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Amérique latine juillet – aout

Certes, la France et son monde politique ne voient pas plus loin que leur espace de proximité (à l’exception peut-être de l’Allemagne, et plus surement des États-Unis, seul pays digne qu’on y porte sans cesse ses yeux), mais pendant ce temps, le reste du monde ne se croise pas les bras. Au Chili, en Argentine, au Brésil, en Colombie ou en Bolivie, la politique suit son cours loin de la prétentieuse Europe qui se croit encore le centre du monde. La plupart des pays latino-américains subissent eux aussi la dynamique mondiale d’extrême droite et l’autoritarisme du gourou de Mar-A-Lago, Donald Trump, et des militants se battent, avancent des compromis, se lancent dans des primaires à gauche, ou tentent des rencontres et des moments d’échange.

Argentine : 66e sommet du Mercosur (2-3 juillet)

Il s’agissait de la réunion de passation de témoin entre l’Argentine et le Brésil. Pour la circonstance, l’homme à la tronçonneuse Javier Milei recevait les « rouges » de la région, Lula le Brésilien, Yamandu Orsi pour l’Uruguay, et Luis Arce pour la Bolivie. Le président du Paraguay, Santiago Pena rétablissait un peu l’équilibre vers la droite.

Milei avait promis de dynamiter le Mercosur et de signer un traité bilatéral avec son ami Trump, mais il a dû se calmer face aux salves de droits de douane lancés par Washington, qui n’auront épargné personne, pas même l’Argentine !

Ceci a permis à la réunion du Mercosur de se centrer sur les points d’accord :

Au moment de reprendre à Milei les rênes du Mercosur, Lula a mis tout son enthousiasme pour dessiner les contours d’une présidence ambitieuse, centrée sur la signature avec l’Union européenne, la recherche de coopération avec l’Asie, l’intégration du Panama, de la Colombie et de l’Équateur, sans oublier la lutte contre le crime organisé (de toute première importance dans le sous-continent ravagé par le trafic de drogue) et l’indépendance monétaire de la zone grâce à des échanges régionaux en monnaie locale. En gardant bien sûr comme cap, car c’est Lula qui parle, l’inclusion sociale et la lutte contre les inégalités, sans lesquelles « il n’y aura pas de progrès durable ».

En marge de la réunion, Lula a été autorisé par la justice argentine à se rendre au domicile de son amie Cristina Kirchner où elle purge une peine de six ans pour fraude.

Chili : Primaires à gauche en vue des présidentielles de novembre

En 2021, Boric était arrivé en tête de la primaire à gauche en devançant à une très large majorité (60-40) le candidat communiste, pourtant favori. Cette fois, à quatre mois du scrutin présidentiel, c’est la candidate du parti communiste Jeannette Jara qui prend la tête, totalisant 60 % des voix, très largement devant le candidat du mouvement de Boric (Frente Amplio) à 9 %.

Les deux candidates arrivées en tête ont été ministres de Boric. Jara aux affaires sociales a porté plusieurs réformes positives pour les Chiliens, notamment la réduction du temps de travail qui passe à 40 heures hebdomadaires, alors que la candidate arrivée en seconde position affrontait au ministère de l’Intérieur d’incessantes attaques de la droite et de l’extrême droite sur l’immigration et la criminalité.

Luis (résident à Santiago, qui est déjà intervenu dans Respublica) décrit Jeannette Jara comme une personne volontaire, énergique, intelligente « qui devrait pouvoir faire face au rouleau compresseur de la droite et notamment du candidat d’extrême droite battue en 2021, Antonio Kast ». Pour lui, les candidats de gauche sont aujourd’hui soumis à un problème d’identité : qu’est-ce que le socialisme, qu’est-ce que le communisme ? Au Chili, l’opposition à Jara évoque les désastres économiques de Cuba, la démocratie électorale douteuse du Venezuela ou encore la vague de répression au Nicaragua. « Si les idées d’extrême droite se développent si aisément, c’est parce qu’il est tellement facile de désigner les migrants comme responsables de la délinquance ou du chômage », souligne Luis.

