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Antivax, anti-pass, la mobilisation qui court l’été comme un canard sans tête

Photo d'un cerficat COVID et d'un masque

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Au cœur de l’été, à la fin juillet et durant le mois d’août, des manifestants ont parcouru en nombre les rues de dizaines de villes françaises. Combien étaient-ils ? Impossible à dire, les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquant 240 000 participants paraissent largement sous-estimés. L’événement est inédit : en pleine période estivale, en particulier lors du week-end du 15 août, des masses humaines se rassemblent contre l’État et la réglementation sanitaire qu’il a décidé d’imposer. Cette mobilisation massive est symptomatique, car il s’agit bien là du symptôme d’un corps social rendu malade par la pantomime d’un « pouvoir » jugé menteur et incompétent par une grande partie du peuple français. Un jugement qui remonte au triste épisode des masques, soi-disant inutiles, au printemps 2020.

Pas de pouvoir mais une gérance

Les guillemets entourant le mot « pouvoir » sont hélas justifiés. Plutôt que pouvoir, gestion ou gérance seraient plus appropriés. Macron n’exerce pas le pouvoir réel mais en assure la gestion car celui-ci est très officiellement ailleurs… même maintenant sur le plan de la politique sanitaire ! En effet, le pouvoir économique est à Bruxelles, le pouvoir monétaire à Francfort, le pouvoir militaire à Washington depuis la réintégration complète dans l’OTAN en 2009. Restait donc le pouvoir sanitaire comme compétence des gouvernements de chaque pays de l’Union européenne. D’ailleurs, en mars-avril 2020, la porte-parole de gouvernement expliquait que l’Europe n’était pas responsable de la situation face à la pandémie de la Covid-19 car « pour cela, il faudrait changer les traités européens » ! Au cours de l’été suivant, et de manière subreptice, puisque les traités n’ont pas été modifiés, la main est passée à la bureaucratie européenne. La France n’est plus en mesure de sélectionner ses vaccins et de négocier leur achat, contrairement au Royaume-Uni.

Macron prend tout seul les décisions engageant la vie quotidienne des Français. Puis celles-ci sont annoncées le soir même à la télévision au 20 heures, le suspense est insoutenable !

La manière dont la France a laissé filer à l’anglaise, c’est le cas de le dire, le vaccin de la société nantaise Valneva en est une parfaite illustration. Grâce à cette start-up bretonne, la France aurait pu se doter d’un vaccin dès l’automne… les élus locaux se sont mobilisés pour soutenir le projet. Pour toute réponse, le gouvernement leur a signalé que « le dossier avait été transmis à Bruxelles ». Bref un enterrement de première classe. La jeune entreprise de Nantes ne pouvait que succomber aux propositions alléchantes de Boris Johnson et son vaccin sera produit en Écosse ! Que reste-t-il donc à Macron et à son « pouvoir » jupitérien ? Uniquement la gestion administrative des mesures de maintien de l’ordre, de règlements pour les cafés, restaurants et les transports sur les lignes intérieures. Cette dégradation humiliante a donné lieu à l’émergence d’un phénomène assez classique en psychologie : la surcompensation.

Le petit théâtre du Président

En amateur de longue date de cet art, Macron a théâtralisé son rôle de « décideur » de manière grotesque hélas. On parlerait d’une bouffonnerie si le sujet n’était pas si dramatique. Observons la petite scène du théâtre de marionnettes : réuni en comité secret avec des membres mystérieux du   « conseil de défense » et sans en informer ni l’exécutif soit le gouvernement, ni le législatif soit le Parlement, Macron prend tout seul les décisions engageant la vie quotidienne des Français. Puis celles-ci sont annoncées le soir même à la télévision au 20 heures, le suspense est insoutenable ! Du grand Macron, digne de « je vais sauver le Liban ! » du même acteur l’année dernière à Beyrouth ! 
Cette saynète ridicule a cours dans un seul pays développé, le nôtre La chose est entendue, une partie du peuple français ne supporte plus les gesticulations d’un pouvoir fantoche. La traduction de cette situation est d’ailleurs apparue clairement dans les urnes : moins de 3 % du corps électoral s’est déplacé aux élections régionales et départementales pour glisser un bulletin pour le parti LREM du Président… Du jamais vu !

