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AVEC L’UKRAINE, LA GUERRE EN ASIE EST REMISE À PLUS TARD… DU MOINS POUR LE MOMENT !

Carte des Nouvelles Routes de la Soie entre la Chine, l'Europe et l'Afrique

Carte des Nouvelles Routes de la Soie entre la Chine, l'Europe et l'Afrique

Une actualité chasse l’autre : qui se souvient, à l’heure de l’Ukraine en guerre, de l’extrême tension régnant en Asie en 2017, il y a seulement 5 ans ? À l’époque, la péninsule coréenne était à l’extrême bord de devenir le « chaudron guerrier » de l’Asie. Kim Jong Un, dirigeant communiste héréditaire, jouait « le fou rationnel ». L’armée populaire de Corée appuya donc sur le bouton pour un essai réussi de bombe nucléaire à hydrogène (bombe H). Donald Trump, alors en début de mandat, a pris la posture du cow-boy va-t-en-guerre en affirmant que la Corée du Nord pouvait être « entièrement détruite » par les États-Unis. Visiblement pour ce fantasque nouveau président yankee, par ailleurs plutôt ami de Poutine, l’ennemi stratégique derrière Pyongyang était la Chine populaire, véritable rivale de la puissance nord-américaine pour l’hégémonie mondiale. Face à ce danger de guerre imminente, « l’empire du Milieu » joua officiellement l’apaisement …

Danger coréen et aide chinoise

Était-ce pour mieux faire monter les enchères en sous-main ? Une hypothèse plausible, car la Corée du Nord, contre toute attente et sans test préalable vraiment concluant, a abattu un atout maître : l’essai réussi d’un missile stratégique capable de transporter une bombe atomique. Ainsi, le post adolescent communiste Kim Jong Un pouvait potentiellement prétendre vitrifier bien sûr Séoul, la capitale de la Corée du Sud, également Tokyo, mais aussi, et pourquoi pas une ou deux villes américaines de la côte Ouest comme Los Angeles ou San Francisco. Ces missiles stratégiques « sortis du chapeau » étaient officiellement présentés comme une production de la Corée communiste, par ailleurs soumise à un embargo très strict… accepté en partie par Pékin. Bref, il s’agissait d’un exploit industriel unique au monde : un pays en permanence au bord de la famine et incapable d’importer la moindre puce électronique réussissait tout de même à produire un vecteur sortant de l’atmosphère terrestre pour s’abattre sur une ville à 12 000 kilomètres de distance ! Qui l’eût cru ? Certains experts prétendirent sans preuve définitive que la Chine avait fourni ces fusées balistiques. C’est possible. En tous les cas, il est vraisemblable qu’elle ait au minimum laissé passer des composants électroniques… et peut-être même effectué des « transferts de technologie », la Chine étant aujourd’hui une des premières puissances spatiales capables d’envoyer sans coup férir des robots sur la face cachée de la Lune ou sur Mars.

La guerre oui, mais thermonucléaire

Le message implicite de Pékin pouvait se résumer à ce propos : « il ne peut y avoir de guerre conventionnelle à nos portes, seule une guerre thermonucléaire est envisageable…et dois donc être évitée ! ». Le principe de la « dissuasion nucléaire » reste encore d’actualité en Extrême-Orient. Profondément hostile à la Chine, Trump a tout de même reculé en rase campagne et de manière assez humiliante. Il rencontra le jeune Kim Jong Un, qu’il trouva d’ailleurs « fort sympathique » et accepta le « pays du matin calme communiste » dans le club très fermé des puissances nucléaires. Ainsi se conclut un épisode qui marqua une grande victoire stratégique pour la Chine. Trump ne s’est d’ailleurs jamais remis de ce camouflet. Ce qui explique peut-être son obsession à qualifier la Covid 19 de « virus chinois » !

Désaccord sur la Chine entre l’ancien et le nouveau capitalisme

Pourquoi cette reculade de Trump, en dehors de l’effroi de la guerre atomique ? En fait, le capitalisme américain n’est pas homogène quant au niveau et à l’intensité du conflit avec la Chine. Sans tomber dans un « emblématisme » trompeur, disons que Trump a été soutenu pour sa prise de pouvoir présidentielle en 2015 principalement par le capitalisme archaïque, notamment les pétroliers texans, ou encore le secteur immobilier et l’industrie des jeux et des loisirs souvent aux mains des différentes mafias. Pour ce réseau d’intérêts convergents, la tension, voire la guerre en Asie, ne posait pas de problème fondamental.

