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Emmanuel Macron invoque « les jours heureux » ? Chiche !

Dans sa quatrième allocution depuis le début de la crise du coronavirus, ce lundi 13 avril, Emmanuel Macron en a appelé au retour des  « jours heureux », en référence à l’intitulé du programme du Conseil National de la Résistance. Une conversion crédible ? [Une chronique intempestive initialement paru dans Marianne].

 

Les jours heureux… L’intitulé du programme du Conseil National de la Résistance (15 mars 1944), repris par le Président de la République, inaugure-t-il un tournant politique radical ? On aimerait bien le croire, tant la crise actuelle ébranle de fond en comble le monde comme il va, ou plutôt comme il allait, c’est-à-dire très mal. Que penser du discours ambiant et de sa mise en scène politique par le Président ? « Il y aura un avant et un après… Cette fois ci, on a compris et tout va devoir changer. Plus jamais çà ! » Il contraste avec le programme néo-libéral dont Denis Kessler avait indiqué le but en octobre 2007 : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ».

Le premier de cordée, lui, semble faire amende honorable, et changer de héros. Les petites mains des sans grade sauvent quotidiennement leurs patients, pour un salaire dérisoire, en raison inverse de leur dévouement. Infirmières et aide-soignantes, applaudies par le peuple, s’entendent promettre des lendemains qui chantent. On redécouvre leur rôle humain et social, à rebours des égoïsmes lucratifs.

« DUR AUX PAUVRES, AUX RICHES S’ATTENDRIT »

Une conversion crédible ? Depuis plus de deux ans le président d’avant, « dur aux pauvres, aux riches s’attendrit » (Ruy Blas aux « ministres intègres »). Avec Madame Buzyn, il a écarté sans états d’âme les avertissements du monde médical qui disaient la grande misère des hôpitaux publics, l’insuffisance dramatique de leurs lits et de leurs moyens. Il a réduit l’impôt de solidarité sur la fortune en même temps que les droits des travailleurs et l’allocation-chômage, et voulu une réforme régressive des retraites. Mais voilà qu’il se réinvente… Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (article premier) : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Plaît-il ? Macron sans-culotte ? Il vient de promettre « la santé gratuite, délivrée de la loi du marché ». Maintenant, il appelle à revaloriser les plus bas salaires. Bientôt peut-être il rétablira le code du travail qui avait forcé le capitalisme à se civiliser. Peut-être va-t-il également restaurer l’ensemble des services publics, démantelés au nom de la « concurrence libre et non faussée » chère à l’Europe de Jean Monet. Ce même Jean Monet prétendait que la paix requiert le capitalisme imposé à tous les peuples. Faire l’Europe par l’économie… en oubliant le social, réduit à un supplément d’âme facultatif. Le bonheur c’est toujours pour demain…

 

FRÉNÉSIE DE PROFIT

On rêve… Mais réveillons-nous ! Le souvenir d’un passé proche nous interdit toute illusion. Les dires d’un bavard masquent l’essentiel et taisent la cause première de la détresse actuelle : la logique d’un système qui n’a cure de l’intérêt général, dont le minimum serait la souveraineté sanitaire. Pourquoi sinon, depuis vingt ans, avoir délocalisé la fabrication des masques, des respirateurs, des bouteilles d’oxygène médical, des médicaments, dans des pays lointains, sans souci des stocks stratégiques dont dépend la santé de la population ? Pourquoi avoir aliéné la prévision et la prévention, la recherche fondamentale, en même temps que la souveraineté politique de la France en matière économique, donc sociale et sanitaire ?

En jouant la géographie contre l’histoire, le capitalisme mondialisé veut s’affranchir des droits sociaux que les luttes ouvrières l’ont forcé à concéder. Le coût dérisoire du travail d’un prolétaire du tiers monde, quasi esclave, est une aubaine pour une frénésie de profit qui n’épargne pas les moyens matériels de la médecine et des soins. L’argent n’a pas d’odeur. La finance internationalisée est indifférente aux finalités sociales de l’économie. Elle montre l’inanité de la métaphore de la main invisible chère à Adam Smith. Il n’est pas vrai qu’en visant leur intérêt personnel, les capitalistes servent l’intérêt général. Pas plus d’ailleurs qu’au moment de la première révolution industrielle, quand les conditions de travail mutilaient les ouvriers faute de carters de protection sur les machines et réduisaient leur espérance de vie à 50 ans. Le résultat des injonctions européennes est connu : au début de la pandémie, la France manquait de presque tout : masques, respirateurs, lits d’hôpitaux en soins intensifs.

 

NON-DIT DE TAILLE

Il y a donc un impensé, et un non-dit de taille, dans le discours présidentiel : quelle est la cause structurelle non de la pandémie, mais de notre relative impuissance devant ses ravages ? Deux décennies d’abandon des services publics, des capacités hospitalières, et la logique marchande de la tarification à l’acte ne sont pas pour rien dans la situation que nous vivons. Remarquons que l’Allemagne, si souvent citée en exemple de l’orthodoxie financière qui a martyrisé la Grèce, a su pour sa part préserver ses grands laboratoires pharmaceutiques, et s’est bien gardée de délocaliser ses industries médicales. Que n’avons nous fait de même !

