautarismes religieux », méconnaît « les combats de Marx contre une morale asservie à la religion ». Spinoza est un « précurseur de la laïcité parce que son Traité théologico-politique est un manifeste en faveur de l’autonomie du politique par rapport aux clergés ».

En conclusion, nous réitérons notre conseil de lire cet ouvrage émancipateur.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 L’enseignement du peuple, 1850.
2 Karl Marx, Critique du droit politique hégélien, Éditions sociales, 1975.
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