Faut-il défendre les racines chrétiennes de l’Europe ? Ou refuser pareillement tout signe convictionnel dans les administrations publiques, au nom de la laïcité ? Une « déclaration écrite sur la liberté d’exposition dans les lieux publics de symboles religieux représentatifs de la culture et de l’identité d’un peuple » déposée au Parlement européen par Sergio Silvestris, Mario Mauro, David Maria Sassoli, Gianni Pittella et Magdi Cristiano Allam revendique le droit « de tous les États membres d’exposer également des symboles religieux dans les lieux publics ou les établissements institutionnels, là où ces symboles sont représentatifs de la tradition et de l’identité de tout le pays et sont par conséquent des éléments fédérateurs de l’ensemble de la communauté nationale, respectueux de l’orientation religieuse de chacun ».
La récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, qui a défini la présence du crucifix dans les établissements scolaires italiens comme “une violation du droit des parents d’éduquer les enfants selon leurs convictions” , n’a visiblement pas plu à tout le monde. Selon les auteurs de la déclaration, cette décision est apparue « en contradiction avec l’identité culturelle italienne, fortement influencée par les racines chrétiennes qui constituent un des fondements de l’histoire et de la tradition des peuples ».
On le voit, la laïcité est loin d’être acquise en Europe. Trop souvent encore, certains se drapent derrière le paravent des racines chrétiennes de celle-ci pour refuser de traiter les religions de manière égale, feignant de ne pas voir qu’exhiber un crucifix dans une salle de classe peut légitimement heurter la sensibilité des élèves et parents ayant une autre confession, voire pas de confession du tout.
Loin de moi l’idée de nier que l’Europe ait des racines chrétiennes. En revanche, réduire l’Europe à ces racines-là, c’est faire fi des Lumières, qui ont enclenché un mouvement fondamental de mise à distance du religieux au profit d’une universalité laïque. Les droits de l’homme, en ce sens, sont au moins autant le produit de l’universalisme des Lumières que celui du christianisme. Et dans une société de plus en plus métissée, il est non seulement vain, mais encore contraire à l’esprit de la démocratie moderne, de prétendre unir les citoyens autour d’une bannière de foi.
Que cela plaise ou non aux catholiques, il faudra bien qu’ils admettent qu’un Etat moderne ne peut traiter différemment les convictions religieuses, fût-ce au nom d’une tradition. Et qu’ils devront donc accorder aux uns les droits acquis qu’ils prétendent sauvegarder aux autres.
Verra-t-on alors demain des bâtiments officiels ornés d’un crucifix, d’un croissant, d’une étoile de David, d’un flambeau laïque et d’autres symboles, afin de refléter la diversité convictionnelle ? C’est ce qu’a imaginé sans rire le bourgmestre d’une commune belge, interpelé par une association laïque désireuse de voir disparaître le crucifix qui ornait encore une salle de la maison communale.
Or, la séparation des Eglises et de l’Etat passe nécessairement par le refus de la présence de tout symbole religieux dans la sphère institutionnelle. Une séparation qui, manifestement, heurte la sensibilité de certains croyants. Et pas toujours ceux qu’on croit.