1675-2013 : les « bonnets rouges » de Bretagne sont de retour

Comme en septembre 1675, une « goutte d’eau a fait déborder le vase », c’était hier des taxes pour financer la guerre contre la Hollande [sic !], c’est aujourd’hui l’écotaxe, destinée à financer l’infrastructure financière. Comme en septembre 1675, la révolte bretonne est sans doute annonciatrice d’une révolution en gestation. Car une « analyse concrète de la situation concrète » montre que le mal est plus profond. Fermeture d’une myriade de PME avec des licenciements à la clé dans des bassins d’emplois mono-activité, crise de la filière agro-alimentaire avec effet d’entraînement en amont sur l’agriculture elle-même, pauvreté, misère et déclassement sont à l’œuvre en Bretagne. Le modèle économique breton subit de plein fouet le dumping salarial allemand organisé par « l’amitié franco-allemande » via les « salariés détachés » sans aucune protection sociale : avec près de 7 millions de salaires inférieurs à 8,5 euros de l’heure et plusieurs millions à 400 euros par mois, la déflation des salaires allemands ôte toute compétitivité aux abattoirs bretons.
Et nos gouvernants ordo-libéraux, ceux de gauche emboîtant le pas de leurs prédécesseurs de de droite, ne trouvent rien de mieux que de charger la barque en accroissant le prix des transports, avec une fiscalité écologique censée être une incitation à la relocalisation. Sarko-Borloo l’avaient rêvée, avec le Grenelle de l’environnement, Hollande-Duflot l’ont tentée, mais l’écotaxe connaît le même sort que la TVA dite sociale ou anti-délocalisations : ça fait pschitt. Ce n’est pas surprenant parce que les deux reposent sur la même conception économique : suivant les principes de l’économie de marché, une taxe bien calibrée sur la consommation, finale ou intermédiaire, de biens ou services permet d’orienter les comportements d’achat dans le sens souhaité par les autorités en charge de l’intérêt général.
Dans la vraie vie, ce beau principe n’est que du pipeau, tant il pose de problèmes. Il supposerait en particulier que le marché puisse fournir sans restriction les produits alternatifs à ceux dont on veut limiter l’usage et que l’utilisateur ne se reporte pas sur pire. Pénaliser le fumeur, bien sûr, mais le pauvre sera plus touché que le riche, et, double peine, le pauvre sera conduit à fumer de la contrefaçon, certainement plus nocive encore ! Ensuite, l’alternative n’est pas nécessairement privée : quant au transport, la substitution du train au camion suppose des voies ferrées, mais on sait combien la SNCF est incapable d’organiser le transport du fret. Et ce n’est pas en mettant l’argent dans les LGV pour cadres supérieurs ou dans les aéroports pour les mêmes en internationalisé que l’on va réduire le transport des cochons par camion.

Pour faire passer la pilule, on nous a présenté l’écotaxe comme « relocalisante » : le renchérissement du transport rendrait aux abattoirs bretons leur rentabilité, mais on ne nous dit pas à quel taux elle sera efficace, car il faudrait savoir quelle sera la réaction allemande. Or ce n’est pas un phénomène de marché, mais une décision politique, et les possibilités sont multiples. En réalité, une taxe qui prétend modifier les comportements ne peut être plus qu’une recette supplémentaire, elle sera alors calculée de sorte qu’elle fasse entrer de l’argent : sur le carburant, le tabac, etc., on sait de combien de pour cent diminue la consommation après 1 % de hausse du prix, le rapport entre les deux s’appelle l’élasticité de la demande ; après il n’y a plus qu’à ajuster l’arbitrage entre rentrées fiscales et effets santé ou autres en veillant à ne pas trop faire baisser la demande, de sorte que, pour le tabac, par exemple, les rentrées fiscales ne baissent pas au-delà des économies de consultations, médicaments, hospitalisation, etc., sinon l’État est perdant, et c’est de l’argent gaspillé, n’est-ce pas.
Même chose pour faire du « transport durable », il faut des alternatives crédibles, et quoi qu’il en soit, quelqu’un paiera la casse. Ainsi, l’Allemagne se porte bien au prix d’un énorme abaissement des bas salaires organisé par les socialistes du SPD du temps de Schröder et continué par la droite néolibérale de Merkel. À l’autre bout de l’échelle, les Allemands les plus riches prospèrent. (1)Selon les statistiques officielles, les 10 % les plus riches possédaient 45 % de la richesse privée du pays en 1995 et 53 % en 2008, alors que les 50 % du bas de l’échelle se partagent 1 % (contre 4 % en 1995). Entre les deux, les Allemands qui se situent entre le 6e et le 9e décile détiennent 46 % de ce patrimoine, contre 51 % au milieu des années 1990.
De même, en France, la fiscalité écologique est une fois de plus dirigée contre les ouvriers, les employés et les couches moyennes intermédiaires, et au bénéfice des couches moyennes supérieures, comme souvent avec l’alliance PS-EELV. Avant-hier la taxe carbone pénalisait les ouvriers, les employés et les couches intermédiaires des zones péri-urbaines qui n’ont pas de service public de transport. Hier, une loi habitat dite Duflot protégeait la propriété lucrative immobilière des propriétaires des couches moyennes supérieures. Aujourd’hui, une écotaxe pèse sur les produits bretons situés à 350-400 km de Paris tout en épargnant les produits venus de plusieurs milliers de kilomètres et protégés par le libre-échange néolibéral ! L’écologie néo-libérale n’est qu’un alibi au matraquage fiscal des couches les plus fragiles.

Plusieurs organisations politiques ou syndicales de gauche fustigent ce mouvement parce qu’il est interclassiste et disparate (des élus de gauche, des petits patrons, des agriculteurs de la FNSEA, des ouvriers, des employés, etc.). Sans doute aurait-il été préférable que ces organisations soient capables de représenter la révolte bretonne. Malheureusement, elles n’ont pas été à la hauteur des enjeux et n’ont pas pris la mesure du « ras le bol » social de cette région, qui s’est donc cristallisé en mouvement interclassiste.
Au lieu de raisonner abstraitement en termes de classes désincarnées et de traiter d’ « esclaves » et de « nigauds » ces salariés qui se rangent derrière qui ils peuvent, les organisations syndicales et politiques de gauche seraient mieux inspirées de procéder à une analyse concrète de la situation. Elles pourraient alors être en mesure de proposer une réelle alternative aux politiques néolibérales définies au niveau européen (ici, via la directive « salariés détachés »), relayées localement par des élus de droite ou de gauche et largement soutenues par le patronat.
Pas plus que les élus locaux néolibéraux de gauche ou de droite, le gouvernement n’est en phase avec la révolte. Nous avons besoin d’un changement de modèle culturel, social, économique et politique.

Alors, développons une éducation populaire, renforçons le Réseau Éducation Populaire.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Selon les statistiques officielles, les 10 % les plus riches possédaient 45 % de la richesse privée du pays en 1995 et 53 % en 2008, alors que les 50 % du bas de l’échelle se partagent 1 % (contre 4 % en 1995). Entre les deux, les Allemands qui se situent entre le 6e et le 9e décile détiennent 46 % de ce patrimoine, contre 51 % au milieu des années 1990.