L’impact considérable des politiques publiques

Face à un « pouvoir » inconséquent et incompétent, littéralement vomi par un grand nombre de citoyennes et de citoyens, une mobilisation incohérente, au sens propre du terme, se développe et monte en pression.

Les faits sont têtus, sur la pandémie Macron et son équipe ont un mauvais bilan, c’est le résultat de leurs médiocres capacités mais aussi de leur base sociale inexistante. Or, une catastrophe sanitaire, tout comme une guerre d’ailleurs, exige une clairvoyance, une constance et une fermeté à toute épreuve, car des décisions difficiles et courageuses sont à prendre impérativement et au bon moment. Mais ces décisions sont à prendre de manière démocratique, c’est-à-dire en respectant les institutions. Clemenceau a démontré en 1918 que l’on pouvait gagner une guerre avec un contrôle parlementaire très strict. (Voir annexe ci-après)
En effet, les choix stratégiques des politiques publiques relatives à la lutte contre la Covid-19 ont eu un impact considérable. Prenons l’exemple de trois pays dont la population, une dizaine de millions d’habitants, et le niveau de développement sont relativement comparables, la Suède, la Tchéquie et Israël. Chacun a opté pour une politique publique différente : la Suède en laissant circuler le coronavirus, la Tchéquie en alternant fermeture et ouverture des frontières et des lieux publics et Israël en bouclant son territoire et en vaccinant en urgence. Le résultat en termes de pertes humaines fin août 2021 est instructif, Israël : 6 800 morts ; Suède : 14 700 morts ; Tchéquie : 30 400 morts ! Nous constatons donc des écarts considérables suivant les choix politiques adoptés pour lutter contre la pandémie par les différents gouvernements.

Une gestion inepte de la pandémie

Alors faisons le bilan pour notre pays : les chiffres ont volontairement été embrouillés. Si nous additionnions les décès des hôpitaux et ceux de certains établissements tels que les Ehpad aux compilations de l’Inserm des certificats de décès (plus de 11 000 morts supplémentaires de mars à novembre 2020… restent à intégrer les décès de décembre à août 2021), nous dépassons forcément la barre des 130 000 morts. C’est un très mauvais bilan. Si, par exemple, la France était au niveau d’Israël en termes de taux de morbidité, nous n’aurions pas dépassé les 47 000 décès ! La bureaucratie européenne et Macron, décideurs et gérant de la politique sanitaire, sont donc co-responsables de cet écart de 80 000 victimes, voilà la réalité. Depuis mars 2020, la gestion de la crise pandémique a été inepte en regard du niveau de développement et d’équipement sanitaire et hospitalier de la France. Macron et le gouvernement ont accumulé les erreurs et les retards à prendre les décisions qui s’imposaient. Là aussi, les ravages du « Et en même temps » macronien a eu des conséquences dramatiques. Dans la gestion de la crise pandémique, le « retard à l’allumage » a été la règle.
Dernier exemple en date, le dossier de la vaccination des enfants de moins de 12 ans, par ailleurs un point clé de la mobilisation antivax/anti-pass. Pourquoi attendre et tergiverser alors même que cette vaccination est indispensable pour limiter la circulation du coronavirus ? Comme d’habitude, la décision sera prise de toutes façons… mais avec trois mois de retard au minimum et des milliers de victimes supplémentaires.