Alors, que sera « le monde d’après » ? Ne laissons surtout pas le système se remettre en place à l’identique ! Les égards de Monsieur Le Maire pour les entreprises, et leurs échos dans le discours présidentiel, sont de mauvais augure pour la suite. Ils ne doivent pas compromettre la rigueur de la lutte contre la pandémie. Est-il vraiment nécessaire que Toyota recommence à fabriquer des voitures, quand les routes et les rues sont désertées ? Prévision ? Mais il est dramatique que celle-ci n’ait pas prévalu pour les stocks stratégiques de masques et de respirateurs. M. Macron, en réouvrant les écoles le 11 mai, veut-il vraiment lutter contre les inégalités sociales, ou libérer les travailleurs de leur progéniture pour faire redémarrer la machine à profit ? Une telle réouverture, du point de vue médical, est insensée voire irresponsable, car il est bien connu que les établissements scolaires sont de redoutables incubateurs. Il faut espérer qu’elle sera abandonnée au regard du risque qu’elle ferait courir.

ÉTAT SOCIAL DE DROIT

Le souci de l’économie avancé par les ministres qui sont aux ordres du Medef est scandaleux dès lors qu’il compromet la lutte contre le Covid-19. L’économie et la santé ne sont pas opposables, et il est invraisemblable que l’on songe à les comparer, alors qu’ils s’agit de deux choses incommensurables. Mon collègue André Comte-Sponville insiste pour rappeler que la mort est mêlée à la vie, et que c’est ainsi. Certes, mais qui le nie ? Le vrai sujet, c’est la mort qui survient alors que dans de nombreux cas elle pourrait ne pas survenir si la politique publique de santé n’était pas privée des moyens nécessaires. Or elle l’est, du fait du néolibéralisme, qu’obsède la « réduction de la dépense publique », donc des cotisations sociales indûment rebaptisées charges.

M. Macron semble découvrir les vertus de ce qu’il appelle l’État-providence mais il se trompe de vocabulaire. Il serait plus juste de parler d’État social de droit. Car les droits sociaux ne relèvent pas d’une manne providentielle tombant du ciel comme dans les tableaux de Poussin. Ils mettent en jeu des cotisations sociales paritaires, avec réciprocité des droits et des devoirs. Tel est le sens de la Sécurité Sociale mise en place à la Libération par le ministre communiste Ambroise Croizat, qui en fit un outil de redistribution solidaire et de salaire différé. Lui substituer une « protection sociale » financée par l’impôt serait une régression, ardemment désirée par le patronat pour alléger ses « charges » en se soustrayant à la cotisation sociale.

QUI ASSISTE QUI ?

Rappel. Lors de la crise de 2008, « l’horreur économique » d’une finance aussi folle qu’irresponsable était déjà sur la sellette, de même qu’une mondialisation démente, noyée dans les eaux glacées du calcul égoïste et bénie par Attali comme par Minc. Le même discours de refondation nécessaire, tant des fins poursuivies que des moyens mis en œuvre, a été tenu alors… et suivi de lendemains qui déchantèrent. Très vite l’ordre néo-libéral fut réinstallé. Monsieur Sarkozy sauva les banques avec l’argent de l’État, alors que le néolibéralisme de l’École de Chicago (Milton Friedmann et Frédéric Hayek) refuse toute intervention de la puissance publique dans la vie économique ! Qui assiste qui ?

En France, la vraie droite et la fausse gauche ont continué à démanteler les services publics, à délocaliser les productions là où le coût du travail est moindre, quelle que soit leur importance vitale pour la nation. Masques, médicaments, respirateurs, sont fabriqués aux antipodes. Le temps court et l’immédiat, régis par l’impérieuse loi du profit, priment sur le temps long et la prévision, comme sur les exigences de la santé publique. « There is no alternative ». La dame de fer transforme ainsi un vœu de classe très marqué en loi fatale, pour le plus grand bien des profiteurs.

 

BESOIN D’UN ÉTAT STRATÈGE

Rappelons quelques-uns des retournements opérés dès que les sueurs froides des dernières crises ont été oubliées. Les tares de la mondialisation, auparavant travesties en mérites indépassables, ont été mises à nu, et rendus bien visibles… les distances abolies par le fret aérien ou maritime, la division internationale du travail exacerbée jusqu’à la désertification industrielle de notre pays, la suppression des stocks ou leur dévolution aux noria de poids lourds qui sillonnent les routes en polluant et en gaspillant l’énergie, avec en parallèle le despotisme du flux-tendu, le turn-over des emplois précarisés pour coûter moins cher, ont été dénoncés avec force, comme le creusement abyssal d’inégalités proprement écoeurantes. La loi du marché décrite dans le film éponyme de Stéphane Brizé a été exhibée dans sa froide cruauté mais aussi dans son irrationalité et dans son inhumanité.

Aujourd’hui, au cœur de la tragédie traversée, nombre de personnes se projettent dans un autre monde, le monde d’après, qui serait comme le négatif photographique de notre monde immonde. Circuits courts de proximité, relocalisations des ressources et des usines essentielles, réinvention d’un rapport maîtrisé à la nature, réhabilitation d’une authentique souveraineté populaire, refondation d’une politique de prévention et de sécurité sanitaire par la production nationale et le stockage des matériels nécessaires à la santé publique. Mais aussi mise en place d’approvisionnements sûrs car à l’abri des spéculations ou des abandons coupables… Tout cela requiert un État stratège non d’experts qui ne doivent régir que les moyens, mais de politiques animés par des finalités inséparablement humaines, écologiques, et sociales. Bref, de nouveaux « Jours heureux » en perspective. Une telle refondation ne naîtra pas spontanément, car le rapport de forces entre dominants et dominés devra pour cela être renversé. C’est ce renversement politique, plus certainement que les propos en forme de vagues promesses de M. Macron, qui rendra possible un tel avènement. Il y a du pain sur la planche…

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