Situation militaire
Mais, en état de guerre, c’est bien la situation militaire qui est le facteur le plus important du rapport de force. La diplomatie se place forcément derrière et entérine le plus souvent qui sera le vainqueur et qui sera le vaincu.
Débutons donc par un point sur la situation militaire avant d’analyser les dernières discussions entre les deux hommes qui semblent réellement en charge de la paix ou de la guerre, c’est-à-dire Poutine et Trump.
Sur le front, les forces ukrainiennes sont sur les talons alors que les FAFR, Forces Armées de la Fédération de Russie, continuent leur offensive en forme de laminoir. La tactique est simple : pas d’offensive massive et en profondeur, pouvant éventuellement mettre en danger les flancs de cette percée du front, mais un grignotage lent et constant de 5 à 30 km par jour.
État de l’armée ukrainienne : au bord de la rupture
Quant à l’armée ukrainienne (Forces Armées de l’Ukraine, FAU), elle traverse une crise d’effectifs depuis des mois. De son côté, la ligne de front longue de plus de 1 250 km n’est pas occupée de manière continue. Les FAU ont réorganisé leurs positions défensives en créant des pôles de regroupement de leurs forces, rayonnant sur plusieurs kilomètres, voire même des dizaines de kilomètres, pour contrer les tentatives russes de pénétration. C’est un pis-aller, mais sa mise en œuvre épuise les effectifs, constamment obligés de courir à la rescousse pour faire barrage à une tentative ou à plusieurs micro-percées de l’ennemi. Par ailleurs, côté défenseur, elle est presque aussi coûteuse en vies humaines que pour l’attaquant, car les positions défensives de tirs ne sont pas fixes et protégées à l’avance.
Comme sur tous les sujets liés à cette guerre en Europe, nous ne disposons pas d’informations indépendantes sur le nombre de soldats dont dispose l’Ukraine sur le front. Il faut rappeler que ses forces armées, les FAU, sont en fait une armée de professionnels, payés aux alentours de 3 500 dollars par mois. C’est une véritable fortune dans ce pays. Par ailleurs, dès 2022, des milliers et peut-être des dizaines de milliers de mercenaires venant de tous les continents ont afflué en Ukraine. Or, depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, les fonds de trésorerie commencent à manquer et de nombreux mercenaires ont quitté le champ de bataille, faute de primes.
Signalons également que les soldats âgés ne renouvellent pas toujours leurs contrats d’engagement, car leur solde diminue constamment. La moyenne d’âge des FAU est de 44 ans. Le gouvernement Zelensky tente bien d’organiser une conscription en abaissant l’âge de l’engagement obligatoire de 27 à 25 ans, mais sans effet réel pour l’instant, tant les passe-droits et la corruption sont nombreux. Ainsi, il est impossible de compenser les pertes humaines, morts et blessés graves, et la rotation des régiments ne se réalise pas à un rythme acceptable pour permettre un repos du combattant lors des permissions de longues durées.
Bref, les FAU sont au bord de la rupture.
L’armée russe pousse son avantage dans le Donbass… mais lentement
L’armée russe (FAFR) continue sa tactique du laminoir. Très coûteuse en vies humaines pour les deux camps, elle permet à Moscou d’épuiser l’Ukraine, pays quatre à cinq fois moins peuplé que la Russie, et sans risquer de subir un contrecoup lors d’une offensive générale risquée. Les Russes se souviennent de la catastrophe de l’offensive de février à avril 2022, qui se termina pratiquement en débandade devant Kiev et sur tout le front nord. Les FAFR savent que les renseignements occidentaux sont au service de l’Ukraine. D’où l’impossibilité de masquer aux satellites-espions de l’OTAN la préparation d’une offensive d’ampleur. Le Kremlin ne veut rien risquer et privilégie donc le grignotage, en particulier dans l’est du front, dans le Donbass.
Ainsi, jour après jour depuis des semaines, la bataille principale se concentre pour le contrôle de Pokrovsk, ville-forteresse ukrainienne du Donbass. Cette cité, qui comptait environ 60 000 habitants avant l’invasion de 2022, est devenue depuis fin 2024 le théâtre de l’affrontement le plus important pour les deux camps.
Pokrovsk fait en effet partie des derniers grands centres urbains encore contrôlés par Kiev dans la région de Donetsk, que le Kremlin a annexé à la Fédération de Russie en septembre 2022. La ville semble quasiment encerclée. Si l’armée russe s’en emparait, les autres villes-forteresses du Donbass seraient menacées, car Pokrovsk est un carrefour stratégique de communication. Kiev risque à court terme de perdre pied dans toute la région revendiquée par Moscou.
Le front diplomatique entérine le rapport de force sur le terrain
Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Trump tente de conclure un accord avec son « ami » Poutine. Pour y parvenir, Washington a mis la pression sur Kiev. Les lignes de crédit ont partiellement été coupées ou réduites. Plus particulièrement, les versements en cash pour les soldes des militaires ont été considérablement diminués. Certes, les pays européens ont partiellement compensé cette perte de subventions, mais cela ne suffit pas. Sur le plan des livraisons d’armes, la situation est presque identique : les États-Unis les réduisent et les Européens les compensent, mais uniquement de manière partielle.
C’est sur le plan de la défense antiaérienne des villes d’Ukraine que la situation est la plus tendue. Les États-Unis refusent de livrer les éléments d’un « Dôme de fer » antidrones et antimissiles, à l’exception de quelques batteries de Patriot d’anciennes générations. Ainsi, Kiev subit des bombardements massifs plusieurs fois par semaine, provoquant des dizaines de morts à chaque raid.
