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Cartel de Mar-A-Lago. Épisode 1 : Trump se casse les dents au Brésil

Portrait officiel de Luiz Inácio Lula da Silva (2023) - Palácio do Planalto from Brasilia, Brasil, CC BY 2.0 , via Wikimedia Commons

Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le Président américain intervient de manière éhontée dans les affaires intérieures de bon nombre de pays sans que cela ne fâche personne outre mesure. Les médias comme les gouvernements préfèrent adopter un ton conciliant, tournés qu’ils sont vers une négociation qui tourne souvent à la compromission. La furia de Washington n’a pas épargné le Brésil, mais son Président et ses institutions ont fait mieux que résister : ils donnent une véritable leçon de dignité aux responsables politiques et autres décideurs, notamment européens.

Acte 1 – Musk et son réseau X

Les hostilités américaines avaient commencé avant même le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, avec un autre protagoniste tout aussi célèbre pour son arrogance et son hostilité à la gauche : Elon Musk. En avril 2024, il s’en prend au magistrat de la cour suprême et au Président brésilien en affirmant sur son réseau social X : « Moraes dictateur du Brésil tient en laisse Lula ».

Pourquoi cette hargne à l’encontre d’un magistrat et d’un chef d’État ? Contrairement à la justice étasunienne, qui n’a pas sanctionné Trump suite aux émeutes du Capitole, les institutions brésiliennes ont pris très au sérieux la tentative de coup d’État du 8 janvier 2023(1)L’AMÉRIQUE LATINE EN QUELQUES MOTS – ReSPUBLICA. : les suspects ont été jugés, tout comme les influenceurs d’extrême-droite regroupés au sein de « milices numériques » proches de l’ex-président Bolsonaro et responsables de la diffusion de fausses informations.

Le tout puissant Musk voit alors son réseau X suspendu sur tout le territoire brésilien et condamné à payer cinq millions de dollars d’amende. Après presque deux mois de blocage, Musk est contraint de se conformer à la loi brésilienne pour qu’X soit à nouveau autorisé dans le pays.

Une sacrée leçon donnée à tous ceux qui, à travers le monde, pestent contre les géants de la Tech et sont incapables de se faire respecter.

Mais l’histoire ne fait que commencer.

Acte 2 – Condamnation de Jair Bolsonaro 

En février 2025, Eduardo Bolsonaro, l’un des fils de l’ex-Président brésilien, accourt à Mar-A-Lago pour demander de l’aide au Président des États-Unis. On pourrait imaginer leur entrevue comme une séquence du film Le Parrain, avec les dialogues suivants :

Eduardo Bolsonaro : « Moraes et Lula veulent jeter mon père en prison, et moi aussi peut-être, il faut nous sauver. Ils accusent mon père d’avoir voulu faire assassiner le Président élu, son vice-président, mais aussi Moraes. Ils disent même qu’il s’agit d’un coup d’État ! Mon père voulait juste vous imiter, vous qui avez réussi à faire prendre d’assaut le Capitole sans vous faire condamner. Nous, on voulait juste prendre la présidence de la République, le Congrès (Sénat et Assemblée nationale) et le Tribunal suprême Fédéral. On ne comprend vraiment pas pourquoi on serait condamné pour ça… »

Et Trump de répondre : « Je vais voir ce que je peux faire pour toi, Eduardo. Je viens d’offrir 50 millions de dollars pour la tête de Maduro, je veux reprendre la main sur le canal de Panama, je voudrais bien faire du Canada un 51e État américain… On ne va pas se laisser embêter par cette bande de gauchistes brésiliens qui menacent ton père ». Et il ajouterait, comme dans le film : « Pour l’instant je ne te demande rien en retour, mais le moment viendra. »

Le Parrain de Mar-A-Lago a dégainé une série d’attaques contre le Brésil, en commençant par l’augmentation des droits de douane de 10 % à 50 %, au motif d’obliger les instances judiciaires à abandonner les poursuites contre les instigateurs du coup d’État, poursuites qui relèveraient selon lui d’« une chasse aux sorcières ». Les taxes sont clairement prononcées au nom de l’idéologie !

Pour faire bonne mesure, au département d’État, les collaborateurs du Parrain diffusent leur rapport 2024 sur les droits de l’homme au Brésil, où l’on apprend que « Lula a réprimé le débat démocratique et que la Cour suprême a censuré les entreprises américaines en les obligeant à supprimer des publications sur les réseaux sociaux ».

