« Qu’ils s’en aillent tous » de Jean-Luc Mélenchon

Voilà un livre qui mérite d’être lu, car il montre la capacité de Jean-Luc Mélenchon à comprendre les évolutions nécessaires pour porter un projet de transformation sociale, quitte à modifier sa pensée quand cela est nécessaire, ce qui est l’apanage des grands personnages politiques.

Cela est d’autant plus important que nous ne voyons toujours pas le pendant de cette clairvoyance dans les expressions du Parti de gauche. On a vu récemment des prises de position très positives de Jean-Luc Mélenchon qui n’ont pas été suivies au sein du Parti de gauche, qui semble plutôt suivre la pensée dominante de la gauche de la gauche ce qui n’est pas propice aux liens nécessaires qu’il faut reprendre avec les couches populaires (ouvriers, employés, majoritaires dans le pays). (1)Par exemple, sur le voile intégral où deux des trois députés du Parti de gauche n’ont manifestement pas adhéré à ses idées. Il en est ainsi de bien d’autres sujets comme la laïcité, la république, les institutions… Différents sujets où les textes du Parti de gauche sont très en retard sur les positions de leur leader. (2)voir son blog
Aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon dit « adieu à [son] fédéralisme » (p.43). Il explique que « L’Europe devait être le moyen de rétablir la souveraineté populaire mise en cause par la mondialisation et la puissance des États-Unis… Nos chefs pensaient que plus on avancerait dans l’intégration économique, plus en résulterait de l’intégration politique, c’est-à-dire de la démocratie… » (p.73). Lutter contre la mondialisation en se soumettant à la loi du capitalisme financier sans frontière, redonner au peuple sa souveraineté en l’aliénant au profit d’instances supranationales, comment des élites politiques ont-elles et peuvent-elles adhérer à tant d’absurdités ? Mais le réel lui ouvre maintenant les yeux : « Cette ligne reposait sur une erreur d’évaluation terrible… Nous avons nous-mêmes lâché le monstre dans notre cour ! (…Cette Europe, c’est le problème… » (p. 74 et 76). Bien évidemment, ce nouveau discours est celui qu’il faut pour travailler tant à l’unification des républicains de gauche dans notre pays que pour renouer les liens avec les couches populaires.