Et, au niveau régional, le Chili a un voisin encombrant, « l’homme à la tronçonneuse », qui dit faire revivre l’Argentine en la privatisant et en détruisant toutes ses structures sociales. Des « politiques de la terre brulée » appuyées en paroles et en actions par Trump, qui n’hésite pas à intervenir dans les affaires intérieures des pays de la zone, notamment le Brésil, la Colombie ou le Mexique. Or, Luis en est conscient : on ne peut plus se tourner comme par le passé vers l’Europe, et notamment la France, qui était source d’idée, d’appui et de solidarité. À l’exception de l’Espagne, tous les Européens « collent » aux États-Unis. Dans le contexte actuel, il reconnait qu’il est difficile pour la gauche de partir favorite…

Brésil : 17e sommet des Brics Rio (6 et 7 juillet)

Un sommet en temps de guerre, militaire, politique et économique : les États-Unis viennent de bombarder l’Iran, Israël est toujours à Gaza, Poutine ne se précipite pas pour signer la paix avec l’Ukraine et Trump menace la planète de ses taxes douanières. Les médias se demandent bien comment les Brics, composés de pays si divers, pourront arriver à des accords…

Et, de fait, la déclaration finale propose de « renforcer le multilatéralisme et de réformer la gouvernance mondiale », de « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité internationales »… Grandes idées sur lesquelles il est facile de ne pas avoir de points de vue divergents.

Prochain sommet en Inde en 2026.

Rassemblement de la gauche au Chili (21 juillet)

Seconde rencontre « Démocratie toujours » qui réunissait Lula le Brésilien, Yamandu Orsi l’Uruguayen, Petro le Colombien et l’Espagnol Pedro Sanchez. La première rencontre avait eu lieu l’an dernier à l’initiative de Lula et en marge l’Assemblée des Nations unies, mais, depuis, le monde a subi plusieurs secousses du nouveau maitre de Washington, sans que personne n’ose critiquer son autoritarisme et sa pratique du chantage comme politique d’État. La rencontre, même prévue de longue date, a donc largement ciblé le président américain, en évoquant tour à tour les attaques contre les institutions démocratiques, les inégalités et leurs effets sur la démocratie ainsi que la lutte contre la désinformation et le pouvoir des grandes plateformes.

Le communiqué (en partie) des cinq chefs d’État témoigne d’une autre vision du monde :

Dans différentes parties du monde, la démocratie est confrontée à une période de grands défis. L’érosion des institutions, l‘avancée de discours autoritaires impulsés par différents secteurs politiques et le désintérêt croissant des citoyens sont les symptômes d’un malaise profond dans de larges secteurs de la société. À cela s’ajoutent des inégalités persistantes, le recul des droits fondamentaux, la propagation de la désinformation et des discours de haine sur les plateformes numériques, et l’expansion des réseaux criminels qui remettent en question la légitimité de l’État.

Dans ce scénario, il n’y a pas de place pour l’immobilité ou la peur. Nous défendons l’espoir. Dans un monde de plus en plus polarisé, en tant que dirigeants progressistes, nous avons le devoir d’agir avec conviction et responsabilité face à ceux qui ont l’intention d’affaiblir la démocratie et ses institutions. Parce qu’il ne suffit pas d’évoquer la démocratie ou de parler en son nom : il faut la renforcer, la renouveler et lui donner un sens à ceux qui estiment que ses promesses n’ont pas été tenues. C’est avec plus de démocratie que nous créerons plus d’opportunités pour les générations futures et que nous nous adapterons au mieux aux défis mondiaux posés par l’intelligence artificielle ou le changement climatique. Résoudre les problèmes de la démocratie par plus de démocratie, toujours.

Aujourd’hui, nous sommes unis par la certitude partagée de la nécessité d’améliorer la réponse de l’État aux exigences de nos peuples et de gouverner efficacement, avec justice, avec des droits. Avec la démocratie, toujours. Et avec la conviction que défendre la démocratie en ces temps difficiles, ce n’est pas seulement résister et protéger, mais aussi proposer et continuer à avancer. C’est la tâche urgente de notre temps.

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