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Démembrement d’EDF : un plan « Hercule » qui devrait s’appeler le plan « Judas »

Article publié initialement sur le site de la Gauche républicaine et socialiste (https://g-r-s.fr/).

I- Un secteur soumis aux règles européennes et à leurs dérives libérales

L’Union européenne est compétente en matière de réglementation de la production d’énergie, et en particulier d’électricité. En effet, l’Article 194 du Traité de Lisbonne (celui qui imposa les effets du projet de TCE malgré son rejet référendaire par les Français) a institutionnalisé les compétences de l’UE en matière énergétique :

« Dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres :

Or un des principes fondamentaux de l’UE est la concurrence libre et non faussée. Elle applique donc ce principe à la production de l’électricité.

Pour la France, cela a deux conséquences majeures : la création d’un marché de l’énergie et le démantèlement d’EDF.

II- La création d’un marché de l’énergie

A la demande de la Commission européenne, la France a créé en 2010, l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH). Il fut mis en œuvre en 2011. Ce marché régulé consiste en l’obligation qui est faite à EDF de fournir pour un volume global maximal de 100 TWh/an de l’électricité à un tarif réglementé qui est de 42 €/MWh.

Cela signifie que si le prix du marché est inférieur à 42 €/MWh, les opérateurs privés achètent leur électricité au prix du marché. En revanche, lorsque le prix du marché est supérieur à 42 €/MWh, les opérateurs privés l’achètent en dessous du prix du marché à EDF et la revendent au prix du marché à d’autres opérateurs. En réalité dans cette hypothèse, il ne s’agit plus d’un marché de l’énergie mais d’une rente de situation financière car ces opérateurs privés du marché de l’énergie, pour leur grande majorité, ne produisent pas d’électricité, ils se contentent de la commercialiser. Ainsi de 2011 à 2013, le prix moyen de gros de l’électricité était supérieur à 50 €/Mwh – ce qui était une situation de rente pure pour les opérateurs privés. De 2013 à 2015, le prix moyen de gros fluctuait autour de 42 €/MWh ce qui constituait une situation d’arbitrage pour les opérateurs privés en fonction du prix réel de l’achat. entre 2015 et 2017, le prix moyen de gros été inférieur à 40 €/MWh: situation dans laquelle les opérateurs privés n’achètent pas d’électricité au prix de l’ARENH. Or depuis 2018, le prix du marché est supérieur à 42 €/MWh, nous sommes donc à nouveau dans une situation de rente pure pour les opérateurs privés.

Cette obligation faite à EDF de vendre de l’électricité à un prix fixe à des opérateurs privés, handicape EDF lorsque le prix du marché est supérieur à celui auquel elle est obligée de vendre puisqu’elle ne peut pas bénéficier de cette augmentation de tarif. Depuis 2011, date de création de cette obligation, EDF s’est trouvée dans cette situation pendant six ans sur neuf ans.

Pire, selon EDF le prix de l’ARENH ne couvre pas ses frais de production. En effet EDF a demandé une réévaluation du prix afin qu’il passe de 42 € à 53€/MWh. Donc selon EDF, à chaque fois qu’un producteur privé achète de l’électricité à ce prix régulé, EDF perd de l’argent et voit ses capacités productives mises en péril. Il semblerait que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) envisage d’augmenter l’ARENH à 48€/MWH mais ce prix est toujours inférieur au prix de revient déclaré par EDF.

Le principe de l’Union européenne de concurrence libre et non faussée conduit donc à la création d’un marché inégalitaire au bénéfice des opérateurs privés et au détriment d’EDF et cela est inacceptable !

III- Le plan « Hercule » un démembrement industriel d’EDF et un risque de disparition d’expertise technique

Le plan « Hercule » est la réponse d’Emmanuel Macron et des Techno-Libéraux français à la demande de la Commission de réorganisation structurelle d’EDF afin d’empêcher que l’organisation interne d’EDF ne soit, selon la commission, un frein à la concurrence.

Ce plan a connu, pour l’instant, deux modalités et devrait être finalisé d’ici la fin de l’année.

1. Le projet Edouard Philippe

– La première proposition du gouvernement Édouard Philippe en avril 2019 était de scinder le groupe EDF, de manière à écarter le nucléaire et ses risques financiers des autres secteurs. Dans les faits, création de deux entités, une société « bleue »  et une société « verte », d’ici 2022. Ces deux entités étaient de droit public et pilotées par le groupe EDF qui restait lui aussi une entreprise publique.

La société « bleue », détenue par l’État, comprendrait le secteur du nucléaire existant. Ce secteur est soumis à l’Arenh et est le plus déficitaire. Il serait composé aussi des barrages hydroélectriques et du transport d’électricité (RTE).

L’État français devra investir 8 milliards d’euros pour racheter les actions EDF aux investisseurs privés.

Une autre société, « Verte », couvrirait les énergies renouvelables restantes, les réseaux (Enedis), les services énergétiques (transport, acheminement) et le commerce (EDF achète l’énergie comme les autres à l’Arenh). Cette seconde entité, propriété de la première, serait introduite en bourse, l’État conservant 65 % du capital via la société Bleue avec une introduction en bourse à hauteur de 35 % et comprendrait Enedis, EDF Renouvelables, Dalkia, la direction du commerce, les activités d’outre-mer et de la Corse d’EDF.