Il avance donc l’idée qu’il faudra peut-être rompre avec le fédéralisme européen même si il ne l’écarte pas définitivement dans l’hypothèse où « l’occasion historique se présente[rait] » (p. 86). Pourtant le fédéralisme est toujours dans les textes du Parti de gauche. Sans doute que Jean-Luc Mélenchon connaît ce décalage, mais il donne à son action la priorité vers 2012. On pourra cependant regretter le maintien d’ambiguïté entre son discours et les textes d’orientation du PG, car il perturbe des milliers de militants du mouvement social.
Sans doute se rapproche-t-il de l’idée de la globalisation des combats partagée par de nombreux républicains de gauche du mouvement social qui refusent que certains principes surplombent les autres. Pourtant dans le Parti de gauche, on parle uniquement d’urgences sociale, écologique et démocratique, mais pas d’urgence laïque par exemple. D’autre part, le Parti de gauche n’a toujours pas de commission Santé Protection sociale digne de ce nom (3)rappelons que cela représente comme premier budget humain 31,3 % du PIB soit presque le double du budget de l’État tous ministères confondus.
Par contre, Jean-Luc Mélenchon a raison, face à la direction du MRC par exemple, de mettre au même niveau les transformations institutionnelles et la politique économique de temps court nécessaire à l’émergence de la république sociale. Il a raison d’aller très vite sur les problèmes institutionnels sans subordonner ceux-ci à l’application d’une souveraineté populaire qui s’établirait uniquement sur l’existant sans constituante. Écoutons-le : « plus personne ne croit en rien… ce qui est anéanti avec cet état d’esprit, ce n’est pas seulement le principe moral et politique du civisme, c’est le pays lui-même qui se dissout… Si nous renonçons à être citoyens, nous cessons d’être le peuple de cette Nation. Nous sommes seulement le s occupants d’un territoire » (p. 29). Il comprend les enseignements de ce qui se passe en Amérique du Sud : « …tous les pays de l’Amérique latine de la nouvelle vague démocratique ont commencé par convoquer une Assemblée constituante…des millions de pauvres se sont impliqués dans des milliers de débats à la base …et sont allés voter en masse pour élire les députés constituants…la Constituante en France sera une renaissance de notre peuple… » (p. 26 et 27).
Il a encore raison de vouloir changer le système en renouant avec le système de la Constituante qui n’est pas une importation d’Amérique du Sud, mais une invention française de la Révolution.
La volonté notée de « tourner la page du présidentialisme… » est également louable, car on ne pourra pas développer l’esprit républicain sans rompre avec un de ces avatars le césaro-bonapartisme des Napoléon Ier, Napoléon III et de Gaulle si chère à l’ex-ami de Jean-Pierre Chevènement, Max Gallo. Aujourd’hui la confusion n’est plus possible entre la République sociale de Jean Jaurès et le césaro-bonapartisme de ceux qui se réclament pourtant encore de la République.
Sur le reste du livre, pas de désaccords majeurs sauf peut-être que nous aurions aimé qu’il aille plus loin sur le partage des richesses et les moyens de faire bouger le curseur salaires directs et socialisés d’une part et profits d’autre part. Ou sur l’alternative en matière de services publics et de protection sociale où ses propositions sont succinctes.
Sur la politique étrangère, son appel à développer une indépendance politique, militaire et idéologique vis-à-vis des États-Unis, à rééquilibrer nos rapports avec l’Allemagne, à développer des coopérations de nature différentes et refuser le « grand marché transatlantique » nous semble de bon aloi.
Sur les problèmes énergétiques, il est dommage qu’il ne fasse pas de planification écologique alternative avec un agenda sérieux (alors qu’il déclare dans ses meetings qu’il est gagné à cette idée !) et qu’il déclare qu’il faut sortir du nucléaire par la géothermie. N’est-ce pas un peu rapide comme analyse ? Ne serait-il pas mieux de donner des priorités d’action selon une planification écologique ? De commencer sur le temps court par une politique radicale d’économies d’énergie (principal gisement inversé), puis de diminuer l’appel aux énergies fossiles producteur de pollution et de CO2 avant de vouloir sortir du nucléaire ? Sur le nucléaire, ne serait-il pas préférable de déclarer ne plus construire les centrales de deuxième et de troisième génération, mais de laisser le travail de recherche sur la quatrième génération qui supprimerait le scandale de la course à l’extraction d’uranium ? Nous verrions bien alors si cette option est sérieuse ou pas. Mais là, n’est-il pas tributaire de la montée de l’idéologie décroissante dans le Parti de gauche consécutive à une dictature de la tactique visant à faire venir des militants sans leur proposer une cohérence politique globale ?
En conclusion, le bilan de ce livre est plutôt positif. Il peut redonner du courage. Il est donc un bon livre. On comprend alors que ceux qui, à gauche, ne veulent rien changer aux projets qui échouent depuis 30 ans, aient lancé contre Mélenchon des critiques sur son « populisme » et se ridiculisent à le comparer à Jean-Marie Le Pen. Nous ne pouvons que déplorer à gauche ces comportements indignes. La calomnie (« dire du mal par le mensonge ») devrait être bannie à gauche, seule la médisance (« dire du mal par la vérité ») devrait avoir le droit de cité dans la polémique !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Par exemple, sur le voile intégral où deux des trois députés du Parti de gauche n’ont manifestement pas adhéré à ses idées.
2 voir son blog
3 rappelons que cela représente comme premier budget humain 31,3 % du PIB soit presque le double du budget de l’État tous ministères confondus