Une mobilisation incohérente face à la gestion catastrophique de la pandémie

Face à un « pouvoir » inconséquent et incompétent, littéralement vomi par un grand nombre de citoyennes et de citoyens, une mobilisation incohérente, au sens propre du terme, se développe et monte en pression. Elle se caractérise par une opposition viscérale au pouvoir politique. Alors qu’en Allemagne ce type de mobilisation est apparu bien plus tôt et s’est rapidement dégonflé du fait d’un pouvoir certes critiquable mais crédible autour de Merkel ; en France il arrive sur le tard, après un an et demi de gestion de la pandémie par un président fantasque. D’ailleurs, la mobilisation en Allemagne apparaissait assez étrange aux yeux des Français. Chez nous, il s’agit d’une mobilisation anti Macron par défaut, une sorte « d’auto-allumage » contre le désastre de la Macronie, agglomérant des oppositions disparates et résolues.
Antivax fanatiques, complotistes, militants fascistes, gilets jaunes perdus en panne de manifestation, catholiques intégristes de Civitas, antisémites de tout poil, se mêlent à des gens sincèrement outrés par la gestion catastrophique de la pandémie. Toutes les tendances à la droite du RN de Le Pen se disputent le leadership. Philippot, Dupont-Aignan et autres Soral jouent des coudes pour politiser cette masse composite. Cette mobilisation court comme un canard sans tête.

Ce ras-le-bol général a éclaté spontanément car le mouvement social a horreur du vide. Aucun cadre de mobilisation populaire n’a été proposé ni par les partis politiques de gauche, France insoumise incluse, ni par les syndicats, ni même par des associations démocratiques. Devant l’inanité de la Macronie, n’est apparu qu’un vide politique. La passivité est la règle dans le camp démocratique et républicain. Jamais, un contre-pouvoir ne s’est développé, même de manière embryonnaire, pour faire face à la pandémie de la Covid-19. Contrairement à certains pays latino-américains, les critiques contre Macron n’ont jamais engendré une prise en charge pratique dans les quartiers populaires. Une sorte de passivité aigrie semble être la seule réponse. Pourtant, un rassemblement, en particulier autour du personnel hospitalier, était possible à l’été et à l’automne 2020. En fait, aucune organisation constituée du mouvement social n’a voulu « mettre le paquet » !

L’extrême-droite à la manœuvre, manipulant aigreur et ressentiment

Donc, dans ce vide sidéral, le mouvement est parti tout seul, sans direction et soumis aux pires influences possibles. Par ailleurs, n’ayant aucune structuration interne, même fragile, contrairement au mouvement des gilets jaunes, les débats et parfois même les affrontements physiques ne permettent pas d’éliminer les éléments fascistes des assemblées et des cortèges. Au début de ce mouvement né en novembre 2018, les extrémistes de droite étaient aussi à la manœuvre mais ils ont disparu progressivement car ils en ont été tout simplement expulsés. Aujourd’hui, c’est le contraire, l’incohérence des extrémistes antivax laisse le champ libre aux factieux car, par tradition politique, ils ont toujours su manipuler l’aigreur et le ressentiment au service des pires objectifs. Il est hélas certain que des manifestants cherchent à exprimer une sincère inquiétude face à la limitation des libertés individuelles liées à l’instauration du pass sanitaire. Mais ils servent de troupes pour un combat dont les objectifs idéologiques sont à l’opposé de la défense des libertés. Défiler au coude à coude avec les factieux ne fait que renforcer leurs positions politiques en augmentant la confusion. Clairement, l’extrême-droite a la main sur ce mouvement… et ne le lâchera pas.

La vaccination, seule solution contre l’hécatombe

Alors que faire ? Courir derrière le train d’une mobilisation aux objectifs ambigus pour soi-disant « redresser les choses dans le bon sens » sur le plan politique ? Cette vision que semblent adopter certaines directions syndicales est fondamentalement erronée. Soutenir le faux pour révéler le vrai est une démarche perdante et aberrante depuis toujours : à la fin du XIXe siècle en Russie, certains socialistes-révolutionnaires (SR) « comprenaient » les pogroms anti-juifs car ils étaient « populaires » ! La gauche républicaine ne suivra pas cet exemple historique. Il faut tout simplement dire la vérité : la vaccination est la seule possibilité d’éviter l’hécatombe provoquée par la Covid-19. Les « gestes barrières » sont hélas nécessaires.