La vérité, c’est que, selon les données du Global Expression Report sur la liberté d’expression, le Brésil est passé de la 81e place en 2023 (fin du mandat de Bolsonaro) à la 31e. Mais l’épisode « Musk » n’a toujours pas été digéré à Washington !

Après avoir sanctionné l’État, les autorités américaines s’en prennent aux fonctionnaires : Moraes se voit retirer son visa d’entrée aux États-Unis, ainsi que la possibilité d’utiliser ses cartes de crédit. Il n’a fait pourtant qu’appliquer la loi du Brésil, il n’a pas contrevenu à celle des États-Unis…

La rétorsion ne se limite pas à l’institution judiciaire, puisque le ministre de la Santé brésilien est également frappé : il est accusé de travailler avec des médecins cubains.

Tout content de ses interventions, le Parrain pavane : « À présent, Lula peut m’appeler quand il veut ».

Oui, mais Lula est un Président qui respecte les lois et les instances internationales. Il ne rappelle pas le Parrain, car il n’a aucune faveur à lui demander. Il réagit en toute tranquillité, et saisit début août l’organisation mondiale du commerce (OMC), en précisant tout de même que Trump se prenait « pour un empereur », que la justice brésilienne était indépendante et que, si Trump était Brésilien, il serait actuellement sur le même banc que Bolsonaro, celui des accusés.

Car la dignité d’un pays ne se négocie pas sur les réseaux sociaux, en tout cas plus depuis que Bolsonaro a quitté le pouvoir au Brésil. La fermeté de Lula contraste fortement avec l’attitude adoptée sur le même sujet presque au même moment par la représentante de l’Union européenne, Von der Leyen.

Dans ce bras de fer, le Brésil reçoit néanmoins un large soutien du Président chinois, pas mécontent de l’outrance dont font preuve les États-Unis dans cette tentative d’ingérence sur le sol brésilien.

Acte 3 – le dégel à l’ONU

Plusieurs semaines s’écoulent sans que le contact soit établi entre Brasilia et Washington, jusqu’à ce « hasard », qui fait parfois bien les choses : Trump et Lula se croisent dans les couloirs de l’assemblée générale de Nations unies. Et là, c’est le coup de foudre. Trump, qui intervient quelques minutes après à la tribune de l’organisation, commente leur entrevue : « il a l’air sympa », « excellente alchimie en 30 secondes »…

Pour qui connait un peu le Parrain, il n’y a pas eu plus de coup de foudre que ça, mais Trump réalise que, face à lui, un petit homme lui tient tête et il n’aime pas ça. De plus, depuis le début de ce bras de fer avec le Brésil, la cote de popularité du gouvernement Lula ne cesse de monter (48 % d’approbation contre 40 % en mai). À un an de la prochaine élection présidentielle, tous les sondages le donnent en tête au premier tour et vainqueur au second, quel que soit son concurrent.

Et puis, sur le plan économique, les États-Unis vendent plus au Brésil et pas le contraire. Les investisseurs, des patrons pourtant plutôt proches du bolsonarisme, se déclarent favorables à Lula, qui défend l’économie, les valeurs et la fierté du pays. D’où ce soudain amour du Parrain pour un ancien syndicaliste qui incarne la gauche avec panache et générosité.

En attendant, les comploteurs complotent et tentent de sauver l’image d’une extrême droite conservatrice et revancharde. Aux États-Unis, le fils Bolsonaro sonne à toutes les portes des Républicains, tandis qu’au Brésil, les députés d’extrême droite concoctent une loi d’amnistie qui permettra d’absoudre tous les acteurs de cette piteuse tentative de coup d’État et autorisera Jair Bolsonaro à se représenter, un jour, à une élection. Même si la perspective d’une prochaine rencontre des deux chefs d’État leur donne des sueurs froides.

En conclusion

Le comportement mafieux et les tentatives d’ingérence de Musk puis de Trump à l’égard des institutions brésiliennes sont venus se fracasser contre leur fermeté, leur recours au droit et leur respect de la démocratie. Lula sait que le chemin est encore long pour la prochaine présidentielle. Et il le dit lui-même : il aimerait ne pas avoir à se représenter. Il sait également que les sondages un an avant une élection ne sont qu’un encouragement, mais surement pas une certitude pour l’avenir. Il sait enfin que les forces d’extrême droite sont plus que jamais unies à l’international et que le Parrain est capable de tout pour déstabiliser la fragile démocratie brésilienne. Pourtant, on peut méditer à ce jour les propos relevés dans The Economist : « Temporairement au moins, le rôle de l’adulte démocratique de l’hémisphère occidental s’est déplacé vers le sud »…

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