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CUBA : CIBLE D’UNE PERPETUELLE AGRESSION POLITIQUE ET MEDIATIQUE

Panneau anti-impérialiste installé devant les locaux de la Section des intérêts des États-Unis à La Havane. © Михаил Ковенский

Le 18 mars, plusieurs médias dont TV5, Rfi et France 24 reprennent la même dépêche de l’AFP, sous le même titre : « A Cuba où la colère monte contre les pénuries, le pouvoir dénonce une déstabilisation ». Le peuple cubain va-t-il se révolter ? Va-t-il envahir la Havane et déferler comme pour un 1er mai qui voit chaque année, depuis 60 ans, des centaines de milliers de personnes défiler pour soutenir le régime et la dignité d’un peuple sous blocus ?

A chaque étincelle de mécontentement sur l’île, les médias accourent du monde entier ou reprennent les dépêches écrites par quelques journalistes en herbe venus recueillir la parole de citoyens exaspérés par leur quotidien. Oui, les Cubains sont fatigués de subir depuis des années des coupures d’électricité ou d’eau et de ne rien trouver sur les marchés, ou alors à des prix exorbitants.

Une déstabilisation bien orchestrée 

Le 17 mars dernier, quelques centaines de personnes sortent en effet dans les rues de Santiago (850 km de la capitale) pour protester contre des coupures d’électricité de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues et les pénuries de tous les produits de première nécessité (huile, riz ou café). Les instigateurs de cette manifestation « spontanée » comptent bien sur un réel chaos énergétique et alimentaire pour embraser l’île, et peut-être parvenir enfin à faire chanceler ce que certains médias se plaisent à qualifier de « dictature communiste ».

Mais la « dictature communiste » tient bon : le président Diaz Canel fait parvenir en ville des produits de première nécessité tandis que les élus locaux et le responsable du PC de la région expliquent aux manifestants les raisons des problèmes contre lesquels ils se sont élevés. L’île retrouve le calme sans que les autorités aient à envoyer de forces anti-émeutes (comme les Brav qu’on appelle à la rescousse si vite en France). Personne n’est éborgné… mais les problèmes demeurent.

Car la pandémie de 2019 à 2021 a porté un coup fatal en asséchant le peu de devises obtenues grâce au tourisme, alors même qu’en dépit de ces circonstances particulières dont le monde entier a souffert, le blocus n’a pas été levé. Ce qui n’a pas empêché Cuba de répondre favorablement à plusieurs pays (dont l’Italie) qui avaient besoin de médecins en urgence. Néanmoins la période n’a fait qu’amplifier les faiblesses économiques du pays.

Diaz Canel qui avait succédé à Raul Castro juste avant le début de la pandémie, en 2018, a dû comme tous les chefs d’Etat alors faire face aux exigences du moment : hôpitaux débordés, achats de vaccins, hausse du taux de mortalité… dans un contexte économique désastreux et s’en est sorti non sans difficulté.

Comme par hasard, c’est au sortir de cette période, plus exactement du 11 au 17 juillet 2021, que s’organise depuis Miami la « rébellion ». Plusieurs villes importantes du pays dont la capitale voient des milliers de Cubains s’en prendre au régime comme rarement ces dernières années. Diaz Canel n’est pas dupe de la spontanéité du mouvement et reproche à l’ambassade des États-Unis de l’avoir orchestré et financé. Bien évidemment les États-Unis, mais également l’Union européenne, demandent fermement aux autorités de respecter le droit à manifester et de libérer les prisonniers ayant participé aux exactions durant les sept jours de casse.

Casse d’ailleurs surprenante quand on connaît la mentalité des Cubains toujours soigneux des matériels qu’il est si difficile de se procurer sur l’île. Ces actions violentes laissent donc perplexes les connaisseurs de l’île qui voient les voitures et les bus incendiés sur des images qui font le tour du monde en clamant : « le peuple cubain se révolte ». 

En juillet 2021 comme en mars 2024, le pouvoir n’a pas besoin d’enquêter longtemps pour trouver les fauteurs de troubles sur place, mais les auteurs intellectuels (et les soutiens financiers) se trouvent ailleurs. La Floride, l’un des États « clés » des élections présidentielles américaines, abrite depuis des décennies une diaspora cubaine qui a gravi tous les échelons de la société et est désormais parvenue à faire élire des sénateurs et des membres du Congrès (démocrates ou républicains) très influents : le sénateur républicain de Floride Marco Rubio, le sénateur démocrate du New Jersey Bob Mendez ou encore Ted Cruz (ex-sénateur du Texas, soutien de Trump). Tous militent pour imposer leur point de vue et pèsent sur la politique américaine vis-à-vis de Cuba.

L’hystérie américaine et européenne

Barak Obama a initié en 2014 une nouvelle stratégie dont le but était… de changer radicalement de stratégie : desserrer l’étau du blocus, faciliter le tourisme et les échanges culturels, et surtout financer l’accès aux nouvelles technologies et à Internet. Le président américain pariait alors sur cette ouverture, et espérait ainsi introduire une sorte de cheval de Troie sur l’île en changeant radicalement les mentalités. Ses successeurs ont stoppé net cette stratégie et Biden (pourtant ancien vice-président de Obama) a rejoint Trump pour ne voir en Cuba qu’un des représentants de « l’axe du mal » (avec notamment le Venezuela et le Nicaragua). Est-ce un hasard si, en 2021, Cuba et le Nicaragua ont connu les mêmes soulèvements « spontanés » ? Manifestations assez violentes pour occasionner un mort à Cuba et 300 au Nicaragua.