Cette réforme risque fort de faire porter le secteur le plus déficitaire — le nucléaire dit ancien — à l’État, donc au contribuable, tandis que les activités plus rentables — renouvelables et distribution — seraient privatisées. Il faut rappeler qu’ EDF a une dette de 41 milliard avec une menace de 20 milliards de plus sur ses produits financiers hybrides (dette transformable en action par les créanciers) en fin 2019.

Il faut cependant se rappeler aussi que les actifs positifs constitués par EDF et qui sont monnayables (actions, obligations) pour le démantèlement des réacteurs anciens et la fin de cycle des combustibles (par ex. Bure) représentent le même montant soit 41 milliards.

2. Le plan « Hercule » modifié par la Commission européenne

« La position de la Commission européenne consiste à privilégier une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales et une indépendance entre celles-ci […] et ne percevant pas de dividendes, ceci étend versé directement aux actionnaires de la holding. […]  Cette position entraînerait l’impossibilité de maintenir un groupe intégré et irait au-delà des exigences posées par les textes européens » (note de l’agence des participations de l’État datée du 6 mai 2020).

Toujours selon l’agence, la Direction générale de la concurrence justifierait la désintégration juridique, financière, comptable et opérationnelle du groupe par « l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF du fait du SIEG (service d’intérêt économique général, le service public en droit européen) […] afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités du groupe ». En définitive, si les demandes de l’Europe étaient acceptées par la France, il s’agirait d’un démantèlement pur et simple d’EDF.

Donc le plan de la Commission européenne est la mise en place d’au moins 4 structures différentes et autonomes : EDF-holding (droit privé), EDF bleue filiale autonome du secteur nucléaire (entreprise publique), société Azur (barrages hydroélectriques et statut juridique non défini) et EDF verte filiale autonome énergies renouvelable (société anonyme donc de droit privé).

Cette position de la Commission européenne interdit la mise en place d’une stratégie de groupe et de toute politique industrielle, et permet que les filiales de la holding EDF se fassent concurrence entre elles ! De plus, la Commission demande la séparation juridique des activités nucléaires régulées et des activités de nouveau nucléaire interdisant que les bénéfices tirés des investissements déjà amortis ne puissent être réinvestis dans des activités nucléaires nouvelles. Cela impose aussi que les compétences et les expertises qui sont le fruit des activités nucléaires régulées ne puissent être utilisées pour la mise en place du nouveau nucléaire.

3. Le cas particulier des barrages hydroélectriques

Il est à noter qu’en ce qui concerne les barrages hydroélectriques (société Azur), 150 contrats de concession arrivent à terme d’ici 2023 et donc devront éventuellement être concédés à nouveau selon des procédures d’appel d’offres et de mise en concurrence – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent et représenterai un nouveau marché juteux puisque les investissements sont déjà amortis (les barrages sont construits depuis longtemps et rapportent 1,5 milliards d’€ par an !).

Cette demande de la Commission européenne remonte à 2015 (mise en demeure par la commission) même si la droite avait commencé à anticiper cette demande dès 2010.

Les barrages hydroélectriques constituent la première source d’électricité renouvelable en France. Si l’État en est propriétaire, ce parc est aujourd’hui exploité à plus de 80 % par EDF – avec 433 barrages – via des contrats de concessions. Cependant la question de l’hydroélectrique n’est pas qu’une question de production d’électricité mais aussi touche à la sûreté, à la gestion de l’eau et des crues, sujets encore plus important désormais, du fait du réchauffement climatique. Par ailleurs, la production hydroélectrique permet de réguler les creux et les crêtes de production des autres sources d’énergie. Cette régulation ne peut être efficace que si la production hydroélectrique est intégrée à la production d’autres énergies – à défaut au moins régulée par la même entité. Cette ouverture à la concurrence remet en cause donc possiblement, des intérêts majeurs des populations.

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Sur ce sujet majeur d’intérêt général qu’est la maîtrise de la production d’électricité, sa sécurisation et sa revente au prix le plus juste pour les consommateurs, le gouvernement a cédé aux demandes libérales et destructrices de l’Union européenne.

La GRS demande au contraire la création d’un service public de l’énergie qui puisse être contrôlé à la fois par les citoyens, les élus locaux et des représentants de l’État. Et si EDF doit changer ce n’est pas en la démembrant en des entités indépendantes et qui se feront la concurrence comme le veut l’Union européenne et le met en place le Gouvernement Castex mais en la démocratisant.

De plus, la GRS condamne cette privatisation rampante de pans entiers de l’activité d’EDF et en particulier des secteurs des énergies renouvelables  et du nucléaire nouveau (construction et exploitation de nouvelles centrales). Ces secteurs sont primordiaux pour entamer la transition énergétique et ce sujet d’intérêt général est trop important pour le laisser à la propriété privée et aux forces du marché. Les modalités de transition énergétique doivent être le fruit d’un débat national et ses instruments publics.

Enfin ce démembrement « Hercule » qui relève davantage du lit de Procuste que du combat contre l’hydre de Lerne interdira toute stratégie industrielle et tout patriotisme économique. En effet EDF n’est pas une entreprise seule mais participe d’un écosystème de filières, d’innovation et de recherche. Or c’est justement de politique de renforcement de filière et particulièrement de filières en France dont nous avons besoin pour relancer et renforcer notre économie- l’exact contraire de ce que fait le Gouvernement en accord avec l’Union européenne.

Alors nous devons et nous allons nous mobiliser pour contrecarrer ce plan de « Judas » – cette trahison qu’est le plan « Hercule ».

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