Par contre, pour le secteur du commerce de la grande distribution et a fortiori pour le high-tech, défaire l’intrication entre l’industrie chinoise et l’économie américaine provoquerait une crise majeure, touchant toute la chaîne de production. Sans l’importation de terre rare, de puces électroniques, ou encore la livraison des smartphones, comment la high tech américaine pourrait-elle survivre ? Et que dire du mastodonte de la grande distribution Walmart dont les magasins quadrillent les États-Unis ? Celui-ci maintient son taux de profit uniquement en vendant des produits chinois grand public. Ceux-ci sont produits à très bas coûts grâce à une main-d’œuvre quasi en esclavage en Chine de l’intérieur et surtout en Indochine ou au Bangladesh, pays où les trusts chinois sous-traitent leurs productions. Trump a donc fait un « refus d’obstacle », car le capitalisme US était divisé sur l’intérêt économique d’une guerre pour maintenir son taux de profit.

Prudence européenne avec la Chine

Depuis le déclenchement de la guerre en Europe le 24 février dernier, on observe un calme olympien en extrême orient. Un sommet Union européenne-Chine s’est tenu fin mars dernier : rien à signaler d’important, sinon de vagues mises en garde occidentales contre une éventuelle aide à la Russie sous embargo. Visiblement aucun pays, en particulier l’Allemagne dont l’excédent commercial dépend pour 40% du commerce avec « l’empire du Milieu », ne veut envenimer la situation.

Pourtant, certains commentateurs imaginaient une Chine profitant de la guerre en Ukraine pour envahir l’île de Taïwan. C’est bien peu connaître la prudence chinoise, le Parti communiste chinois attendant sagement son heure. Car la Chine populaire est aujourd’hui un mastodonte économique. Pour donner un ordre d’idée simple, le pays représente économiquement 10 fois la Russie ! En effet, son produit intérieur brut (PIB) s’élevait à 14,72 billions de dollars en 2020 contre 1,48 billion pour la Russie. Il s’approche inexorablement de la puissance économique des USA (près de 21 billions de dollars en 2020). Pékin devrait ravir la première place mondiale à Washington avant la fin de cette décennie… Si le monde reste en paix bien entendu !

Le big deal ou la fin des classes ouvrières européennes et américaines

Deng Xiaoping a conservé la grille d’analyse du matérialisme dialectique de manière fort subtile. En effet, il propose un « big deal » historique aux Américains : résoudre provisoirement la baisse tendancielle du taux de profit par l’effondrement de la rémunération de la force de travail occidentale et américaine.

La longue période de paix que la Chine a connue depuis 1979, date d’une courte guerre contre le Vietnam qu’elle a perdu lamentablement, a permis l’émergence d’une économie prospère, avec un taux de croissance annuel souvent à deux chiffres. L’architecte du décollage chinois fut à la fin des années 1970, Deng Xiaoping. Celui que l’on surnommait « le petit timonier », en référence à Mao, est certainement un des dirigeants de l’histoire universelle ayant eu une vision stratégique et tactique d’une clairvoyance stupéfiante. Au moment même où l’URSS perdait définitivement sa force propulsive et enterrait le marxisme comme fondement idéologique, Deng Xiaoping a conservé la grille d’analyse du matérialisme dialectique de manière fort subtile. En effet, il propose un « big deal » historique aux Américains : résoudre provisoirement la baisse tendancielle du taux de profit par l’effondrement de la rémunération de la force de travail occidentale et américaine.

À partir de ce moment, la classe ouvrière mondiale sera pour grande partie chinoise à 40 %. Comme une drogue, ce « big deal » entraînera une terrible dépendance, les régions industrielles des États-Unis se transformant progressivement en « ceinture de rouille ». Plus d’usines, plus de classe ouvrière, plus d’industrie : voilà le résultat d’un processus qui aboutira à l’implosion du capitalisme financier en 2007-2008 lors de la crise dite des subprimes-Lehman. Le « big deal » était en fait un piège. Du point de vue chinois, et pour ne plus être hégémonique, le capitalisme occidental doit « révéler au grand jour son caractère essentiellement parasitaire » !

Guerre mondiale inéluctable

C’est justement parce que la Chine considère la guerre comme inéluctable qu’elle œuvre de toute sa volonté pour l’éviter…ou plus modestement la retarder.