La tactique de Trump est limpide : il veut étrangler progressivement l’Ukraine et amener son président à accepter un cessez-le-feu sur la ligne de front.
L’Europe aboie beaucoup mais ne mord pas
Pendant ce temps, l’Union européenne gesticule. En fait, elle n’est pas unifiée sur la ligne à suivre. Début octobre a eu lieu à Londres la rencontre de la « Coalition of the Willing » (coalition des volontaires). L’objectif était d’accroître la pression sur la Russie, notamment en limitant ses revenus pétroliers et gaziers, et en intensifiant l’aide militaire à l’Ukraine. Autant dire une réunion pour pas grand-chose, la Russie n’ayant aucun problème de débouchés pour ses hydrocarbures et son gaz grâce à la Chine populaire !
Autre point crucial mis en avant par l’Union européenne : un possible accord visant à utiliser 140 milliards d’euros d’avoirs russes gelés pour financer l’aide à l’Ukraine. Ce projet radical avait le vent en poupe depuis des mois. Macron en était le principal soutien. Mais tout s’est effondré en raison de préoccupations juridiques soulevées par la Belgique. En réalité, la position belge sert d’alibi à une Europe très martiale en paroles, mais absolument pas prête à réellement croiser le fer avec Moscou.
L’institution européenne sait pertinemment qu’elle n’est pas en état d’entrer en guerre, ni au niveau de sa production d’armement, ni au niveau des effectifs des armées des nations la composant. Pour tenir le choc, il faudrait impérativement un retour rapide à la conscription… ce qu’aucun gouvernement ne veut.
Trump veut arrêter la guerre par un cessez-le-feu sur la ligne de front
Le président des États-Unis tord le bras de l’Ukrainien pour obtenir un cessez-le-feu sur la ligne de front.
Malgré l’inertie de Poutine, Trump maintient sa ligne, qui consiste à privilégier malgré tout son rapport amical avec le maître du Kremlin. Depuis sa réception en grande pompe en Alaska le 15 août dernier, rien ne semble bouger. Poutine avait pourtant affirmé ce jour-là qu’un « accord avait été conclu »… ce qui avait inquiété terriblement Kiev. Mais ce supposé accord entre les deux hommes n’a jamais été révélé… Quel est-il ? Quel est son contenu ? Poutine avait même rajouté en conférence de presse que « les modalités de sa mise en œuvre sont difficiles ». Voulait-il parler du refus de céder du président ukrainien ? Mystère. Ce qui est certain, c’est que, depuis cette date, les rencontres Trump-Zelensky se succèdent… et se passent très mal. La dernière en date à Washington s’est encore une fois terminée par des jurons proférés par Trump. La réalité est là : le président des États-Unis tord le bras de l’Ukrainien pour obtenir un cessez-le-feu sur la ligne de front.
Reste la bien curieuse annonce par Trump de nouvelles sanctions concernant les compagnies pétrolières russes. S’agit-il d’entraver la vente des hydrocarbures et du gaz de la Fédération de Russie pour l’obliger à négocier ? Certainement pas, puisque Moscou n’a strictement aucun mal à écouler son pétrole ou son gaz à la Chine populaire, par exemple. En fait, Washington sanctionne deux géants russes du secteur, Rosneft et Lukoil. Très bizarrement, au lieu de protester avec véhémence, la société Lukoil a diffusé deux jours plus tard le communiqué suivant : « En raison de l’introduction de mesures restrictives à l’encontre de la société et de ses filiales par certains États, la société annonce son intention de vendre ses actifs internationaux ».
Encore plus curieux est le fait que Lukoil a lancé un processus d’examen des offres d’acheteurs potentiels intéressés… sous une direction et une supervision américaine ! En effet, la vente sera réalisée dans le cadre d’une licence spéciale accordée par l’Office américain de contrôle des actifs étrangers (OFAC). Cette étrange affaire est à suivre. Qui va acheter ces actifs internationaux ? Des amis de Trump ? La famille de Trump ? Ou, pourquoi pas, directement la holding de Trump ? À ce stade nul ne peut le dire, mais n’oublions pas que le président des États-Unis est également un milliardaire businessman ! Nous pouvons ainsi imaginer que cette soudaine cession d’actif fasse partie intégrante du « deal » entre Poutine et Trump… Les bonnes affaires renforcent les amitiés durables !
Dilemme mortifère pour Zelenski
Cet arrêt temporaire des hostilités serait une défaite cinglante pour Kiev, d’où le refus de Zelensky : en effet, cela entérinerait la perte de la Crimée, du Donbass, de Marioupol et de la mer d’Azov ; bref, un désastre. Mais que faire sans l’aide étatsunienne ? Que faire avec de soi-disant « nations volontaires » européennes qui, dans les faits, refusent l’engagement direct contre Moscou ? Zelensky sait que sa marge de manœuvre est extrêmement réduite. S’il accepte l’oukase de la Maison-Blanche, il perdra le pouvoir dans un très bref délai et son peuple le bannira. Accepter, c’est revenir aux propositions du projet d’accord d’Istanbul en mars-avril 2022. Depuis, des centaines de milliers d’Ukrainiens sont morts ! Peut-être plus d’un million ont été blessés. Accepter la trêve, c’est permettre le triomphe de Poutine, malgré les pertes hallucinantes de ses troupes, et tout cela organisé méthodiquement par son « ami » Trump, ravi de lui-même comme à son habitude.
Les populations civiles éternelles perdantes
Depuis plus de trois ans, a-t-on assisté à une guerre pour rien ? Le dilemme de Zelensky est terrible et la conclusion est proche. Mais la guerre, bien loin de toute morale, est toujours une machine implacable à broyer l’humanité.