Sur le passe sanitaire, il faut être clair : il est nécessaire si la vaccination n’est pas obligatoire. C’est l’un ou l’autre, mais la « liberté » d’infecter les autres citoyennes et citoyens dans des lieux publics n’est pas admissible.

Surtout, il faut être clair : la pandémie est encore devant nous et le restera tant que le génie humain ne maîtrisera pas la maladie Covid-19 et l’ensemble de ses variants. La nation du grand Pasteur devrait s’en souvenir. Les populations au taux de vaccination faible se retrouvent dans une situation catastrophique, l’exemple de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Polynésie française en est une illustration dramatique : les hôpitaux refusent l’accès aux malades Covid de plus de 60 ans. C’est la « sélection » pour sauver les jeunes en priorité. Voilà où mène la non-vaccination ! Par ailleurs, les organisations du mouvement social doivent sur le sujet de la vaccination pratiquer l’éducation populaire. Car l’on constate que plus on descend dans l’échelle sociale, moins le taux de vaccination est élevé, comme le signalait Thierry Lang professeur émérite de santé publique dans une tribune du Monde.
Sur le passe sanitaire, il faut aussi être clair : il est nécessaire si la vaccination n’est pas obligatoire. C’est l’un ou l’autre, mais la « liberté » d’infecter les autres citoyennes et citoyens dans des lieux publics n’est pas admissible. Bien sûr, la cohérence de l’application du passe est douteuse, il faut le critiquer mais dans le but de l’améliorer. Par ailleurs il faut le suspendre dès que possible car son utilisation doit être exceptionnelle car par définition contraire aux libertés démocratiques. Par exemple Israël a supprimé le passe entre mai et juillet, avant de le réimposer face à une quatrième vague du variant delta. Enfin, certaines demandes de passe sont contraire à l’éthique, par exemple pour accéder à l’hôpital et contraire dans certains cas au « serment d’Hippocrate ».
C’est sur ce constat qu’il faut intervenir et mobiliser le mouvement social, en particulier autour de l’hôpital public et pour la défense et le renforcement de la Sécurité sociale.
Sur le fond politique, il faut dénoncer l’illusoire « pouvoir personnel » en matière de réglementation sanitaire, énième avatar de la constitution anti démocratique de la Ve République. Par ailleurs, le pouvoir de la bureaucratie européenne doit être combattu sur le plan de sa politique sanitaire… comme sur les autres plans d’ailleurs !Toutefois, pour le moment, le mouvement social démocratique est atone, les organisations syndicales restent l’arme au pied en cette rentrée pour défendre le service public de santé. II faut tout faire pour inverser les choses et en particulier en exigeant un grand plan d’embauche pour l’hôpital public…sinon les antivax conduiront une fraction non négligeable du peuple français dans une impasse dramatique, pour le plus grand bénéfice de Macron qui les considère à juste titre comme son « meilleur ennemi ». En effet quoi de mieux pour la macronie que d’apparaître comme raisonnable et cohérente face à une contestation délétère et sous influence de l’ultra-droite ? Macron fait oublier sa gestion des 18 derniers mois, grâce aux « idiots utiles » de l’antivax.


ANNEXE : Un bel exemple du « et en même temps » d’un président
à la « pensée complexe » !

Il est devenu fréquent que le gouvernement rédige et propose des lois qui affirment protéger les prérogatives du parlement… tout en les niant « en même temps » quelques articles plus loin. C’est le cas pour la loi sur « l’état d’urgence sanitaire » du 23 mars 2020.

En effet, la rédaction de l’article 2, qui pose les principes, est très respectueuse du législatif puisqu’elle indique : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. 
« La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 ».

Mais immédiatement ce respect est mis à mal, car l’article 4 exclut le parlement pour la première entrée en vigueur !  Il indique en effet : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131-13  du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi »…

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