Aujourd’hui, la structure dirigeante du Parti communiste chinois, dirigé par Xi Jinping, continue de se positionner suivant la grille d’analyse marxiste. Depuis son arrivée au pouvoir, l’étude du marxisme est revenue en force, en particulier à « l’école des cadres » du PCC. Pour lui comme pour Deng Xiaoping, la guerre mondiale est à terme inéluctable. C’est une constante de l’idéologie politique de ce parti depuis 1949, date de sa prise de pouvoir. C’était déjà le point fondamental de divergence avec l’URSS dans les années 1960 sous Khrouchtchev et Mao. Jamais le PCC n’a admis la théorie de la « coexistence pacifique ». Les communistes chinois sont toujours restés sur les fondamentaux du marxisme-léninisme : la baisse tendancielle du taux de profit ne peut mener pour Pékin qu’à une crise systémique… et celle de 2007-2008 leur a d’ailleurs donné raison. Cette crise ne peut mener pour le capital qu’à la guerre, en forçant brutalement à l’élargissement du marché mondial, voire à la destruction directe des forces productives entraînant une dévalorisation globale des actifs. Voilà la vision historique du PCC. C’est justement parce que la Chine considère la guerre comme inéluctable qu’elle œuvre de toute sa volonté pour l’éviter…ou plus modestement la retarder. Et si la guerre se trouvait malheureusement à l’ordre du jour, le PCC a tout fait et fera tout demain pour éviter qu’elle se déroule en Extrême-Orient.

Contrer la Chine ?

Et aujourd’hui la conjoncture reste très tendue. Ces derniers mois, l’alerte a sonné de manière stridente pour Pékin. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont annoncé le 15 décembre 2021 la constitution de l’AUKUS, un nouveau partenariat « historique » de sécurité dans la zone indo-pacifique, une décision manifestement destinée à contrer la montée en puissance de la Chine dans la région. Cette alliance militaire purement anglo-saxonne se veut cohérente sur le plan opérationnel. La France en a fait les frais : son contrat de vente de sous-marins conclu avec l’Australie est passé à la trappe de manière cavalière et humiliante… Un cinglant camouflet qui remet la France à sa place dans l’Occident, c’est-à-dire dans le deuxième cercle chargé de simplement seconder l’ordre anglo-saxon.

Face à cette mobilisation de l’AUKUS, la Chine a joué la désescalade, en particulier sur Taïwan. Attendre et voir venir, la patience du PCC lui a été finalement favorable : cinq mois après la création de l’AUKUS, la guerre en Europe commençait et l’Asie sortait des premiers titres de l’actualité. Cela dit, des « lignes rouges » sont infranchissables pour l’Empire du Milieu. Par exemple une défaite frontale de Poutine et un changement de régime pro-occidental à Moscou. L’élargissement du marché occidental à l’ensemble de la Sibérie est également impossible à envisager. D’abord sur le plan militaire, les 4 250 kilomètres de la frontière russo-chinoise doivent rester une zone de sécurité. Par ailleurs, la mainmise occidentale sur le formidable réservoir de richesses naturelles que constitue la Sibérie donnerait aux États-Unis un avantage décisif et irrattrapable.

La Chine grande gagnante du conflit à l’est ?

Avec une Russie contrainte de fournir Pékin, XI Jinping dispose enfin d’une double sécurité de fourniture énergétique, de matières premières et agricoles.

Avec les États Unis, la Chine est ainsi la grande bénéficiaire de la situation de guerre en Europe. Plus celle-ci se poursuit, plus les sanctions économiques isolent définitivement la Russie, plus Moscou sera obligé de vendre ses matières premières et agricoles à Pékin à des prix « raisonnables ». La Chine est un gouffre énergétique, elle a besoin d’une quantité phénoménale de pétrole, de gaz ou de charbon pour faire tourner « l’atelier du monde ». Les nouvelles « routes de la soie » étaient patiemment construites, tel un réseau parcourant les cinq continents pour justement irriguer en énergie le cœur battant industriel chinois. Avec une Russie contrainte de fournir Pékin, XI Jinping dispose enfin d’une double sécurité de fourniture énergétique, de matières premières et agricoles. Par ailleurs, les USA et leur bras armé occidental l’OTAN ne pouvant combattre sur deux fronts, l’Asie peut se maintenir un certain temps comme « zone de paix ». Ainsi pour l’année 2022, la Chine peut continuer sa longue marche vers ce qu’elle considère comme sa place naturelle dans le monde depuis toujours… C’est-à-dire la première.

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