Une aubaine pour Joe Biden qui célèbre le sommet des Amériques en juin 2022, sommet auquel aucun des trois pays latino, jugés coupables d’avoir arrêté des personnes pour troubles à l’ordre public, n’est invité. Le président américain compte sur la présence du Colombien Ivan Duque, qui s’est distingué en organisant un referendum débouchant sur la remise en cause des accords de paix dans son pays, ou du Brésilien Jair Bolsonaro, qui avait brillé lors de la session sur l’empêchement de Dilma Roussef en vantant les mérites du tortionnaire de celle-ci pendant la dictature militaire. Bref, rien que du beau monde très démocrate (précisons que le Mexicain Manuel Lopez Obrador avait refusé de participer à cette mascarade !)

Pour faire bonne mesure, les autorités américaines écartent toujours la possibilité de retirer Cuba de la liste des États qui parrainent le terrorisme, et quatre élus républicains de la chambre des représentants s’opposent à la normalisation des relations avec Cuba en présentant un texte auquel ni Biden ni Trump ne trouveront rien à redire !

Dans ce contexte d’hystérie américaine, l’Union européenne ne fait pas mieux. Certes, elle n’agit pas directement comme le font les États-Unis, mais n’en demeure pas moins une complice attentive qui n’hésite pas à voter des sanctions à l’encontre de l’île, et joue en parfaite harmonie avec la politique de Trump, puis de Biden.

En juillet 2023, juste avant le sommet Union européenne-CELAC, le parlement européen vote ainsi une résolution contre le régime cubain sur les droits de l’homme et s’oppose au voyage à Cuba de Joseph Borrel, accusé de « blanchir » les autorités de l’île. But non avoué du parlement : éviter toute coopération et maintenir le blocus.

Les choix du Parlement, qu’ils s’appliquent à Cuba ou au reste de l’Amérique latine, confirment l’affaiblissement des partis de gauche et la consécration d’un pacte idéologique entre les droites conservatrices et l’extrême-droite.

Cuba dénonce cette collusion entre Européens et Américains, qui consacre un interventionnisme permanent et fait comme si le blocus n’existait pas. Ce tout petit pays communiste attend, lui, que la résolution que les Nations unies renouvellent chaque année et qui prévoit de lever le blocus et les sanctions économiques soit enfin appliquée. Mais il faudrait pour cela que les États-Unis et Israël votent pour…

Or Cuba n’est pas « du bon côté », favorable depuis toujours à un Etat palestinien, opposé à la guerre en Ukraine et membre des pays non alignés, à un moment de l’histoire où l’Europe, « collée » aux États-Unis (pour qui « communisme » est un gros mot) pardonne plus facilement sa vision des droits de l’homme à l’Arabie saoudite qu’à un pays où ses intérêts économiques ne sont pas en jeu.

24.01.23, rencontre entre Lula et Miguel Diaz-Canel © Lula Oficial

En revanche, Cuba trouve du soutien auprès des pays latino-américains, ceux de l’Alba (surtout le Venezuela lui aussi soumis au blocus américain), mais également le Brésil (Lula y a dépêché son conseiller spécial et ami Celsio Amorim). La coopération avec la Chine ou la Russie (vu le contexte actuel) s’inscrit plus sur le long terme, mais le ministre des affaires étrangères russe Sergei Lavrov parlait dernièrement d’un rapprochement avec la Brics, qui pourrait être aussi une voie d’évolution.

Commentaires 

Sur une île qui subit des sanctions lourdes, il se peut que d’autres manifestations « spontanées » surgissent : elles passionneront les Américains, le parlement européen et les médias. Tous en connaissent les causes profondes, mais tous feignent de croire que seul le régime impose des conditions drastiques à ses ressortissants…

L’hypocrisie des États, mais également des partis politiques, principalement de droite, mais aussi hélas parfois de gauche, continue à mettre Cuba au pilori au nom des droits de l’homme. Pourtant, tous savent que le pays est assiégé par une grande puissance et que toute société ou Etat qui souhaite coopérer avec l’île est passible lui aussi de sanctions. Mais le silence demeure sur ce point, et les loups de tous bords continuent de hurler.

Face à ces attaques politiques et médiatiques incessantes, rares sont ceux qui se détachent de la meute. La secrétaire générale du parti des travailleurs brésilien (PT, parti du président Lula) Gleisi Hoffmann vient pourtant de conclure une visite à Cuba, qui lui a permis de rencontrer le président Diaz Canel, de s’engager à dynamiser les accords déjà existants entre les deux pays et à trouver de nouvelles solutions pour contourner ce qu’elle qualifie de « blocus criminel ».

Une réponse courageuse et digne d’intérêt face à l’hystérie des États-Unis et de l’Union européenne envers une île assiégée depuis plus de 60 ans.

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